Vesperae, seu psalmi vespertini - J.C Fischer

Vesperae, seu psalmi vespertini - J.C Fischer ©Toccata Classics
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Vêpres baroques à Chestnut Hill

Pour notre plus grand plaisir, Shannon Canavin et Andrus Madsen ont relevé deux défis. Le premier consistait à partir à la rencontre de compositeurs célèbres en leur temps et méconnus aujourd’hui. Dans leur cheminement, ils ont croisé la route de Johann Caspar Ferdinand Fischer et de Johann Christoph Pez (ou Petz, selon les auteurs). Ils leur ont tendu la baguette en les invitant à réveiller de courts extraits des rares publications qu’ils nous ont fait parvenir. Le second a trait au choix des instruments donnant vie aux partitions retenues. Andrus Madsen a notamment écarté l’orgue positif habituellement utilisé lors des concerts pour mobiliser l’orgue de l’église de la Rédemption de Chesnut Hill. Sa démonstration est absolument convaincante. Elle devrait, selon nous, inciter d’autres chefs à utiliser, quand cela est possible, les merveilleux instruments qui n’attendent que leur bon vouloir pour se joindre à leurs Ensembles et donner encore plus de brillance et de caractère à leurs interprétations.

Même si l’essentiel de leur production a subi les outrages du temps et des négligences humaines, Fischer et Pez ont tenu les premiers rôles dans la musique allemande à l’aube des Lumières. Le premier « était considéré comme l’un des meilleurs clavecinistes de son temps et il était renommé pour faire connaître et diffuser l’art de l’ornementation en Allemagne, ainsi qu’un style parfait d’interprétation sur cet instrument », estime Ernst Ludwig Gerber (1749-1819), musicien et auteur d’un dictionnaire des compositeurs en quatre tomes parus entre 1790 et 1792. Le second figure dans la liste des six compositeurs allemands les plus importants, classement établi en 1725 par Georg Philipp Telemann (1681-1767). Il siège aux côtés de Johann Kühnau (1660-1722), Reinhard Keiser (1674-1739), Georg Friedrich Haendel (1685-1749), Johann Christoph Pepusch (1667-1752) et Pantaléon Hebenstreit (1668-1750). Son classement dans ce « top 6 » (dans lequel ne figure aucun membre de la grande famille Bach) est justifié par la qualité exceptionnelle de ses sonates en trio dont les partitions circulent alors dans toute l’Europe du Nord. L’un et l’autre représentaient l’idéal allemand des Vermischter Geschmack (goûts réunis), lullistes fervents et disciples d’Arcangelo Corelli (1653-1713).

Pour nous faire goûter leur musique, Shannon Canavin et Andrus Madsen ont choisi de la mettre en scène. Après avoir sélectionné différents extraits de leurs publications, ils les ont agencés en vue de reconstituer un office complet des Vêpres. Pour mémoire, ce temps de prière correspond à la dévotion accomplie initialement le soir (vespera) au sein de l’Eglise catholique. La liturgie en fixe précisément la structure : une supplication, cinq Psaumes accompagnés de leurs antiennes, un hymne suivi du Magnificat avant l’oraison et le chant final.

En ce début du XVIIIème siècle, cette structure est toujours en vigueur. Mais la musique instrumentale a fini par s’insinuer dans cet ordonnancement liturgique. Au point de transformer peu à peu les offices religieux en concerts publics, particulièrement en Italie. D’ailleurs, avec ses Vespro della Beata Vergine (1610), Claudio Monteverdi (1567-1643) avait été un artisan majeur dans cette évolution. Désormais, les antiennes qui précèdent et suivent les Psaumes sont remplacées par des pièces instrumentales, sonata da chiesa (sonates d’églises) ou concerti sacri.

Dans leur travail préparatoire, les interprètes ont sélectionné cinq psaumes parmi les pièces sacrées compilées par Fischer dans les Vesperae seu psalmi vespertini (Vêpres ou psaumes du soir) (1701). Rappelons que cette succession de cinq psaumes n’est pas fortuite. Elle a été prescrite, pour la première fois, dans la Règle de saint Benoît (vers 530) avant d’être intégrée dans les canons liturgiques de l’Eglise catholique.

