Pièces de viole - Caix d'Hervelois

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La Rêveuse rend justice à Caix d’Hervelois

Le dernier enregistrement de l’ensemble La Rêveuse est consacré à un compositeur de la fin de l’époque baroque quasiment tombé dans l’oubli : Louis de Caix d’Hervelois. On trouvera ici une présentation de cet enregistrement Toutefois, ce compositeur rarement enregistré n’est pas totalement inconnu des amateurs. En effet, en 1977 déjà, Jordi Savall accompagné d’Ariane Maurette, d’Hopkinson Smith et de Ton Koopman enregistraient pour la première fois et sur instruments d’époque deux suites extraites des Premier et Troisième Livre, accompagnées de commentaires de Philippe Beaussant ! (à écouter ici). Cet enregistrement en 33 tours à l’origine, n'a hélas été réédité qu’une seule fois en CD, il est désormais quasi introuvable bien que l’interprétation des pièces proposées n’ait pas pris une ride en plus de quarante ans.

Mais que sait-on vraiment de ce compositeur ? Peu de choses en fait. De son vrai nom Louis Dervelois (de Caix étant le nom de sa mère, issue d’une ancienne famille noble retombée en roture), il est né en 1677 en Picardie dans le village d’Ainval situé dans l’actuel département de la Somme. Il décède à Paris en 1759. Contemporain de Jacques Morel, de Charles Dollé (1710-1755), des Forqueray père (1650-1714) et fils (1699-1782), et de François Couperin (1668-1733), il est considéré comme l’un des derniers grands compositeurs de l’école française de viole. Il fut très probablement l’un des élèves de Marin Marais (1656-1728), sans que cela puisse être confirmé par un écrit ou un témoignage de l’époque. Pour l’anecdote, il est cité indirectement dans un texte d’archives datant du 3 août 1697 : «… Ce mesme jour sur ce que Monsieur Dongrois a représenté à la Compagnie que Me Louys de Kais, chapelain ordinaire, a avec luy un neveu qui s’estudie à jouer de la basse de viole dont le bruit l’incommode; que puisqu’il y a dans le mesme escalier une chambre qui n’est point occupée, il prie la Compagnie d’en permettre l’usage à son neveu à condition d’en rendre la clef sitost qu’elle le désirera. L’affaire mise en délibération, elle luy a accordé l’usage de la chambre. ». Ainsi, sait on que l’un de ses voisins n’était absolument pas sensible au son de sa viole au point de le qualifier de « bruit » !

Un musicien libre

Prenant pour nom usuel « Louis de Caix d’Hervelois », il consacre toute sa carrière musicale à composer pour la basse de viole, y compris quand elle commencera à être supplantée en France par le violoncelle, au grand désespoir d’Hubert Le Blanc qui écrivit le fameux traité intitulé Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle, publié en 1740. Il compte donc parmi les derniers irréductibles de la viole qui ont contribué à ses dernières œuvres de gloire, à une période charnière de l’histoire de la musique qui verra une évolution à la fois des formes et des instruments. Enfin, on sait aussi de lui qu’il vécut de façon plutôt discrète dans la paroisse Saint Eustache à Paris en donnant notamment des cours de viole à la bourgeoisie parisienne tout en publiant ses compositions, et que pour ne pas dépendre d’un riche mécène ou d’un protecteur, il fut toujours soucieux de s’assurer une indépendance financière. Avec la généreuse dot reçue lors de son mariage, il se lança avec une certaine réussite dans la spéculation immobilière.


Portrait présumé de Louis Caix d’Hervelois et de sa fille Anne (coll. particulière)

Sa musique illustre l’évolution du répertoire de la viole à cette époque, dans un style tardif, galant pourrait-on dire, relevant d’une esthétique plus légère et influencée par la mode italienne. Caix d’Hervelois est en quelque sorte l'illustration musicale du changement de société qui est en train de se faire. Avec environ quatre cent soixante pièces publiées, il se place juste derrière Marin Marais. Mais comment expliquer alors la quasi absence de commentaires de ses contemporains eu égard à l'abondance de ses publications qui dénote un succès considérable auprès du public ! C'est d’autant plus curieux que les anthologies des pièces à succès de l'époque ou encore les cahiers d'étudiants renferment bon nombre de pièces de Caix d’Hervelois, Marais et Forqueray y étant beaucoup moins présents.

Il composera des suites pour viole seule ou pour deux violes avec basse continue, mais aussi des pièces pour pardessus de viole « qui peuvent aussi se jouer à la flûte traversière » comme il est précisé dans son Cinquième et Sixième Livre, l’écriture étant vraisemblablement simplifiée dans le but de les rendre accessibles à cet instrument. Mais Louis de Caix d’Hervelois s’est aussi intéressé à la flûte traversière, très probablement sous l’influence de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), qui a habité dans la même maison située rue du Jour juste derrière l’église Saint Eustache. Tout laisse à penser que les deux hommes se connaissaient et furent peut-être même amis. Enfin, et pour l’anecdote, son inventaire après décès dressé du 12 novembre au 5 décembre 1759 mentionnera notamment... trente et une basses de viole, cinq pardessus de viole, quatre dessus de viole ainsi que vingt deux archets ! (pour en savoir plus au sujet de Caix d’Hervelois on pourra également consulter ce lien).

