L'Arte del Madrigale

L'Arte del Madrigale ©Benoît Pelletier
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Une nouvelle fois, les Editions Ambronay, miroir du Centre Culturel de Rencontre et du Festival de Musique Baroque d’Ambronay portent à la connaissance du grand public un nouvel enregistrement : L’Arte del Madrigale.

La collection Jeunes Ensembles d’Ambronay révèle nombre d’instrumentistes, chanteurs et danseurs venant des quatre coins du monde, établissant leur résidence dans ce fascinant lieu que représente le centre.
L’Art s’épanouit, la Musique vit portant ainsi les projets avec force et conviction.« A quoi la musique fait appel en nous, il est difficile de le savoir ; ce qui est certain, c'est qu'elle touche une zone si profonde que la folie elle-même n'y saurait pénétrer.», Emile Cioran, écrivain et philosophe roumain.

Avant de poursuive la découverte de cet enregistrement, il est peut-être nécessaire de rappeler la définition et l’historique du madrigal. Pièce vocale polyphonique, bien souvent a cappella, écrite sur un texte profane, le madrigal est une superposition de plusieurs mélodies abouties se rejoignant dans des accords consonants. Il est fréquemment composé sur de fins poèmes dissipant toute possibilité de répétition, de refrain.
Nés en Italie, les premiers madrigaux du XVIe siècle subissent les influences de deux styles bien marqués, la frottola – chanson monophonique strophique, accompagnée au luth – et la chanson polyphonique française. Le but visé est celui du chromatisme, dans un perpétuel et incessant mouvement. Jusqu’au début du XVIIe siècle, le style du madrigal ne cessera d’évoluer.
Chaque expression, chaque sentiment, chaque affect, doit être personnifié. Mais l’aspect le plus accompli de cette remarquable tension expressive s’amorce pendant la seconde moitié du XVIe siècle jusqu’au premier tiers du suivant, et s’exprime pleinement dans les pistes gravées de ce présent disque.

Fondé en 2012 par le baryton Tobias Wicky, l’ensemble helvétique Voces Suaves réunit dans ce coffret les maîtres connus ou non de ce style musical des Cours de Mantoue et Ferrare.
Voici donc que se côtoient, le temps d’une heure, illustres et ignorés répondant aux noms de Giaches de Wert (1535-1596), Giovanni Giacomo Gastoldi (1555-1609), Luzzasco Luzzaschi (1545-1607), Lodovico Agostini (1534-1590), Carlo Guesaldo de Venosa (1566-1612), Alessandro Piccinini (1566-1638), le Duc Guglielmo Gonzaga (1538-1587), Cipriano de Rore (1515-1565), Luca Marenzio (1553-1599), Claudio Monteverdi (1567-1643).
Comme vous pourrez vous en rendre compte, ce jeune ensemble sert parfaitement cette musique dessinant les lignes mélodiques et harmoniques de chaque vers aussi fins que les délicates enluminures de Zanobi Strozzi, célèbre peintre italien.
Les neuf chanteurs – les soprani Lia Andres, Christina Boner-Sutter, les alti Gabriel Jublin, Jan Thomer, les ténors Dan Dunkelblum, Raphael Höhn et Paolo Borgonovo, le baryton Tobias Wiky et la basse Davide Benetti s’emparent du texte et incarnent avec profondeur les sentiments, les passions humaines.

Le premier madrigal Ha ninfe adorn’e belleAu milieu de sa troupe adorable de nymphes – est signé des mains de Giaches de Wert. La polyphonie est pleine renforçant les contrastes. Bien que né en Flandres, de Wert est le digne représentant de l’école franco-flamande aux doux reflets des influences italiennes. Ne serait-il pas le cordon ombilical reliant deux autres compositeurs de madrigaux, Cyprien de Rore et le maître Claudio Monteverdi ?
Toujours du même compositeur, le « sorgi » introductif du madrigal Sorgi e rischiara al tuo apparir il sieloParais, et que le ciel s’illumine à ta vue – laisse apercevoir les portes du paradis. L’expressivité est à son paroxysme. Les voix convergent vers une tension expressive bien palpable. Elles se croisent, se dispersent pour finalement se rejoindre dans une exquise consonance. Ce second madrigal est, sans nul doute, l’un des plus beaux de cet enregistrement.
Les cinq autres madrigaux de Wert, présents sur ce disque, s’inscriront dans le sillage des influences transalpines.