Entre chacun de ces Psaumes, ils ont glissé un prélude et fugue tiré de l’Ariadne musica neo-organoedum (1702) du même compositeur. Ce recueil a attiré l’attention de bien des musiciens de son temps. Ainsi, pour composer son Wohltemperierte Klavier (Clavier bien tempéré) BWV 846-893 achevé en 1722, Johann Sebastian Bach s’était largement inspiré de cette « Ariane musicale, pour le nouvel organiste, (ce) guide du labyrinthe des difficultés à travers vingt préludes, le même nombre de fugues et cinq Ricercare sur des chants d’église suivant l’année liturgique » (Gilles CantagrelDe Schütz à Bach- Fayard – 2008). Ces vingt pièces explorant notamment les vingt tonalités majeures et mineures de la gamme chromatique, Shannon Canavin et Andrus Madsen ont pu facilement y trouver une pièce de la même tonalité que celle du Psaume choisi, pour la transformer en perfect companions (en parfait camarade… du psaume), comme l’explique joliment le livret. Quant aux sonates de Pez, elles sertissent le Magnificat de Fischer, comme pour mieux le faire briller.

Selon le cérémonial de cette époque, le service des Vêpres débute par la procession des choristes. Pendant qu’ils se dirigent vers la place depuis laquelle ils vont officier, l’orgue déroule une intonazione, court prélude servant d’introduction à la musique vocale sacrée. Andrus Madsen interprète le prélude n°8 tiré du Blumen-Strauss (Bouquet de fleurs), compilation de pièces pour orgue composées avant 1736. Lancé par un glissando, une mélodie en forme de choral chemine revêtue d’un manteau aux riches ornements. L’orgue, construit en 1989, libère un plein-jeu d’une belle sonorité. Le caractère solennel de la pièce marque clairement l’ouverture de la cérémonie.

Le célébrant entonne maintenant, a capella et sur le mode grégorien, le verset traditionnel ouvrant les Vêpres : Deus in adjutorium (Ô dieu, hâte-toi de me délivrer). Le chœur lui répond par un Domine, ad adjutorium me festina (Eternel, hâte-toi de me secourir) empreint d’une allégresse retenue. Lancé sur un tempo dansant, il se transforme en un chant généreux et sensible au moment de proclamer le Gloria Patri concluant habituellement tout Psaume mis en musique. Cette séquence manifeste une foi certaine en la délivrance. Le violon se mêle aux voix pour les emporter vers leur destinataire céleste quand l’orgue leur offre un appui solide et charnu. Débuté sur le mode homophonique, le chant adopte ponctuellement une forme en canon avant de se conclure par une harmonie paisible et majestueuse à la fois.

Le premier des cinq psaumes chante l’homme qui craint l’Eternel (Psaume 112/111) : Beatus vir qui timet Dominum. Fischer a manifestement découpé ce psaume en trois mouvements, suivis du traditionnel Gloria Patri. Les deux premières parties suivent la même distribution : entonnée par la voix cristalline de la soprano, un duo formé par un contre-ténor et un ténor tissent un canon avant que la voix fraîche de la basse n’exalte le discours sur une large palette vocale et que le chœur ne finisse par couronner l’ensemble. Chacune de ces deux parties souligne l’une des vertus du beatus vir : il se soumet aux commandements de Dieu et se montre misericors et miserator et justus (miséricordieux, compatissant et juste). Le troisième temps est confié à la voix de ténor. Il raconte comment le peccator videbit et irascetur (le pécheur le voit et s’irrite) devant le rayonnement du beatus vir. Son récit est soutenu par un continuo parfaitement ajusté. Dans le Gloria Patri conclusif, Fischer choisit une gradation de l’intensité vocale : entonné par une voix d’alto, le second verset est confié à un beau duo de soprano et de basse avant que le chœur ne donne toute son ampleur au verset final. Loin de l’éclat du Beatus vir de Monteverdi (Selva Morale Spirituale – 1640), la version de Fischer baigne dans une atmosphère de spiritualité confiante. Son écriture est simple, fluide, élégante. Certaines parties sont soulignées par des répétitions insistantes, particulièrement le non commovebitur (jamais il ne chancelle) et le non timebit (il ne craint point) de la seconde partie. Quelques vocalises et modestes tremblements émaillent le style largement homophonique des incursions chorales. Quant aux parties solistes, elles sont portées par une basse continue tonique rythmant les séquences avec la précision d’un métronome.

