Leçons de Ténèbres et Motets - Couperin

Leçons de Ténèbres et Motets - Couperin ©
Afficher les détails
L’oratoire de François Couperin

Paru fort opportunément lors du Triduum sacrum de cette année, ce programme offert par Les Ombres fait suite à deux autres opus consacrés à François Couperin : un bien beau Concert chez la Reine où trônait en bonne place l’Apothéose de Lully et des Nations remarquables, éclipsant les autres versions de ces admirables « sonades ».

Encore les Leçons de Ténèbres de Couperin me direz-vous ? On comprend que ce sommet de l’art sacré attire avec récurrence bien des ensembles, ce qui génère une concurrence assez féroce. Bien des versions aux options différentes s’affrontent. Celles qui visent à la « reconstitution » d’un office - enfin à en donner l’illusion- me semblent dominées par les lectures de Gérard Lesne ou des Demoiselles de Saint-Cyr. D’autres s’en tiennent aux Leçons que suivent quelques motets : Sandrine Piau et Véronique Gens avec Christophe Rousset, Anne Monoyos et Monique Zanetti ou encore celle du Poème Harmonique de Vincent Dumestre, que côtoyait le somptueux Miserere de Clérambault, s’inscrivent dans cette lignée.

Ici, nous nous situons à mi-chemin : en effet les motets choisis correspondent bien par l’esprit de leurs textes à la dimension pénitentielle des offices de la Semaine sainte. Peut-être aurait-il fallu d’ailleurs insister davantage dans cette direction. L’extrait de la Messe propre pour les couvents de religieux et religieuses, à savoir l’Agnus Dei joué avec beaucoup de recueillement par Marc Meisel nous laisse sur notre faim : nous aurions souhaité l’entendre davantage, pour introduire l’office et le conclure par exemple. Le livret insiste du reste sur cette « dramaturgie sacrée » offerte par l’office des Ténèbres, dont l’effet devait être en effet des plus saisissants.

La lecture des Ombres est du reste marquée par une certaine théâtralité : de la scène lyrique de l’Académie Royale de Musique à l’Église, il ne semble n’y avoir qu’un pas que nos interprètes franchissent sans hésitation.

Dans les Leçons I et III, le continuo réunit Margaux Blanchard (basse de viole), Étienne Galletier (théorbe) et Marc Meisel au clavecin, ce qui donne une couleur plus dramatique, l’orgue étant réservé à la Leçon II. Mobile, coloré et réellement présent à chaque instant, voilà un continuo très riche, engagé sans être bavard qui souligne tel ou tel mot du texte, comme si celui-ci était déclamé sur une scène. Les voix de Chantal Santon Jeffery (Leçon I) et Anne Magouët (Leçon II) s’avèrent en parfaite cohérence avec ce soutien : elles vivent avec intensité les lamentations de Jérémie, incarnation parfaite d’une tragédie universelle. La Leçon III, où les voix s’allient avec un bonheur évident, constitue un point culminant de cet enregistrement. Les lettres hébraïques déploient leurs admirables arabesques et les récits frémissent, tant ils brûlent d’un feu intérieur. Chaque retour sur Jerusalem convertere ad Dominum Deum tuum conduit à une espèce de délivrance où l’injonction se montre finalement apaisante et confiante.

Personnellement, j’aurais placé ces Leçons au centre et débuté par l’extraordinaire motet sur les Quatre versets du psaume Mirabilia testimonia tua. S’ouvrant de manière fort originale, ce motet « composé et chanté par ordre du Roy », fait surgir du silence les deux voix sans le moindre continuo : « Mon zèle m’a fait sécher de douleur ; parce que mes ennemis ont oublié vos paroles ». L’effet en est magnifique. Les violons - Olivier Briand et Théotime Langlois de Swarte - s’unissent aux flûtes caressantes de Sylvain Sartre et Benjamin Gaspon pour deux récits touchés par la grâce avant que les deux voix ne se rejoignent pour conclure par un subtil jeu d’imitations.

Il fallait bien qu’après des pages fort connues, cet enregistrement nous offrît du nouveau et de l’inédit pour asseoir sa distinction. Une première mondiale est donc proposée par un beau motet, très développé (8 versets) à voix seule et symphonie, où aux artistes précédents s’ajoutent les violons joués cette fois-ci par Marie Rouquié et Tiphaine Coquempot toujours aux côtés d’Olivier Briand. Parmi le continuo on remarque la présence de l’excellent André Henrich. Et pour chanter ce motet, c’est le magnifique Benoit Arnould, dont nous avons tant apprécié le superbe Tancrède, qui nous révèle cette page injustement négligée jusqu’alors. On se demande vraiment pourquoi ! Quelle noblesse dans la prière de Deus tu scis insipientiam tuam ! Quel élan dans Non confundantur ! Et comme le Exaudi me est empreint de tendresse ! La fin affirmée du dernier verset vient offrir une conclusion vive qui nous laisse presqu’en suspension.

Nous accueillerons donc avec plaisir ces nouvelles Leçons qu’accompagnent judicieusement de bien beaux motets. Notre seul regret réside dans l’ordre du programme et l’aspect parfois trop parcimonieux de celui-ci, et ce d’autant plus que nos chères Ombres sont vraiment à leur affaire avec Couperin.



Publié le 20 avr. 2018 par Stefan Wandriesse