F.N. Fago : Cantatas and Ariettas - R. A. Strano

F.N. Fago : Cantatas and Ariettas - R. A. Strano ©Toccata Classics
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Une double première réussie

Francesco Nicola Fago est l'un des très nombreux compositeurs et musiciens qui, du XVIème au XVIIIème siècles vont constituer et faire vivre l'Ecole Napolitaine. Originaire des Pouilles où il est né (à Tarente) en 1677, Fago aura à Naples une très belle carrière et compte parmi ses élèves des compositeurs très renommés comme, par exemple, Jomelli et Leo. L'œuvre de Fago est, comme pour ses contemporains, marquée par sa dépendance économique à l'Eglise et à l'aristocratie napolitaines. On y trouve ainsi de très nombreuses œuvres religieuses (Messes, Psaumes, Magnificats, Requiem,...) et de nombreuses cantates, musique de salon par excellence. Il meurt à Naples, en 1745.

La cantate « de chambre » est un style très en vogue à l'époque et connaît ses plus grands compositeurs à Venise (Cesti, Vivaldi...) et à Naples (Stradella, Scarlatti...). Elle permet de donner des concerts « à domicile » en représentant un mélodrame miniature (un mini opéra) avec des effectifs réduits de musiciens et un chanteur en vue, parfois deux (et bien sûr singulièrement des castrats). La forme est celle d'une succession de récitatifs et d'airs. Mettant en avant la virtuosité des interprètes, elle joue un rôle important dans la vie sociale aristocratique dont elle anime les salons. Historiquement, la cantate est née du madrigal ; elle est généralement conçue pour voix seule et continuo, et souvent enrichie de quelques instruments qui développent la mélodie.

De la cinquantaine de cantates prêtées à Fago, l'enregistrement de Toccata Classics en présente six, auxquelles s'ajoutent deux arias, de Fago également, et trois intermèdes musicaux écrits par des contemporains : Scipriani (Sinfonia di violoncelle solo e basso), Kapsberger (Capona) et Corbetta (Partie de Chacone).

Tous les enregistrements de Fago présentés ici sont des premières et cet album est également le premier en solo du jeune contre-ténor Riccardo Angelo Strano (il est né à Catane en 1988). De quoi susciter notre curiosité...



Riccardo Angelo Strano - © Alessandra Saccá

Dès le premier récitatif de la cantate All'or ch'in dolce oblio, les qualités vocales de Riccardo Strano sont patentes. La diction est ciselée, le registre très homogène, le style d'une grande élégance et le grave profond et sonore. La virtuosité est grande dans la deuxième aria et l'ornementation est riche mais sans aucune affectation. Écrite en fa mineur, la tonalité attristée sied parfaitement au contre-ténor. Dans Questo povero cor, les mouvements de l'âme sont parfaitement rendus. La deuxième aria, évoquant les mers déchaînées si chères à l'opéra baroque, est impeccablement maîtrisée. Come viver poss'io est un des plus beaux moments de l'enregistrement. Riccardo Strano s'y montre bouleversant et souverain malgré une écriture complexe, qu'il négocie avec talent, et même si cette écriture sollicite le haut de sa tessiture de façon un peu déraisonnable. La cantate Lagrime di cordoglio est de mon point de vue le meilleur morceau de ce bel enregistrement. Poignant à souhait, Riccardo A Strano y déploie des couleurs d'une très grande richesse et d'une grande variété. D'une écriture plus centrale, cette cantate lui permet d'exploiter, sur toute l'étendue du médium ambré qui est le sien, une très belle et très prometteuse technique. Cinquième cantate proposée, Quando invidio la tua sorte m'a semblé d'une écriture moins inventive, plus banale et qui met beaucoup moins en valeur le timbre et le chant de l'interprète. Enfin, dans la sixième et dernière cantate (Qu'allor non veggio), Riccardo Strano fait montre de ces mêmes qualités de chant, de technique et d'interprétation, d'autant plus évidentes que l'écriture se concentre sur le milieu du registre qui, chez Strano est particulièrement beau avec, sur tout le médium, cette richesse de couleurs et cette habileté de coloration du medium qui font ici merveille.

Je suis moins convaincu par les interprétations des deux ariettes dans lesquelles l'aigu sonne dur, probablement faute à une écriture un peu trop haute. Surtout les superbes couleurs du médium qui sont tellement charmantes dans les six cantates sont ici moins naturelles, un peu affectées. De même le vibrato y est très travaillé, mais je ne perçois pas l'intention dramatique de ce travail et je regrette l'absence du vibrato plus « naturel » bien présent dans les cantates.

Même si l'on peut estimer que les trois intermèdes instrumentaux ne s'imposaient pas au disque dans ce programme et même si nous eussions préféré une ou deux cantates supplémentaires de Fago à la place, il faut néanmoins rendre justice aux solistes qui font un très beau travail, avec un continuo de toute beauté. On relèvera aussi l'étonnante guitare baroque de Giuseppe Petrella dans l'Autre Chaconne de Corbetta. D'une façon générale, l'accompagnement qu'ils offrent à Riccardo A. Strano est très attentif à mettre sa voix et ses interprétations en valeur.

Au total, c'est à une très belle découverte de Fago que cet enregistrement de grande qualité nous convie.



Publié le 11 nov. 2016 par Jean-Luc Izard