Arminio - Haendel - George Petrou

Arminio - Haendel - George Petrou ©
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La belle victoire d'Arminio

Arminio a été créé à Londres (au Covent Garden) le 12 janvier 1737. Le moins qu’on en puisse dire est qu’il ne connut pas un succès considérable puisqu’il quitta l’affiche après six représentations et sombra dans l’oubli pour deux siècles. A vrai dire, l’année lyrique 1737 ne fut pas vraiment faste pour Haendel puisque ses deux autres créations cette année-là connurent également un succès des plus mitigés, qu’il s’agisse de Giustino (neuf représentations) ou de Bérénice (quatre représentations).
L’argument d’Arminio s’appuie sur le contexte historique du « désastre de Varus », soit l’humiliante défaite infligée par un prince germain très romanisé (Arminius) aux légions du général romain Varus qui seront exterminées. Ce désastre militaire marquera la fin de l’expansion romaine outre Rhin et l’on prête à l’empereur Auguste la phrase « Varus, rends-moi mes légions ! ». Varus se suicidera à l’issue de la bataille et Arminius mourra assassiné douze ans plus tard.
L’opéra de Haendel se développe sur un livret d’Antonio Salvi considérablement remanié par un librettiste inconnu et réduit à trois cents vers (au lieu des trois mille que comportait le texte initial), au motif que le texte italien de Salvi n’aurait pas été compréhensible par le public du Covent Garden. Bien entendu, la vérité historique ne sera pas au coeur de cet opera seria qui s’articule autour du personnage d’Arminio. Prisonnier des romains, Arminio voit Varus tenter de séduire son épouse (Tusnelda). Ségeste, père de Tusnelda intrigue auprès des Romains mais Arminio refuse de se soumettre à Rome et est condamné à mort. Après de nombreux rebondissements associant également la soeur d’Arminio (Ramise), son fiancé et fils de Segeste (Sigismond), Arminio échappera à la mort, conduira ses troupes à la victoire et pardonnera à Ségeste.

La distribution présente la particularité de regrouper deux premiers rôles masculins (Arminio et Sigismond) tenus à la création par deux castrats, respectivement Domenico Annibali (alto) et Gioacchino Conti dit Gizziello (soprano). Lors de la création, le rôle de Tusnelda était interprété par la soprano Anna Maria Strada del Pò, celui de Ramise par la contralto Francesca Bertolli, celui de Segeste par la basse Henry Reinhold, le rôle de Varus (Varo) par le ténor John Beard et enfin, celui de Tullio par Maria Caterina Negri (contralto).

Sauf erreur, cet enregistrement DECCA n’est que la deuxième intégrale de l'oeuvre, après celui de Virgin Classics (Alan Curtis, Vivica Genaux...) ; il a été enregistré à Athènes en 2015 avant d’être monté sur scène par Max Emanuel Cencic en février dernier à Karlsruhe (voir notre récent compte-rendu : Rencontre avec Max Emanuel Cencic).
Dès l’ouverture, les caractéristiques de l’interprétation de George Petrou qui fait un travail remarquable à la tête de l’Ensemble Armonia Athenea sont posées et ne se démentiront plus, à aucun moment, en dépit d’une action un peu décousue en raison notamment de la “réduction” du livret rappelée ci-dessus et qui ne concourt guère à la dramaturgie théatrale non plus qu’à la vraisemblance de l’action. Les tempi sont très vifs, les équilibres très fins et, au moyen de phrasés très travaillés et parfois osés, Petrou parvient à maintenir une tension dramatique, très illustratrice d’un monde de passions, tout au long de l’ouvrage et à rendre justice à une partition que l’on se dit injustement oubliée...
Max Emmanuel Cencic est une nouvelle fois exceptionnel dans ce rôle qui semble écrit pour lui et dans lequel les évolutions de sa voix, qui continue à gagner en onctuosité et en épaisseur dans le medium, et son timbre mordoré si attachant font merveille. Le travail de caractérisation du personnage est manifeste dans le superbe Al par della mia sorte è forte questo cor du Ier acte, joliment vocalisé et palpitant d’émotion. Au deuxième acte le très virtuose Si, cadro… et plus encore le pantelant Vado a morir constituent des sommets d’émotion et confirment l’immense talent de Max Emmanuel Cencic. Qui au troisième acte brille de virtuosité dans Ritorno alle ritorte et dans le vertigineux Fatto scorta al sentier della gloria.
Je suis beaucoup moins enthousiasmé par le Sigismondo de Vince Yi, dont le timbre pincé est trop acidulé pour mon goût. Mais, si ces caractéristiques du timbre nuisent à l’interprétation et à la crédibilité du personnage, on doit toutefois souligner une technique de bonne tenue du contre-ténor. Il n’en demeure pas moins que le personnage de Sigismondo est fort peu habité, à l’opposé de tout le reste d’une distribution dont l’homogénéité de composition est remarquable.
Layla Claire présente un beau timbre de soprano, homogène, et une belle projection qui lui permettent de composer une belle Tusnelda, irréprochable tant au plan technique qu’au plan théâtral. Ses qualités sont particulièrement évidentes au IIème acte dans Al furor che ti consiglia…, même si le timbre accuse encore parfois un peu de « verdeur ».
Ruxandra Donose n’est pas un contralto, en décalage avec la distribution de la création, et souffre parfois un peu dans les graves. Mais sa Ramise est extrêmement séduisante, dispensant un Sento il cor… particulièrement enlevé au premier acte puis, au second, un Niente spero… très inspiré et maîtrisé techniquement pour finir au troisième acte par un Voglio seguir lo sposo superbe de détermination matrimoniale et techniquement admirable.
Juan Sancho confirme sa belle dimension de ténor héroïque et se tire avec éclat du Mira il ciel dans lequel l’orchestre donne à entendre de superbes bois. Xavier Sabata est un Tullio de luxe qui se tire évidemment avec bonheur de ce second rôle et distille un jubilatoire Con quel sangue..., enlevé et élégant. Enfin le Segeste de Petros Magoulas, qui n’est doté que d’un seul air (Fiaccherò quel fiero orgoglio, à l'acte I) est tout à fait honnête.
Au final, cette résurrection d’un ouvrage injustement oublié de Haendel vaut parfaitement le detour tant par le remarquable travail de caractérisation musicale et théâtrale réalisé par le tandem Petrou-Cencic, que par la qualité musicale et orchestrale de l’ensemble ainsi que par l’homogénité d’une distribution dominée par Max Emanuel Cecic dans le rôle titre.

Publié le 12 avr. 2016 par Jean-Luc IZARD