Concerti grossi – Haendel

Concerti grossi – Haendel ©Jan van Call : Walkers in the great garden of Het Loo Palace, 1694-97. Rijksmuseum, Amsterdam
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Une finesse d’interprétation qui ne vieillit pas

Lors de la période du Baroque, les compositeurs sont friands de concertos : ils sont des occasions de montrer leurs propres talents en tant qu’instrumentistes ou de valoriser ceux de leurs élèves virtuoses. C’est aussi un moyen très efficace pour se rémunérer, et assez rapidement. Georg Friedrich Haendel (1685-1759), parti à la conquête du succès en Angleterre en 1712, y a grandement besoin d’argent. Fin entrepreneur, il écrit alors de nombreux concertos qu’il offre au public lors des entractes de ses concerts, opéras ou oratorios. Livrant ainsi ses dernières compositions, au compte-goutte, il attire de nouveaux investisseurs dans ses projets d’opéras ou d’éditions. En octobre 1739, Haendel profite du vingt-cinquième anniversaire de la publication des douze Concertos op.6 d’Arcangelo Corelli (1653-1713), forts appréciés dans la capitale britannique, pour composer à son tour, sous couvert d’hommage au compositeur italien, douze Grands Concertos – soit l’équivalent italien des Concerti Grossi – publiés le 21 avril 1740, après une efficace campagne publicitaire.

A la même époque, aux Pays-Bas, six Concerti armonici sont aussi publiés, mais avec beaucoup mois de publicité. L’auteur en est même inconnu. Ces œuvres connurent toutefois un grand succès. Longtemps attribués à Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736), une découverte des manuscrits dans les archives du château de Twickel en 1979, où est né le comte Unico Wilhelm van Wassenaer (1692-1766), désigne celui-ci comme le véritable auteur de ces concertos. Entre 1725 et 1740, cet aristocrate aimait participer à des concerts privés à La Haye où il présentait ses compositions. Elles eurent tant de succès qu’il céda à ses amis qui l’encourageaient à les publier. Son unique condition était que son nom n’apparaisse nulle part sur les exemplaires. Il n’était effectivement pas évident pour un membre de la bonne société de passer pour un compositeur de métier.

La collection « veritas x2 » de Warner Classics propose une réédition d’enregistrements, faits en 1987 et 1988, d’une sélection de six concertos de Haendel et des Concerti armonici de Wassenaer par Ton Koopman et l’Amsterdam Baroque Orchestra. L’ordre des pièces ne suit pas les numéros de publication, mais respecte sans doute une logique de la succession des tonalités, particulièrement efficace pour le second CD, qui regroupe les œuvres du compositeur néerlandais.

Dans le premier disque, on est de suite plongé dans une qualité de son très agréable, avec une pointe de réverbération qui donne un peu de rondeur à la grande précision des quinze musiciens. Leurs discours sont toujours d’une belle clarté, grâce à des articulations soignées, particulièrement dans les Allegro fugués, notamment dans celui du Concerto n°1 où les expositions du sujet et de sa réponse par les deux violons solistes sont tout simplement parfaits. Cette compréhension de chacune des voix est très appréciable dans les mouvements rapides, tel le premier Allegro du Concerto n°2 ou surtout du deuxième mouvement, Allegro, du n°4. C’est ainsi que se fait un équilibre idéal entre chacune des parties, attentives aux autres tout en gardant son autonomie expressive.

Le talent d’interprète de Ton Koopman est certainement le plus admirable dans la manière dont il étudie et restitue la direction de chaque phrase musicale. Déjà, il impose une juste hiérarchie entre les temps forts d’une mesure, qu’il rend elle-même cohérente dans un discours plus large. Alors que certains répétitions pourraient facilement tourner en rond (comme souvent dans d’autres versions), ces passages prennent un véritable sens, comme dans le très réussi quatrième mouvement Allegro du Concerto n°6. C’est aussi la hiérarchie des voix qui permet de magnifier tout le sens musical de ces œuvres : dans la Musette du n°6, les voix intermédiaires sont mises en valeurs et peuvent chanter comme un trésor à peine dissimulé ; dans le très andante Larghetto du n°2, les croches des violons permettent au discours d’avancer, contrastant avec justesse avec le dramatique Largo.

Au-delà de ces points techniques et interprétatifs, c’est la légèreté du discours, la finesse de ses ornements et la subtilité des contrastes qui offrent un véritable plaisir, tout le long de l’écoute. La lecture de Ton Koopman paraît alors souvent intérieure, loin de la démonstration extravagante que certains voient immédiatement dans un concerto, voire même sincère. Les chants des solistes du trio en sont souvent très beaux, particulièrement dans le Largo e piano du n°4, aux couleurs superbes et dont l’équilibre des voix est ici parfait – et pourtant loin d’être évidente –, ou dans le deuxième mouvement Allegro, où l’on découvre un violoncelle expressif malgré la frénésie.

Cette expressivité simple mais sincère, on la retrouve dans les Concerti armonici de Wassenear, où règne davantage une certaine mélancolie, une sensibilité retenue mais patente. Entre autres, Affetuoso est le bon caractère pour décrire le premier mouvement du Concerto n°6, où l’on trouve une pointe de jovialité, comme une certaine innocence, malgré des ponctuations plus sévères. Sans le connaître, c’est dans l’intimité même du comte que l’auditeur pense s’introduire : la musique sonne comme celle d’un amoureux timide, modeste et sensible, toujours sincère et parfois fort élégant. S’il peut se montrer touchant dans le A tempo commodo con sordini du Concerto n°5 ou le très joli Largo du n°6, sa personnalité peut devenir séduisante, jusqu’à inspirer l’un des plus grands compositeurs du XXe siècle : Igor Stravinsky (1882-1971) s’inspira fortement du finale Allegro moderato du Concerto n°2 pour la Tarentella de son ballet néo-classique Pulcinella (1920).

Si l’œuvre de Wassenear n’a pas l’audace de celle de Haendel, la confrontation de ces deux compositeurs au talent certain ne souffre en aucun cas d’incohérence : ces concerti grossi permettent à Tom Koopman et aux musiciens de l’Amsterdam Baroque Orchestra de signer une interprétation pleine de finesse, d’une conscience de phrasés pensés et cohérents, et même d’une certaine sincérité musicale. Bien que datant de la fin des années 1980, ces enregistrements semblent de ne pas avoir pris une seule ride, méritant amplement d’être encore appréciés trente ans après leur première parution.



Publié le 26 janv. 2018 par Emmanuel Deroeux