Concerti di Parigi - Vivaldi

Concerti di Parigi - Vivaldi ©
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Un kaléidoscope virevoltant de personnages et de théâtre instrumental

De visite à Venise en 1715 pour le Carnaval, l’architecte allemand Johann Friedrich Von Uffenbach assiste à des concerts d’un compositeur dont il admirait déjà les œuvres, Antonio Vivaldi (1678-1741). Violoniste amateur, Von Uffenbach profite de sa rencontre avec le maestro di violino pour prendre lui-même quelques cours lors desquels il est grandement impressionné de la virtuosité, aussi maîtrisée que naturelle, de celui que l’on surnomme « le Prêtre roux ». Le patricien mélomane décide alors de lui commander dix concerti grossi. La commande est honorée en trois jours seulement. Certes, le recueil rassemble des travaux préexistants, avec en sus deux concerti écrits en hommage au mécène et ambassadeur de France à Venise, Vincent Languet. Ces deux œuvres, RV 133 et RV 114, sont les seules qui puissent porter véritablement le titre de « parisiens », avec les rythmes pointés évidemment empruntés au style français. Toutefois, le manuscrit du recueil ayant été conservé à Paris, toutes les œuvres du corpus sont dites Concertos de Paris.

Si Vivaldi est souvent connu d’abord pour ses concertos, il était d’abord un homme de théâtre. Cette passion pour les descriptions, les émotions et l’action transpire dans toute son œuvre, qu’elle soit lyrique ou purement instrumentale. Les concerti di Parigi ne sont sans doute pas les œuvres les plus souvent entendues du célèbre compositeur italien, pourtant elles ne manquent pas de toutes les qualités que l’on apprécie tant chez Vivaldi : virtuosité, clarté du discours et exubérance des couleurs avec une bonne dose d’espièglerie. C’est tout cet univers de théâtre que Federico Maria Sardelli et son Modo Antiquo ont voulu partager dans cet enregistrement. S’il date de 1999, son succès impose en 2019 une réédition.

Federico Maria Sardelli a bien compris tout l’aspect théâtral de ces douze concerti qui semblent décrire tous des personnages ou des atmosphères bien définis, parfois même aux caractères bien trempés. Cette interprétation requiert assurément des choix qui, bien que parfois discutables, savent convaincre pleinement, car pleinement assumés. On peut ainsi, entre autres, être témoins de la tempête qu’endure le personnage pourtant si solennel et altier du Concerto en Sol mineur RV 157 ; de la peine qui pèse si lourdement sur le cœur du Concerto en Mi mineur RV 133 qui en devient même violent dans l’Allegro final ; du mystère frémissant du Concerto en Do mineur RV 119 ; de l’innocence guillerette et dansante du Concerto en Fa Majeur RV 134 ; de la fière chevauchée se transformant en une chaconne qui prend les airs d’un tendre rendez-vous avec le Concerto en Do Majeur RV 114 ou encore du paysage glacial du mouvement central du Concerto en Ré mineur RV 127.

Toutes ces histoires palpitantes dans lesquelles est emporté l’auditeur sont possibles grâce au jeu investi des quinze musiciens du Modo Antiquo. Alors que les œuvres sont assez courtes – de 4 à 5 minutes –, ils réussissent à servir la musique qui crée d’elle-même des atmosphères et dépeint le caractère de personnages avec comme une évidence. L’ensemble n’est donc jamais avare d’effets de dynamiques et de nuances colorés sans toutefois aucune brutalité et extravagance gratuites. La présence patente, voire percussive, de l’archiluth aide sans doute à apprécier la palette d’effets qu’offre Modo Antiquo. On peut également particulièrement jouir des utilisations des silences et des résonances dans les parties lentes, qui sont alors très expressives sans tomber dans le pathos inutile. On peut craindre parfois que la virtuosité virevoltante – dont celle des basses est souvent et particulièrement admirable – ne fasse tomber dans l’excitation et la précipitation. Federico Maria Sardelli se montre tout à fait capable de tenir les rênes de son ensemble.

On peut parfois regretter que les pupitres intermédiaires, les altos en l’occurrence, n’aient pas toujours la mise en valeur que l’on attendrait dans certains contre-chant inattendus, par exemple dans l’Allegro du Concerto en Ré mineur RV 127 : les dessus et les basses dépeignent très bien la terrible tempête mais l’on entend mal les altos et les violons II qui, étrangement, s’amusent effrontément. Les effets de stéréophonies entre les violons ne sont pas flagrants. Toutefois on peut apprécier la prise de son de qui sait mettre sur le même plan toutes les parties lorsque l’effet est souhaité, tel lors des jeux de réponses entre les différentes parties de violons dans l’Allegro du Concerto en Sol Majeur RV 150.

A l’écoute de ces œuvres, on se met aisément à la place du commanditaire de ces concerti, Von Uffenbach, tout aussi admiratif de la maîtrise instrumentale d’Antonio Vivaldi que de celle de l’art du théâtre. On ne peut que se réjouir de la récente réédition de l’enregistrement signé par Modo Antiquo qui se montre capable de s’approprier ces douze concerti et de nous partager tout le plaisir, prenant et surprenant, qu’ils ont pu lui offrir.



Publié le 14 avr. 2020 par Emmanuel Deroeux