La seconde pièce vocale (Psaume 111/110) chante la louange de Dieu : Confitebor tibi, Domine. Cette fois, l’écriture musicale s’abandonne à la forme contrapunctique. Les solistes se croisent, se séparent, superposent leurs propos et ne se retrouvent guère que pour surligner de courts passages. Dès le départ, un ténor entonne le premier verset, suivi en imitation par une soprano ; mais déjà la basse fait son entrée par le second verset, poursuivie par l’alto. Retards et imitations émaillent l’ensemble de cette pièce. Cette écriture complexe met cependant en valeur deux phrases qui comptent parmi les rares points de rencontre des solistes. La première célèbre un Dieu compatissant : une séquence homophonique signale que escam dedit timentibus se (il a donné de la nourriture à ceux qui le craignent) ; la seconde affirme, dans une forme en canon, que laudatio eius manet in saeculum saeculi (sa gloire subsiste à jamais). Le climat d’ensemble mêle la crainte à un espoir qui peine toutefois à s’affirmer. Alors que Monteverdi privilégiait une approche presque enjouée, Fischer fait, nous semble-t-il, le choix d’une sobriété propre à souligner l’humilité du croyant impressionné par les magna opera Domini (les immenses œuvres de l’Eternel). Les violons presque mélancoliques invitent à la méditation pendant que le cœur de l’auditeur bat au rythme pointé du continuo avant de se laisser emporter par un Amen qui s’envole vers la Trinité.

En troisième position, les interprètes ont placé le Psaume 116/115 Credidi propter quod locutus sum (Je croyais à l’heure même où je disais). Entonné par une voix de contre-ténor (nous semble-t-il) tremblante, sans profondeur et sans éclat, le psaume invite le croyant à témoigner de sa foi. Les parties de soliste encadrent un chœur central homophonique déclarant que vota mea Domino reddam (j’accomplirai mes vœux au Seigneur). Hormis les chœurs, les versets sont chantés successivement en solo, en duo ou en trio, avec peu de reprises et de rares vocalises. L’ensemble est sobre, d’une simplicité propice à la méditation. L’orgue fait office de basse continue pendant que les violons doublent les voix ou leur font écho, comme dans le calicem salutaris accipiam (je lèverai la coupe du salut) joliment célébré par la voix de soprano ou le dirupisti vincula mea (tu as brisé mes liens) décrit par une basse profonde et franche. L’atmosphère d’ensemble respire un calme rassurant.

Place maintenant au Nisi Dominus qui a tant inspiré les musiciens. Ce Psaume 127/126 rappelle que seul Dieu assure le succès des entreprises humaines. La pièce se répartit en deux mouvements assez semblables, séparés, une fois encore, par un chœur central. Sous les traits d’archets et les battements de la basse continue, la soprano entonne les deux premiers versets tandis que l’alto lui emprunte la même ligne mélodique pour chanter les deux suivants. Le chœur conclut cette première séquence en rappelant, sur un rythme enjoué, qu’il est vain de se lever avant le jour puisque Dieu pourvoit à ses besoins. Puis, par une brutale décélération et sur une tonalité gémissante, il plaint le sort du croyant qui manducatis panem doloris (qui mange d’un pain de douleur). La seconde partie voit le croyant reprendre espoir, jusqu’à enthousiasmer la basse et le ténor à l’annonce des bienfaits futurs. Dans le Gloria Patri final, la soprano remplit la fonction de récitante et les autres solistes lui répondent en écho. Son chant grimpe dans les aigus avec délicatesse, créant un contraste fort agréable à l’oreille entre sa voix étincelante et l’épaisseur du chœur. L’écriture de cette partie est assez richement ornée, particulièrement un Amen largement développé.

