Le Bestiaire abécédaire

Le Bestiaire abécédaire ©Ensemble Artifices / Editions Seulétoile
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Rêves d’enfant, joies d’adulte …

En 2019, nous nous étions écartés des chemins balisés avec le conte musical Le Violon et l’Oiseau de l’Ensemble Artifices (lire notre chronique). Aujourd’hui, notre regard se pose sur la nouvelle proposition de l’Ensemble : Le Bestiaire abécédaire. Le projet est réalisé en milieu scolaire par les artistes de la formation, les enseignants et les élèves (entre 3 et 10ans) des écoles maternelles et primaires de La Chaux (71, Saône-et-Loire), de Raddon et de Breuchotte (70, Haute-Saône).

Gravé sous le label Seulétoile, le livre-disque s’adresse aux petits comme aux grands. Créées en 2012 par la violoniste baroque Alice Julien-Laferrière, les éditions Seulétoile font référence à la devise « Seule étoile » qui orne l’intérieur des Hospices de Beaune. Devise déclinée soit en tapisseries, soit en carreaux vernissés, soit en ferronnerie. Pour rappel, la devise émane du sieur Nicolas Rolin (1376-1462), chancelier du duc de Bourgogne, Philippe le Bon (1396-1467), en témoignage de l’amour porté à son épouse, dame Guigone de Salins (1403-1470). La maison d’édition poursuit librement la diffusion de coffrets/livrets où se mêlent plusieurs disciplines (musique, chant, illustration et littérature). La même année, Alice Julien-Laferrière crée l’Ensemble Artifices. Reprenant les codes baroques, il s’est spécialisé dans les domaines de l’imitation, du pastiche et de l’illusion. Ses interventions prennent différentes formes : concerts, spectacles, conférences musicales, ...

Le Bestiaire abécédaire s’inscrit dans une démarche pédagogique qui sonne l’unisson des différents intervenants (artistes, enseignants et élèves). Chacun ayant joué un rôle actif dans l’élaboration du projet.
Dès la découverte du livre-disque, remarquons le soin apporté à l’iconographie et l’esthétisme de l’ouvrage comme en témoignent la première de couverture du livre et la face du disque. Une abondance d’animaux et d’insectes multicolores les décore. L’esprit créatif et imaginatif des enfants resplendit au travers des couleurs vives employées. Nous y découvrons une abeille aux tons vert et brun, un dauphin bleu, une gerboise aux teintes jaune orangé, un héron drapé d’un camaïeu de gris, un kinkajou (espèce de mammifères arboricoles et nocturnes, au pelage nuancé de beige, de la forêt humide des Guyanes, de l'Amazonie, des Andes et de l'Amérique centrale) au rouge vif sang improbable, …


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Le Bestiaire abécédaire – Ensemble Artifices © Ensemble Artifices / Editions Seulétoile

Le livre s’ouvre par une préface en forme d’acrostiche (poème ou strophe où les initiales de chaque vers, lues dans le sens vertical, composent un nom ou un mot-clé). Il est ici l’éponyme du titre du livre-disque. Les enfants expliquent avec des mots simples le contenu de l’ouvrage regroupant 26 animaux classés par ordre alphabétique, puisqu’il est question d’un bestiaire abécédaire….


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Le Bestiaire abécédaire – Ensemble Artifices © Ensemble Artifices / Editions Seulétoile

L’ordonnancement, ainsi souhaité, met à l’honneur des animaux, d’ici et d’ailleurs, dans des couleurs nées de l’imaginaire de l’enfance. Dessinés en lettrines enluminées, ils prennent vie sous forme de rondeaux, comptines, chansons, ballades. En histoire, en fables et en musique ! Chaque lettre de l’alphabet évoque un animal.
Prenons l’exemple du « A » dévolu à abeille… Observons les contrastes de valeurs qui s’opposent entres les couleurs claires et sombres. Le vert absinthe de la lettre tranche sur le fond bleu de minuit tiré au pinceau qui, lui-même, illumine le vert chartreuse. Le texte, écrit par les enfants comme pour chacune des autres lettres, reflète le côté charmant de l’ouvrage. Des mots simples imagent et résument la vie de l’insecte dans son environnement.


