Toccatas - Bach

Toccatas - Bach ©Mat Hennek
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Un défi éphémère aux phrasés séduisants

Pour la jeune pianiste Amandine Savary, la musique est une véritable passion, une liberté d’expression qui lui est quotidienne, d’où une constante recherche et une évolution de son langage pianistique. Particulièrement sensible au génie de Jean-Sébastien Bach (1685-1750), elle choisit ses Toccatas pour relever un défi excitant qu’elle veut partager. Défi éphémère, comme toute interprétation, Amandine Savary a souhaité de fixer ce voyage sur le disque, tel une photographie d’une escale de son périple musical et pianistique, témoin d’une vision personnelle, à un stade donné de sa vie. La justification artistique de la musicienne ne va pas au-delà, ne voulant certainement pas se montrer historique, encore moins intellectuelle.

En novembre 1705, Bach se rend auprès de Dietrich Buxtehude (1637-1707), organiste et compositeur grandement reconnu de Lübeck, afin de perfectionner sa formation musicale et instrumentale. De retour à Arnstadt trois mois plus tard, le style du jeune musicien se montrera fortement marqué par cette rencontre. Deux ans plus tard, Bach est marié et il est nommé organiste à la cour de Weimar. Cette période est donc charnière dans la vie musicale du compositeur qui attend encore à s’affirmer, par l’inspiration des grands maîtres. Un style l’attire particulièrement, le Stylus Phantasticus, qui lui permet, par sa forme libre, de mettre en valeur ses talents d’improvisateur et de virtuose du clavier. C’est ainsi qu’il compose, de manière éparse, sept Toccatas. Seule sa Toccata en ut mineur BWV 911 sera éditée de son vivant à Leipzig, en 1739.

Etant donc des œuvres éparses, non réunies en un recueil, l’ordre des Toccatas est un choix de l’interprète. Amandine Savary choisit une logique tonale, en commençant par la Toccata en ut mineur, puis en parcourant les Toccatas suivantes en ne s’éloignant pas des tons voisins ou relatifs pour ne pas brusquer l’oreille d’une piste à une autre, pour terminer avec la Toccata en ré majeur, à la tonalité et à la fugue finale brillante.

Dans son touché parfaitement clair et toujours très propre, Amandine Savary se montre souvent remplie de douceur, et ce dès l’Adagio de la Toccata en ut mineur BWV 911. Ses intentions s’expriment par de subtils contrastes de nuances, dont les piani, voire les pianissimi dans la Toccata en ré mineur BWV 913, sont particulièrement bien beaux. Ses phrasés toujours très jolis, dans chacune des voix, particulièrement dans les Adagios de chacune des Toccatas, sublimés par une attention soignée à la résonance et aux silences. Ainsi, celui de la BWV 915 en sol mineur invite à la rêverie, et ceux des BWV 910 en fa dièse mineur et BWV 913 en ré mineur revêtent un caractère apaisant fort appréciable. Les fugues font cependant preuve d’une vitalité légère, innocente et enfantine avec le thème espiègle et chantant de la BWV 911, virtuose dans le discours fluide des doubles de la fugue finale de la BWV 914 en mi mineur, ou brillante dans la tarentelle fuguée qui clôt la BWV 912 en ré majeur.

Dans ses phrasés et ses propositions musicales, Amandine Savary semble avoir compris certains secrets du génie du compositeur allemand. Malheureusement, elle semble aussi ne pas oser les dévoiler entièrement, dans une interprétation qui reste encore sage. Par exemple, on peut distinguer des rythmes aux allures de Jazz dans les voix intermédiaires pourtant cachées par l’écriture contrapuntique dense ; toutefois ces surprises ne sont pas mises davantage en valeur. Car si ces Toccatas sont comme des improvisations écrites, elles ne sonnent pas ici avec la spontanéité d’une improvisation, ce qui manque un peu plus dans la Toccata en fa dièse mineur ou le début de celle en mi mineur. Dans chacune de ces pièces, malgré le touché très soigné et les talents musicaux évidents de la jeune pianiste, il manque une prise de risque, voire un grain de folie et un caractère unique, ce que permet sans doute l’écriture incroyable et inépuisable de Bach. Expressive dans le traitement des nuances que lui permet le piano, Amandine Savary ne paraît jamais utiliser l’harmonie pour diversifier sa palette expressive, ce qui est particulièrement dommage dans la Toccata en ré mineur BWV 913, où l’intense expressivité des retards à répétitions n’est pas du tout appuyée. Autre petit défaut, certains relevés de pédale souffrent d’une certaine mollesse – certainement par peur de brusquer l’auditeur –, d’où des effets à l’esthétique douteuse. C’est le cas aussi des accords égrenés de la BWV 915 en sol mineur, non exécutés à la manière du clavecin sans pour autant être véritablement assumés par un touché pianistique.

Amandine Savary signe donc une belle interprétation de ces Toccatas de Jean-Sébastien Bach, avec une réelle passion, une sensibilité musicale sincère et douce, et sans aucun doute un réel plaisir. On l’apprécierait toutefois davantage avec un peu plus d’audaces et de folies de la part de cette jeune musicienne, dans un élan plus spontané. Présentée comme une vision personnelle, la pianiste aurait pu alors donner davantage d’elle-même, musicienne sans aucun doute animée d’une personnalité unique et forte, qu’il faudra donc suivre.



Publié le 04 déc. 2017 par Emmanuel Deroeux