Le dernier psaume de cet office des vêpres reconstitué développe le Psaume 147/146 Lauda Jerusalem. La pièce se décline en trois chapitres, les chœurs faisant office de conclusions. Trois solistes se succèdent pour énoncer les bienfaits concédés par Dieu au peuple de Sion. Ouvert par la voix de contre-ténor assez peu convaincante, l’inventaire se poursuit par la soprano puis le ténor, toutes deux d’une limpidité cristalline. Dans un beau passage expressif, le chœur évoque alors la diffusion de la parole divine par de longues vocalises sur velociter et des descentes en cascade sur currit pour signifier qu’elle se propage à une extrême vitesse. Les solistes égrènent ensuite les versets suivants, la basse étant suivie par un duo puis un trio. Cette montée en puissance est finalement couronnée par une belle vocalise confiée à la soprano sur le terme flabit évoquant le souffle du vent. Le second chœur souligne sur le mode homophonique la mission attribuée à Jacob tandis que l’alto rappelle le statut privilégié du peuple d’Israël. Comme pour le psaume précédent, les solistes se répartissent les trois versets du Gloria Patri avant de se retrouver sur le verset final dans un mouvement fugué dominé par la ferveur.

De chacun de ces Psaumes émane un parfum ou une couleur singulière, les transformant en un bouquet de sons agréables à l’oreille. Aucun éclat ne les distingue. C’est d’ailleurs leur modestie qui en fait le charme. Charme rehaussé par l’orgue qui assure les transitions, à la place des traditionnelles antiennes. Ces préludes et fugues forment des ensembles d’une durée courte (moins de deux minutes chacun) dont les lignes mélodiques suggèrent davantage le cahier d’exercice que le récit mélodique. Mais, malgré leur caractère « scolaire » suggéré dans le titre du recueil, chaque pièce joue parfaitement son rôle de relais sonore. Sans prétention à la virtuosité, leur interprétation feutrée et pénétrante invite au repos (Prélude et fugue VIII). La douce limpidité du jeu (Prélude et fugue III) produit le même effet. Ces pièces savent pourtant surprendre par d’agréables contrastes, comme l’association du grand jeu au clavier et du bourdon au pédalier (Prélude et fugue XVIII), le rapprochement d’aigus délicats développant la ligne mélodique et une basse reposante qui l’emporte doucement (Prélude et Fugue IV) ou encore les changements rythmiques entre un prélude paisible et une fugue enjouée (Prélude et fugue XVII). De notre point de vue, cette construction faisant alterner un Psaume et une pièce d’orgue est d’autant plus réussie qu’elle paraît tout à fait naturelle.

Dans le cérémonial traditionnel des Vêpres, le célébrant chante maintenant le capitule, une lecture brève tirée de l’Ecriture. Elle est suivie par un hymne puis du verset qui lui est associé. Durant la période baroque, cette partie de l’office est confiée à la musique, le célébrant récitant le texte à voix basse pendant que les instruments s’épanouissent. Pour animer cette séquence, Shannon Canavin et Andris Madsen ont choisi de faire appel à la Sonate en sol mineur de Johann Christoph Pez. Sur six mouvements successifs, le violon et l’orgue dialoguent avec sobriété. Dans l’Adagio, le violon exprime son tourment tandis que l’orgue l’enveloppe dans une atmosphère rassurante. La discussion entre les deux instruments s’engage véritablement dans l’Allegro. Tous deux se montrent bavards mais sans débordements virtuoses, se répondent et se relancent dans un climat mélancolique amplifié par le mode mineur dans lequel baigne l’ensemble de la pièce. L’Adagio qui suit invite à la méditation qu’un Allegro bien tranquille n’ose pas contrarier. Enveloppé par le son velouté de l’orgue, le violon glisse dans un mouvement empreint de spiritualité. Les chromatismes émaillant l’Adagio importunent cette introspection avant de laisser place à une Gigue redonnant le goût des plaisirs terrestres. L’association de l’orgue et du violon produit une sonorité dans laquelle la profondeur de l’un porte l’aigu de l’autre, dans une belle complémentarité. Si, pour nos oreilles contemporaines, cette sonate trouve parfaitement sa place dans la construction de ces Vêpres, l’inscription d’un mouvement de danse en conclusion de la pièce aurait disqualifié toute intention d’exécution dans un cadre liturgique à l’époque de Fischer et de Pez.