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Le Bestiaire abécédaire – Ensemble Artifices © Ensemble Artifices / Editions Seulétoile

Ou bien ceux du « I » pour l’ibis et du « J » pour le jabiru (oiseau échassier des régions chaudes, à gros bec, voisin de la cigogne – ciconiidés). L’empagement offre une belle place aux dessins des petits.


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Le Bestiaire abécédaire – Ensemble Artifices © Ensemble Artifices / Editions Seulétoile

Ou le « U » jaune pour l’urubu. Ou encore le « V » aux teintes sémillantes de rouge orangé qui fait découvrir une bête inconnue : le vespertilion. Une petite chauve-souris cosmopolite insectivore, à grandes oreilles, à queue importante, dépourvue de feuille nasale. Comme quoi nous apprenons à tout âge !
Les couleurs saturées (opposition de couleurs fortes, vives et/ou lumineuses) captivent notre regard.


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Le Bestiaire abécédaire – Ensemble Artifices © Ensemble Artifices / Editions Seulétoile

En appui des écrits enfantins, nous découvrons des fables, d’après Jean de La Fontaine (1621-1695), mises en musique au XVIIIème siècle. La Belette dans le grenier : voleurs attrapés, Le Héron : le dédaigneux, Le rat dans un fromage de Hollande : l’hypocrite reclus, Le Lion et le Moucheron : l’arrogance, La Cigale et la Fourmi, Le Lion devenu vieux (arrangement du compositeur et organiste Alexandre Bruneau, 1823-1899). Ou des poèmes de Guillaume Apollinaire (1880-1918), extraits du Bestiaire ou Cortège d’Orphée (1911) : La Carpe, Le dauphin et La Sauterelle.
Notre ouïe se rassasie grâce aux belles pages du répertoire baroque. Entre autres François Couperin (1668-1733) pour l’abeille (piste 2) et le papillon (p. 25) ou Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737) pour le moucheron également (p. 20) et Louis de Caix d’Hervelois (1677-1759) pour la sauterelle (p. 32). Et du répertoire contemporain : Camille Saint-Saëns (1835-1921) pour l’éléphant (p. 10), Francis Poulenc (1899-1963) pour le dauphin (p. 7) et Aristide Maori avec la composition originale La Ballade de l’Yponomeute et du Zancle (p. 37).

Apprécions la qualité des interprètes de l’ensemble Artifices. Le violon d’Alice Julien-Laferrière sonne, comme à l’accoutumée, au plus juste. Les flûtes de Matthieu Bertaud aux sonorités douces soulignent les courbures des textes chantés ou parlés. La viole de gambe de Julie Dessaint nourrit ses inflexions sur celles des voix. Quant au clavecin de Takahisa Aida, il sert d’ossature et de ligne directrice tout comme le tambourin d’Etienne Bazola qui scande les parties rythmiques avec énergie. Nous retiendrons particulièrement ses interventions au chant : la carpe (p. 6), le dauphin (p. 7). Mais aussi l’air entraînant de l’éléphant (p. 10), extrait musical du Carnaval des animaux (1886) de Saint-Saëns. Employant un registre grave charnu, Etienne Bazola chante « Les éléphants aiment la musique et s’agitent doucement au son des instruments ». Ou encore en voix de poitrine, aux accents baroques, dans la cigale et la fourmi (p. 12). Une belle voix pleine !

L’humour ne fait pas défaut ! Derrière l’ultime lettre de l’alphabet figure une autre lettre... de réclamation. Missive adressée par une certaine Madame Velodona Togata (espèce de pieuvre), contrariée d’avoir été oubliée dans Le Bestiaire abécédaire. Quelle injustice tentaculaire !

Malgré cette fâcherie, le travail soigné convie au partage musical et visuel, le Bestiaire abécédaire propose un assemblage abouti entre la littérature illustrée par les enfants et la musique seule ou en accompagnement du chant. Ce livre-disque vient réveiller la part d’enfance qui sommeille, ancrée au fond de chacun de nous. Ainsi les artistes de l’Ensemble, les enseignants et les élèves ont répandu grâce au label Seulétoile une gerbe de rêves d’enfants, joies d’adultes…



Publié le 25 mars 2022 par Jean-Stéphane SOURD DURAND