Les diverses facettes de Caix d’Hervelois

Dans cet album, Florence Bolton et La Rêveuse proposent trois Suites pour viole et basse continue, mais aussi une Suite pour pardessus de viole, un instrument de la famille des violes, plus petit réservé à l’époque aux dames pour lesquelles il était inconvenant de jouer du violon. Ces suites de pièces regroupées par tonalités sont extraites des six livres publiés par le compositeur tout au long de sa carrière musicale. Après mures réflexions, les musiciens de l’ensemble La Rêveuse ont choisi de ne pas proposer des suites telles qu'elles ont été écrites et publiées dans leur intégralité, mais plutôt d’associer entre elles des pièces cohérentes de la même tonalité, issues de livres différents écrits à des époques différentes. Quoiqu’il en soit, il s’agissait déjà d’une pratique courante à l’époque, notamment chez Marin Marais, qui réécrira des suites avec des pièces écrites antérieurement en les regroupant par tonalité. Caix d’Hervelois fera de même dans ses recueils en particulier ceux pour le traverso ou le pardessus, en les modifiant entre autres pour en simplifier l’exécution, et afin de s’adapter aux instruments, quand il ne modifiera pas les noms des pièces elles mêmes. Figurent également au programme une pièce seule intitulée La Berg-Op-Zoom, et deux transcriptions de pièces pour le théorbe et la guitare seuls réalisées par Benjamin Perrot.


Premier Livre de pièces de viole

Dès les premières mesures de La Bergeret, toute première pièce au programme de l’enregistrement, on entrevoit immédiatement une filiation avec Marin Marais. Cette filiation est encore plus marquée dans Le Biron, la pièce qui suit immédiatement et que l’on retrouve également dans l’album de Savall. Pleine de délicatesse et de retenue, cette pièce dédiée à Louis Antoine de Gontaut, marquis de Biron est jouée par une viole seule accompagnée du théorbe, une seconde viole assurant un continuo discret mais particulièrement réussi ! Au fil de l’écoute, apparaissent des pages d’une beauté pure, dont le style s’éloigne d’un Marais mélancolique ou d’un Forqueray impétueux. A travers La Sauterelle, évocation de l’insecte, le compositeur propose une pièce joyeuse et haute en couleurs. La Toute Belle qui suit est particulièrement caractéristique du style d’écriture de Caix d’Hervelois, maniant à merveille les contrastes et les couleurs. Certaines pages se révèlent des plus inspirées avec quelques authentiques merveilles telle La Couperin, une pièce de caractère pleine de poésie dans laquelle il reprend la forme du double rondeau qui évoque l’une des formes musicales favorites du grand François.

On notera par ailleurs L’Angélique, un touchant portrait musical tout empreint de finesse, de tendresse aussi, de la propre fille de Caix d’Hervelois. Étonnante, La Senaillé, dédiée au compositeur Jean-Baptiste Senaillé, dans laquelle Caix d’Hervelois s’est très largement inspiré de la gavotte de la sonate 5 de son opus 1 en modifiant la tonalité de do mineur en ré mineur. A titre de précision, ce compositeur était totalement tombé dans l’oubli et quasi inconnu il y a encore deux ans (voir la chronique). Autre belle pièce à mentionner, le grand rondeau intitulé La Berg Op Zoom. Le titre fait référence au siège victorieux en 1747 des armées de Louis XV de cette ville des Provinces Unies réputée imprenable. Dans cette pièce écrite peu de temps après cette victoire militaire de la France, le compositeur manie à merveille l’art du contraste. Reposant sur l’alternance d’un refrain et de couplets, ce rondeau en mode majeur enchaîne ensuite sur un rondeau en mode mineur pour conclure sur un final en mode majeur. L’ensemble est intéressant de par sa construction originale car il ne répond pas aux formes standards en vigueur à l’époque et témoigne du goût pour l’originalité du compositeur.

Une transcription particulièrement réussie

La Plainte est une transcription réalisée par Benjamin Perrot pour le théorbe seul d’une pièce figurant sur l’album de Savall, mais dans sa version originale pour viole accompagnée du seul théorbe en basse continue. Ces transcriptions étaient monnaie courante à l’époque, comme en témoignent les nombreux manuscrits de luth qui en regorgent. D’allure méditative, empreinte d’une grande sérénité, son interprétation à la fois pleine de gravité et de délicatesse est particulièrement réussie.

La Suite pour traverso et basse continue en ré majeur permet d’entrevoir une autre facette du compositeur. Écrite à l’origine pour pardessus de viole et arrangée par Caix d’Hervelois pour la flûte, elle se révèle toutefois d’excellente facture et n’est pas sans rappeler les Suites de Michel de La Barre (1675-1745) - qui est, comme Caix d’Hervelois, un grand oublié du disque ! - un musicien et compositeur quasi contemporain de Caix d’Hervelois qui a suscité la mode de cet instrument avec Jacques-Martin Hotteterre (1673-1763) ou Michel Blavet (1700-1768).

