Pièces de clavecin - Couperin

Pièces de clavecin - Couperin ©
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La déclaration d’amour de Blandine à François

Il est des enregistrements qui vous envoûtent et vous fascinent de la première à la dernière note. Celui-ci appartient à cette espèce, celle des ouvrages de chevet. Après les Septième et Huitième ordres du Deuxième Livre (1716-1717), que suivaient les Vingt-cinquième, Vingt-sixième et Vingt-septième ordres du Quatrième Livre (1730), notre chère Blandine Verlet réaffirme sa personnalité hors normes en remettant toujours et encore sur le métier François Couperin. Il nous aura fallu patienter longuement. Mais voilà cette vertu récompensée. Et comment !

Il faut mettre absolument en regard de ces pièces de clavecin, une vie consacrée à incarner celles-ci comme personne. Le récit La Compositrice qu’offre Blandine Verlet est-il un autoportrait ? Aussi énigmatique que les titres de Couperin, il restera auréolé de mystère. Qu’importe ! Il suffit d’écouter Couperin et de lire en même temps ces pages empreintes de poésie pour que le charme opère. « Pour cette musicienne, l’enseignement était mission sacrée » découvre-t-on page 12 du livret. Et cette Engageante n’est-elle justement pas le portrait de Blandine ? Elle vous accueille, vous prend par la main avec son sourire tendre et malicieux pour vous convier à l’exploration d’une sorte d’album de famille, dont elle entend nous faire découvrir les personnages qu’elle chérit.

« Son jeu en sourdine, hésitant, patient, n’était pas un appel, mais une attente » (page 31) : Les Lys naissants en sont la parfaite illustration sonore. Les accords brisés sortent d’un silence mystérieux. Ils émergent comme autant de caresses et de soupirs langoureux.

« Son esprit nomade et aventurier, trouvait la clé des champs » (page 13) : Les Roseaux évoluent sur une onde frémissante où la main gauche offre son tournoiement incessant pour permettre à la main droite d’explorer les différents recoins d’un paysage champêtre aux variations de lumière renouvelées au gré des couplets. Quelle fluidité !

« Sans crainte tu apprivoiseras les masques […], ils te livreront leurs sortilèges » (page 17). Tel semble être le commandement suprême pour accéder aux Folies françaises. Là où bien des versions soulignent une certaine excentricité suggérée par les titres, c’est au contraire une certaine sagesse qui s’exprime ici. La tendresse y tient son royaume. Le ton est donné par La Virginité et La Pudeur si délicates. L’Ardeur est très modérée dans son tempo, c’est un feu intérieur qui brûle. L’Espérance joue sur l’opposition de son dialogue à trois, le strict parallélisme des dessus s’opposant aux réfutations contrariantes de la basse, peut-être dubitative, avant que tout le monde ne se retrouve finalement d’accord sur la dernière mesure.

La Fidélité exprime son engagement par sa gravité sérieuse, quand La Persévérance s’avère fragile. La Langueur exhale sa plainte dont vient rire La Coquetterie, marquée par ses changements de mesures, illustrant la versatilité d’un personnage qui s’affairerait « à distordre le temps, à le désorienter » (page 13) afin que celui-ci n’ait point d’empire sur elle. Les Vieux Galants et les Trésorières surannées ronchonnent, prétextant d’un passé supérieur au présent. Les Coucous bénévoles chantent leur mélancolie. La Jalousie taciturne s’aventure dans les registres ténébreux des graves splendides du clavecin, ceux que Couperin flattait tant dans ses deux premiers livres.

La Frénésie ou Le Désespoir fait pencher ici, du fait de son allure légèrement retenue, la balance du côté du second. Cette lente descente à l’abîme trouve son aboutissement dans L’Âme-en-peine, intense « convocation sanglotée » (page 23), image d’un tombeau de l’amour désespéré. Couperin aura rarement été aussi noir. Toute velléité d’élan se trouve tirée vers un gouffre, dont il semble impossible de s’échapper, la « petite reprise » si typique de Couperin s’offrant comme un écho terrible, encore amplifié.

C’est à peine, si nous pouvons reprendre espoir avec La Verneuil dans la tonalité sombre de fa mineur : « Elle cuisinait le silence, entrait dans ses fins fonds et en extirpait de neuves organisations » (page 13) semble nous raconter cette si belle allemande introspective. La Verneuillète semble remonter vers la lumière du jour, ce que confirme l’optimisme enfin retrouvé de Sœur Monique qu’on imagine emplie d’une foi sincère et sereine, que n’assaille nul doute. Peut-être chante-t-elle en elle-même un joyeux cantique qui lui donne du cœur à l’ouvrage. Si Le Turbulent déploie sans sourciller son babillage, c’est finalement pour mieux attirer l’attention sur L’Attendrissante, pour laquelle Couperin indique « douloureusement », faisant de celle-ci une sorte de sœur jumelle de L’Âme-en-peine dont elle semble reprendre les accents initiaux, pour s’acheminer vers de sombres bords, ceux d’une « vallée de larmes ».

La joie revient avec Le Tic-toc-choc ou les Maillotins, où comme Brice Sailly dernièrement (voir le compte-rendu de l’album Les Muses naissantes) notre musicienne se refuse à toute démonstration de virtuosité. « L’oreille happée par sa main droite, comme elle le serait par un coquillage » (page 15), ce tendre badinage semble seulement nous dire avec transparence, qu’à ses élèves, notre compositrice « était certaine [d’]apprendre à respecter leurs rêves, à ne jamais les trahir » (page 14). Une confiance mutuelle s’exprime dans cette « pièce croisée » qui invite les notes des deux claviers à se côtoyer dans une joie communicative, celle d’un enrichissement sympathique, au sens de cordes qui entrent en vibration par simple résonance. Le Gaillard boiteux, « dans le goût burlesque » s’apprête à refermer cet album, en miroir du propos situé page 54 : « Magnifique fut leur accord. Grave et gai. Jeux d’enfants accomplis à maturité ».

Mais nous souffrons à l’idée de prendre congé de tant de beautés. Généreuse, Blandine Verlet nous conduit alors sur l’un des sommets du Premier Livre de 1713. La Favorite, extraordinaire chaconne à deux temps, construite en rondeau sur une basse chromatique, me rappelle ma découverte émerveillée de cette pièce splendide. Enfant, c’est justement dans l’intégrale Astrée que Blandine m’avait hypnotisé, déjà, avec cette Favorite. Sa façon inimitable de propulser la basse avec cette légère inégalisation sur les croches qui remontent sont comme une sorte de signature. Nous aimerions tellement une suite que nous n’utiliserons pas l’imparfait de l’original, souhaitant seulement que pour nos combler encore, Blandine Verlet ait « l’éternité devant elle ».



Publié le 02 avr. 2018 par Stefan Wandriesse