Dans Cantiam lieti, cantiamo, Giovanni Giacomo Gastoldi nous invite à effleurer avec beaucoup de finesse la séduction entre de jeunes bergers et de charmantes nymphes. Les voix graves courtisent les hautes dans de délicates intonations.
L’amour naissant prend vie sous les traits d’une demoiselle, I’m mi son giovinettaJouvencelle, je suis – de Luzzasco Luzzaschi extrait du Madrigali per cantare e sonare a uno, due e tre soprani datant de 1601. La ligne de soprano se colore d’une riche palette ornementale, soutenue par les délicates notes du théorbe tenu par Orí Harmelin.
La passion de la chair humaine se manifeste sans détour dans le Non t’aricordiNe te souviens-tu pas ? – de Lodovico Agostini, même si ce dernier était un prêtre…
Le style de Carlo Guesaldo développe un caractère personnel fortement ancré entre chromatismes et dissonances. Le Sento che nel partireJe sens qu’au moment de partir – à cinq voix en est le parfait exemple. Il confronte les tensions dans de flagrantes ruptures rythmiques mais également harmoniques, reflets de sa vie tâchée du sang de sa femme et de l’amant? Si particulière voire singulière soit-elle, sa musique suit les « canons » du madrigal.
Quant à Luca Marenzio, le madrigal Potrò vive rio piùPuis-je donc vivre encore à présent – développe une approche quelque peu dépressive de la vie. La ligne de soprane sauve des ténèbres cette « lamentation ». Il porte cependant l’art du madrigal à son apogée avec Claudio Monteverdi.
Tout au long de sa vie, Monteverdi composera des madrigaux, dont les premiers sont à cinq voix. Deux d’entre eux sont gravés sur le présent enregistrement, Sfogava con le stelleSous la voûte étoilée (1603) – et T’amo mia vitaJe t’aime, ô toi, ma vie ! –. Monteverdi personnifie les sentiments dans la musique. Les thèmes développés s’inscrivent dans des poèmes généralement sentimentaux. L’enchaînement mélodique des parties vocales marque l’empreinte du style madrigalesque « monteverdien ». Epuisant toutes les possibilités d’écriture polyphonique, il se tournera peu à peu vers un nouveau style, l’Opéra.

Pour agrémenter ces dix-huit madrigaux, deux pièces purement instrumentales viennent alléger les parties vocales.
Extraite du Premier livre de madrigal à quatre voix (1547) de Cyprien de Rore, la première pièce Anchor che col partire offre à Olrí Harmelin d’exprimer son talent au travers de son théorbe. A chaque pincement de cordes, la tablature apparaît à nos yeux. Les chiffres et les lettres mentionnant la place des doigts sur l’instrument et le rythme se dessinent dans l’espace rempli par la douce mélodie.
La passacaille Intavolatura di Liuto d’Alessandro Piccinini séduit l’oreille grâce à son mouvement lent et grave.

L’ensemble Voces Suaves a tenu son pari, faire découvrir ou redécouvrir les splendeurs vocales des madrigaux, tombés dans l’oubli pour certains. La fraîcheur vocale des interprètes a tenu en éveil l’oreille, flattée par cette richesse harmonique, en faveur d’un texte poétique fertile.
Les graines semées dans notre esprit laisseront croître leurs lianes aiguisant ainsi notre curiosité…

Merci à vous, artistes de Voces Suaves, pour ce fabuleux témoignage !



Publié le 24 janv. 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND