En attendant J. Sebastian Bach – Quatre cordes en vibration

En attendant J. Sebastian Bach – Quatre cordes en vibration ©
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Un témoignage passionné, intime et charmant

« Une maison d’édition de meubles » : voici comment se présente l’atelier de création, d’assemblage et de fabrication de meubles créé par l’architecte François Muracciole. Ce projet unique se veut être « un laboratoire d’expériences » portant « un œil curieux sur le monde, afin de proposer des objets intemporels ». C’est donc ainsi que, aussi curieusement que cela puisse paraître de premier abord, l’atelier assemblage.m se décline en une édition musicale, les éditions de la matrice.m. Après un premier livre-disque Les cantates – Musique pour le 17e dimanche présenté par l’organiste Freddy Eichelberger, l’aventure se poursuit avec un nouveau venu dans La Collection de l’oreille : En attendant J. Sebastian Bach – Quatre cordes en vibration présenté par la violoniste Odile Edouard.

Cet enregistrement est un témoignage d’une musicienne, violoniste et pédagogue, entre autres, au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon. Odile Edouard est, sans aucun doute possible, passionnée de l’interprétation historiquement informée, tout en ayant une sensibilité particulière pour le geste du musicien d’aujourd’hui, dont le cœur peut s’exprimer grâce à la facture de son instrument et par le bois même de son archet, membre trop vite oublié du trio, voire de – oserons-nous… – la trinité, que forment l’instrumentiste, le violon et l’archet. Spécialiste de la musique ancienne, Odile Edouard propose de partager son épanouissement lors d’interprétations d’œuvres de compositeurs des XVIIe et XVIIIe siècles. Alors que cette période est tumultueuse et rebelle, l’effervescence politique et sociale encourage une dynamique culturelle et musicale puissante, émotionnelle et absolument humaine. Par leurs voyages à travers l’Europe, les musiciens se sont enrichis les uns des autres, partageant leur savoir, leur savoir-faire et, surtout, leurs manières de s’élever spirituellement grâce à leur musique.

L’enregistrement fait commencer le voyage de l’auditeur à Lubeck avec la Suite pour violon seul de Thomas Baltzar (1631-1663). On peut déjà y entendre une bonne distinction des deux voix en double cordes qui, par la conscience de leur propre phrasé et l’attention équilibrée portée à leur timbre, possèdent toutes deux leur propre identité. Bien que l’on puisse en imaginer la difficulté technique, notamment en ce qui concerne la justesse, on ne peut qu’apprécier l’effort de la musicienne. Grâce à la prise de son attentive de Mathilde Genas, on saisit les sonorités intimes du violon signé Marieke Bodart, sur lequel l’archet de Jean-Yves Tanguy laisse échapper des cordes un grain subtil sans que toutefois aucun son parasite ne vienne gâcher l’écoute. Au contraire même, la prise de son agrémente en outre le confort de l’écoute pas une juste résonance. Il est vrai que l’oreille de l’auditeur doit peut-être d’abord s’habituer un peu au son d’un instrument qui privilégie la légèreté à la brillance, mais elle se laisse très rapidement charmer, notamment lors du chant plein de fraîcheur de la sarabande. Le Passagio rotto e fantasia de Nicola Matteis (1650-1713) crée un temps en suspens qui ne donne qu’une seule envie : écouter. La première partie « brisée » se fait joueuse, avec son écriture arpégée et ses arrêts inattendus mais toujours au service de l’expressivité et de la virtuosité simple et plaisante, suivie de la fantasia dont les deux voix en double cordes donnent envie de chanter les mélodies tout à fait adorables.

Après cet épisode londonien en compagnie d’un napolitain, on nous emmène faire étape à Salzbourg auprès de Heinrich France von Biber (1644-1704) dont on nous interprète la sublime Passacaglia extraite des Sonates du Rosaire. Cette passacaille, à partir de quatre notes de basses immuables quasi fatalistes, fait monter des variations polyphoniques à trois voix, offrant des couleurs variées, riches et expressives. Il est absolument impossible de se lasser de cette musique sur laquelle on se laisse volontiers porter, grâce à l’interprétation d’Odile Edouard. Car l’on sait que sa direction musicale est aussi réfléchie que naturelle. On lui fait confiance et le temps n’a plus d’importance. Pas si loin de là, à Weimar, Johann Paul von Westhoff (1656-1705) compose sa charmante 4e Suite pour violon seul, dont on semble percevoir comme une innocence, avec des jeux de silence et pourtant une régularité aussi sérieuse que naturelle et expressive.

Retour à Salzbourg pour entendre des extraits de la 6e Partita pour violon seul de Johann Joseph Vilsmayr (1663-1722) dans laquelle Odile Edouard se montre particulièrement agile et virtuose. Elle se fait complice avec un nouveau violon, celui sur lequel elle a fait toutes ses études supérieure et signé Aegidius Klotz (1733-1805). Le son de ce violon se montre très chantant, moins rond que le précédent et un peu plus clair. Il est peut-être un peu moins caractérisé mais il fait preuve d’une belle propreté de son, particulièrement agréable pour la netteté des ornements, surtout dans l’air, et des moments agiles, dans le double. On aurait certainement tort d’oublier l’implication de l’archet de Claire Berget dans le plaisir que procure l’écoute de cette pièce. La Sonate pour violon sans basse de Johann Georg Pisendel (1687-1755) est sans doute redoutable par ses accords en double cordes. Toutefois, quel réel plaisir de ne souffrir ici d’aucun maquillage, d’aucun vibrato inutile et superflu, laissant place à une simplicité d’interprétation qui laisse l’œuvre parler d’elle-même. Certainement, la difficulté de cette œuvre encourage nombre d’interprètes à la défendre plus que par elle-même, la privant alors de sa légèreté, de son côté dansé, des équilibres finement dosés des sonorités entre chaque corde. Odile Edouard a assurément le mérite de laisser davantage l’œuvre se dévoiler davantage telle qu’elle est : difficile, certes, mais subtile. La 7e Fantaisie de Georg Philipp Telemann (1681-1767) se montre également – en apparence seulement – emplie de simplicité et d’authenticité, comme chantant par elle-même. L’allegro laisse entendre de belles résonances, juste comme il faut pour valoriser les harmonies et flatter avec goût les phrasés mélodiques. Le largo énigmatique laisse ensuite place à un heureux presto qui fait office de final.

Si l’on a su apprécier chacun des compositeurs de ces XVIIe et XVIIIe siècles présentés ici, si l’on a su prendre tant de plaisir à entendre ces quatre cordes vibrer ensemble, on ne peut que demander un bis ! Sans doute pour faire honneur au titre En attendant J. Sebastian Bach, c’est justement la Ciaccona extraite de ses Sonates et partitas que l’on nous offre en bonus, avec propreté et agilité. On se referait alors bien un autre temps d’attente pour tout écouter de nouveau !



Publié le 21 mai 2021 par Emmanuel Deroeux