Bello tiempo passato - Boerio

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Le plus ancien intermezzo napolitain connu à ce jour

Bello tiempo passato est un intermezzo comique tiré d’Il disperato innocente, un drame héroï-comique de Francesco Antonio Boerio d’après un livret de Baldassare Pisani (1650- ? ), donné à Naples en 1673. La révision et la reconstruction du manuscrit ont été effectués par Antonio Florio. On ne sait presque rien sur Francesco Antonio Boerio dont les dates de naissances et de décès sont inconnues. Son unique opéra, Il disperato innocente a été donné les 11 et 12 février 2003 à l’Opéra municipal de Clermont-Ferrand par Antonio Florio avec succès et une excellente critique dans Diapason ; malheureusement il ne reste aucune trace, à ma connaissance, de ces représentations.

L’histoire des intermezzi comiques accompagnant un opéra seria, un mélodrame profane et même un opéra sacré, débute probablement à Venise à l’orée du dix septième siècle. L’opéra alla veneziana arrive à Naples à partir de 1650. Dans ce genre triomphe Francesco Provenzale (1632-1704). Un bel exemple est La Colomba ferita, l’histoire de Sainte Rosalie, chef-d’œuvre lyrique de Provenzale complété par un intermède comique dans lequel figurent trois personnages emblématiques : le Napolitain, le Calabrais et un jeune garçon farceur qui se moque de ses deux aînés.

La partition manuscrite du Disperato innocente de Boerio, opéra représenté au théâtre San Bartolomeo en 1673, a survécu parmi les trésors de la mythique bibliothèque du Conservatoire San Pietro a Majella de Naples avec le titre de La Lisaura, du nom de la protagoniste principale. Le manuscrit accueille dans sa partie finale un prologue pour deux personnages, Micco con colascione et Cuosmo con violino, suivi par un intermède à quatre protagonistes : Calabrese, Napolitano, Ragazzo et Spagnolo. Ces deux parties étaient destinées à être insérées dans Il disperato innocente lors de l’exécution de l’œuvre. Le caractère exceptionnel de ce manuscrit est d’accueillir le plus antique intermezzo comique d’opéra napolitain et peut-être de tout le répertoire de théâtre en musique du 17ème siècle. L’attribution à Boerio du prologue et de l’intermède est peut-être à revoir. Un certain nombre d’arguments permettent aux musicologues de suggérer que Provenzale pourrait en fait être à l’origine de l’intermezzo présent dans Il disperato innocente de Boerio.

Un élément comique majeur se trouve dans l’utilisation de langues vernaculaires. Tandis que le Prologo est chanté par Micco et Cuosmo en langue napolitaine, les quatre protagonistes de l’intermède s’expriment dans des langues différentes : Napolitano parle napolitain, Calabrese s’exprime en calabrais, Ragazzo en italien (florentin) et Spagnuolo en espagnol mâtiné de napolitain et d’italien. Ce joyeux mélange linguistique, typique de la commedia dell’arte, ne posait pas de problèmes au public de Naples qui était une ville cosmopolite. Le napolitain était la madrelingua dans toutes les classes sociales. La Calabre, région pauvre, étant très proche de la Campanie, beaucoup de calabrais venaient tenter leur chance à Naples, une des villes les plus riches de la péninsule à cette époque. Enfin Naples et une partie de l’Italie du sud étant sous domination espagnole à partir de 1504 et jusqu’au Risorgimento au 19ème siècle, il était probable que le castillan était parlée par une partie de la population. Cette présence espagnole est encore perceptible dans le tracé et les noms des rues, quelques monuments et certaines traditions des quartiers espagnols (quartieri spagnoli) de Naples.