Caix d’Hervelois ne s'est probablement pas vraiment intéressé à cet instrument, il n’était d’ailleurs certainement pas flûtiste lui-même, aucune flûte ne figurant dans son inventaire après décès. Et, comme le précise Florence Bolton, si Caix d’Hervelois a composé pour la flûte, c'est sans doute en raison de l'amitié probable qui l'unit à Boismortier, flûtiste et compositeur émérite. Mais certainement aussi pour des raisons purement commerciales : la musique pour flûte, instrument désormais en vogue, se vend très bien à l'époque !


Troisième Livre de pièces de viole

On notera tout particulièrement dans cette suite L’Henriette, un dialogue des plus galants entre la flûte et la viole, soutenu par un continuo parfait. Extraite du Ve Livre de pièces de viole, elle est dédiée comme l’opus complet dont elle est tirée à Henriette de France, l’une des filles de Louis XV. Et il convient de souligner la grande qualité de jeu de Serge Saitta, sa maîtrise des ornementations et surtout la qualité du son lui-même. Le final endiablé interprété au traverso piccolo appelé aussi à l'époque « petite flûte » se compose de deux pièces accolées : La Bagatelle et La Follette. Jouées sur un ton, enlevé et joyeux, elles offrent une conclusion brillante à cette suite qui fait figure de révélation !

Le « violon » des dames

La Suite pour pardessus de viole en sol mineur permet elle aussi la découverte d’un autre aspect de la musique du compositeur. Florence Bolton « rêvait d'une petite contribution au pardessus de viole, instrument qui mérite, comme Caix, d'être un peu plus dans la lumière. La Rêveuse propose d'ailleurs depuis quelques années une conférence musicale sur les femmes musiciennes au XVIIIe siècle dans lequel le pardessus occupe une place privilégiée ». Cette suite est intéressante à plus d’un titre. En effet, les enregistrements de pardessus de viole sont relativement rares, et le son de l’instrument en lui même n’est pas toujours des plus plaisants… Mais il faut toujours se garder de ses préjugés car dans le cas présent, bien au contraire, le son de l’instrument est irréprochable. On y retrouve une déclinaison de La Quinson de la première suite en sol mineur de l’album. L’ensemble La Rêveuse a choisi délibérément de faire figurer dans l’enregistrement les deux versions afin de mettre en exergue un point intéressant : la basse de viole étant l’instrument de prédilection de Caix d’Hervelois, c'est pour la viole qu’ont été composées les meilleures de ses pièces. Mais lorsqu’il les adapte pour un instrument de dessus, il les recoupe et les simplifie.  La Christine est particulièrement intéressante aussi car elle constitue une parfaite illustration du style galant de l’époque, et de la musique que jouaient les dames de l’époque dans les salons. De surcroît, elle est servie par un beau son, nullement agressif, il convient d’ajouter qu’elle n’a jamais été enregistrée auparavant, comme la plupart des pièces présentées (à écouter ici).

De toute évidence, cet album proposé par l’ensemble La Rêveuse est un bien bel hommage à Louis de Caix d'Hervelois qui compte parmi les compositeurs qui ont hautement contribué à la renommée de l’école française de viole. Moins joué que Sainte-Colombe, Marais ou Forqueray, et hélas très peu enregistré, ses compositions d’une grande originalité sont du plus grand intérêt et constituent un témoignage de la musique pour la viole au début de son déclin. Un bien bel exemple de l’élégance à la française ! L’interprétation qu’en propose l’ensemble la Rêveuse est totalement irréprochable. L’ensemble La Rêveuse fait la démonstration d’une grande aisance technique et d’une belle complicité musicale entre ses membres. La prise de son réalisée au château de Chambord est particulièrement soignée. Cet album rend donc justice à un compositeur injustement méconnu, il explore différentes facettes de son talent de musicien tout en ayant le mérite de combler un grand vide. « Notre idée était de donner en un seul disque une image relativement complète de Caix d’Hervelois, ce qui reste un défi, vu la quantité de musique écrite, presque autant de publications que Marais avec ses livres de viole. Si l'on veut placer en plus une suite de pardessus et une de traverso, ça laisse peu de place au reste. Il reste un peu de frustration de ne pas avoir enregistré telle ou telle pièce mais c'est ainsi, un disque ne peut pas être trop long ! ».

Florence Bolton affirme par ailleurs que « Caix d’Hervelois s’est montré plus technique, plus brillant et aussi plus italien que Marin Marais . Le style de Caix, plus simple, un peu moins noble et moins sombre que celui d'un Marais, plaît sans doute à cette nouvelle classe bourgeoise qui prend de plus en plus de place dans la société du XVIIIe siècle ». Lui reviendra donc le mot de la fin :« Puisse ce disque lui rendre un visage et rappeler combien il mérite de figurer au panthéon des grands violistes qui ont façonné la fameuse école française de viole et défendu avec foi et conviction ce bel instrument». De toute évidence, le but est atteint.



Publié le 07 avr. 2022 par Eric Lambert