Bach/ Biber - Ginot

Bach/ Biber - Ginot © Photographie : Frederike Wetzels / Graphisme : Isabelle Servois
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Bach et Biber, le violon solo troqué pour la contrebasse, paradoxe de la muse au pied léger

Deux pôles : la musique libre et extravagante de Biber, la rigueur de la Partita de Bach, conçues pour violon et ici transcrits pour la contrebasse. Inversion de la tessiture en confiant le rôle mélodique au plus grave des instruments à cordes et non au plus aigu. Vecteur de cette aventure, un archet signé du facteur Boris Fritsch. En passeur, Florentin Ginot, issu du Conservatoire de Paris, habitué des projets innovants, créatifs, hybrides (le laboratoire HowNow impliquant les arts scéniques). Accompagné de deux instrumentistes à large spectre. Caroline Delume, qui se produit aussi bien avec Le Concert Spirituel d’Hervé Niquet que dans des albums de guitare contemporaine, incluant une participation au Marteau sans Maître sous la direction du compositeur (Deutsche Grammophon). Et Fanny Vicens, engagée dans les répertoires qui courent du baroque au contemporain, à l’accordéon (sur lequel elle vient d’enregistrer les Variations Goldberg, parues en février dernier) ou au piano - elle apparaît en solo, en ensemble, ou dans des spectacles interdisciplinaires, mêlant l’acoustique et les dispositifs électroniques. Ici aux commandes d’un synthétiseur émulé du vintage Buchla 700 (lancé en 1987, le premier de la marque à introduire le protocole MIDI) pour étayer Biber.

On aurait aimé quelques précisions sur ce synthétiseur et la façon dont il est utilisé. En l’occurrence, avec parcimonie, à l’instar d’un orgue de continuo, aux profondes résonances. Quant à un projet aussi audacieux, la notice nous laisse globalement sur notre faim : pourquoi ces œuvres là en particulier ? La célébrité de la Partita, parachevée par l’emblématique Chaconne, est certainement une clé de compréhension dans la mesure où cette pièce conclusive connut de nombreuses transcriptions, y compris pour contrebasses et octobasse (Bernard Salles). Elle reçoit écho dans la Passacaglia en sol mineur, pénultième étape du parcours.

La contrebasse laisserait-elle craindre l’embonpoint et l’indigeste ? Dans le BWV 1004, l’oreille s’habitue assez vite au gabarit du soliste, et se trouve conquise par la précision, l’articulation sans mollesse de Florentin Ginot, sa diction élégante et expressive, qui ne demande qu’à chanter et se libérer des inerties. En bottes de sept lieues. Les circonvolutions tracent un dessin net et capiteux, portés par un élan intarissable (la Giga tout en gerbe semble s’enivrer de sa propre parole). Le poids lourd de la famille se fait svelte et aérien, comme ces dames opulentes qui valsent pourtant sans effort quand l’élan y est. Certes l’ampleur et l’expansion de l’instrument risquent d’exposer les limites de tout système de reproduction sonore, particulièrement dans les passages denses et résonnants. Mais quelle éloquence ! En fin de disque, l’apparition du théorbe dans la Variatio de Biber canalise un discours allégé, comme l’opaque devenu diaphane, la masse devenue énergie pure, qui aspire aux cimes. Sorte d’ultime paraphrase à cette doctrine du Zarathoustra de Nietzsche : « qui veut apprendre à voler un jour doit d’abord apprendre à se tenir debout, à marcher, à courir, à sauter, à grimper et à danser ». Ce CD est de ceux qui intriguent d’abord, et transforment l’improbable en évidence. On remercie Florentin Ginot et ses deux complices pour cette démonstration inattendue, aux semelles de vent.



Publié le 03 oct. 2022 par Christophe Steyne