Dans les ruelles de la Naples espagnole du dix septième siècle, erre Calabrese qui se lamente car il meurt de faim. Surgit Napolitano, probablement un aubergiste qui veut profiter de la naïveté de l’étranger pour lui soutirer de l’argent en lui proposant des mets appétissants. Il est interrompu par Ragazzo, un adolescent qui veut s’amuser au dépens du vieux calabrais en lui faisant des farces. Il lui envoie un jet d’eau et prend la fuite suivi par le Calabrais au grand dam du Napolitain. Calabrese revient et Napolitano semble en mesure de le convaincre de consommer ses produits mais Ragazzo réapparaît en quête de nouvelles facéties. Les deux compères arrivent à neutraliser le garçon et vont enfin se concentrer sur leur affaire quand surgit un soldat espagnol qui effraye les deux comparses par ses rodomontades et les moulinets de son épée. Cachés sous une table et d’abord terrorisés, les deux compères commencent à comprendre que l’espagnol n’est pas aussi invincible qu’il le prétend ; ils osent même se moquer de lui. On semble s’orienter vers un combat quand survient Ragazzo qui se vante d’être un chasseur de gros gibier, il devient si audacieux que Spagnolo tente de le frapper avec son épée mais le garçon est plus véloce et contraint le soldat à une fuite honteuse. Le danger étant écarté, Napolitano et Calabrese reprennent leurs tractations mais l’opération échoue car l’avide aubergiste exige le paiement immédiat d’une note particulièrement salée ; c’est alors que réapparaît le garçon qui remet à sa place l’arrogant Napolitain, le contraint à lui rendre hommage… et à saluer le public car le spectacle est terminé.

Le recitar cantando est relativement peu important dans cette œuvre, on y entend surtout des arias accompagnées par une basse continue étoffée. L’aria se termine souvent par un tutti dans lequel interviennent les deux violons. Des interludes instrumentaux permettent de passer d’une scène à l’autre ; quelques uns sont mimés par les acteurs. Les plus remarquables sont les deux tarentelles et les deux passacailles. Ces quatre pièces donnent lieu à de beaux solos d’archiluth, de théorbe, de colascione (ou colachon, grand théorbe napolitain) et de guitare espagnole, elles sont souvent dansées par les protagonistes. Parmi les plus beaux passages, j’ai sélectionné : le prologue dans son ensemble (pistes 1 et 2), la superbe aria de Napolitano (piste 4), Vi como voglio fa, dont les strophes sont accompagnées par l’archiluth et le continuo avec beaucoup de variété. Plus loin Ragazzo chante un air très charmant (piste 7), Oh che gusto, poter di Bacco, Spagnolo entre à son tour en scène et chante une mélodie au caractère syncopé (piste 13), Pues, yo soy aquel famoso, accompagné par la guitare espagnole. Ragazzo est très séduisant dans son air délicieux, Or via su la difesa (piste 19).

Napolitano arbore le costume de Pulecenella (Pulcinella, qui a donné notre Polichinelle), personnage emblématique de Naples et de la commedia dell’arte. Il est interprété magistralement par Pino de Vittorio, un ténor rompu aux rôles de la comédie italienne. Il fut déjà un émouvant Pulecenella (sous le nom de Giuseppe de Vittorio) dans le savoureux Pulcinella vendicato nel ritorno di Marechiaro de Giovanni Paisiello (1740-1816) chanté presqu’exclusivement en napolitain, ainsi qu’un Mafaro remarqué dans Il disperato innocente de Boerio donné à l’Opéra municipal de Clermont-Ferrand en 2003. Calabrese porte un costume de gentilhomme, il est interprété par Giuseppe Naviglio, baryton à la belle voix bien projetée et la belle diction, inoubliable Coviello, dans le chef d’œuvre cité plus haut de Paisiello et excellent mage dans l’opéra de Boerio. Le soldat espagnol vêtu d’un costume aux brillantes couleurs, est incarné avec beaucoup d’engagement par Rosario Totaro, ténor, précédemment don Camillo dans la comédie de Paisiello et enfin le rôle du garçon est joué par Olga Cafiro, soprano dont le beau costume bleu, le bonnet noir surmonté d’un plumet rouge et la voix fraîche et agile apportent une gaité et une santé bienvenues face aux évolutions grotesques et quelque peu ridicules des gentilshommes. Antonio Florio dirige la Capella Neapolitana (anciennement Capella de’Turchini) avec son souci de l’authenticité et sa recherche du son historiquement informé qui est sa marque de fabrique.

L’intermezzo Bello Tiempo passato, par son caractère typique de la commedia dell’arte et la beauté de sa musique, saura plaire à tous, y compris les auditeurs qui ne connaissent pas l’italien ou a fortiori le napolitain ou le calabrais. Ceux qui comprennent et peut-être parlent ces idiomes seront ravis par les nombreuses touches humoristiques dont ils saisiront la finesse et surtout seront profondément émus par la vérité des sentiments exprimés. J’eusse cependant préféré que les artisans de cette remarquable gravure publiassent le livret de cet intermezzo. Mais ne boudons pas notre plaisir ! Désormais un pan essentiel de la culture napolitaine est gravée dans le marbre grâce à ce merveilleux DVD.



Publié le 26 nov. 2024 par Pierre Benveniste