Le chant du Magnificat adresse une prière à la Vierge, personnage-clé dans les célébrations organisées par la Contre-Réforme catholique. Les deux premiers versets de ce chant d’action de grâce sont entonnés en canon à partir des premières notes de la mélodie grégorienne. L’écriture musicale de la suite du cantique fait se succéder des passages homophoniques et polyphoniques, mêlant la tradition grégorienne (avec accompagnement par l’orgue seul) à l’art de la fugue (enrichie par des ritournelles exaltées des violons). En outre, plusieurs passages sont marqués par un figuralisme destiné à amplifier les messages contenus dans le texte. Ainsi, dans le Fecit potentiam (il a déployé…la force de son bras), le tempo du premier verset exprime un sentiment de majesté et de force tranquille alors que le suivant s’emporte pour signifier que ce bras puissant dispersit superbos (a dispersé les orgueilleux). Par ailleurs, la partition fait œuvre pédagogique lorsqu’elle illustre la chute des puissants par les entrées en rapide cascade des voix rappelant l’instabilité de leur pouvoir alors que la paisible répétition crescendo d’un mouvement ascendant signale que Dieu exaltavit humiles (a élevé les humbles). Le Gloria Patri conclusif superpose plusieurs styles d’écriture musicale : le mode homophonique pour le premier verset, le double chœur dans le second (la voix de soprano entonne le verset tandis que les trois autres voix lui répondent comme en écho), la polyphonie dans le verset final.

L’office des Vêpres va toucher à sa fin. Dans le cérémonial officiel, le célébrant se prépare à encenser l’autel. Pendant cette séquence sans parole, Johann Christoph Pez fait résonner la Sonata Quinta extraite de son recueil de douze sonates pour deux violons et continuo paru à Augsbourg en 1696 sous le titre de Duplex Genius sive Gallo-Italus Instrumentorum Concentus. Il y déclare sa double allégeance à la musique française et italienne. Le premier Adagio chemine rêveusement. La basse continue (orgue et violoncelle) et les violons engagent un dialogue paisible avant que l’Allegro ne les entraîne dans une fugue enjouée dont le rythme alerte rappelle la Gigue de la sonate précédente. Les cordes s’amusent à de jolis effets d’écho. Le second Adagio met un terme à ce mouvement joyeux : la mélancolie reprend ses droits. Les envolées plaintives des violons ajoutés à la marche lente du continuo installent une atmosphère empreinte de tristesse. Mais le Vivace final parvient à redonner de la joie au cœur. Dans la composition de cette sonate en trio, Pez s’est manifestement montré un disciple attentif aux enseignements de Corelli qui préconisait une construction en quatre mouvements : lent/rapide/lent/rapide.

L’office s’achève maintenant. Les parties instrumentales et vocales se retrouvent pour interpréter un chant dédié à la Vierge. Son texte serait né, dit la légende, en terre rhénane. Ecoutons-en le récit. Saint Bernard vouait une dévotion incomparable envers Jésus et la Vierge. « Etant un jour dans l’église cathédrale de Spire… au milieu de tout le clergé et d’une grande multitude de peuple, il se mit à genoux par trois fois différentes, disant à la première : O clemens ! à la seconde : O pia ! à la troisième : O dulcis Virgo Maria ! Et l’Eglise a mis ces trois salutations à la fin de la célèbre antienne… On voit encore dans cette cathédrale trois lames de cuivre où ces trois mots… sont gravés, et on y chante aussi pour cela tous les jours le Salve Regina en musique » (Monseigneur Paul Guerin - Les petits Bollandistes – 1876). Cette pièce est la huitième du Lytaniae Lauretanae (Litanies de Lorette), compilation des antiennes mariales destinées aux services des Vêpres publiée par Fischer en 1711. D’une façon générale, le texte originel de ces litanies a été rédigé dans la ville italienne de Lorette en 1558 et intégrées dans le culte public sur décision du pape Sixte V, en 1587. Ce texte a pour vocation de rappeler le rôle unique de la Vierge dans l’histoire du Salut. Après l’énoncé des titres de gloire de la Vierge dans un trio fervent, accompagné humblement par l’orgue seul, l’ensemble des voix se réunit pour implorer son intercession. La partition souligne, par un jeu de répétitions, l’humilité du croyant gementes et flentes (gémissant et pleurant). Les riches vocalises de l’alto sur le terme advocata insistent sur le rôle qu’il en attend. Mais c’est sur les trois salutations de saint Bernard que Fischer va concentrer son talent de compositeur. Il convoque alors tous les ressorts de la polyphonie pour célébrer les vertus virginales : expositions fuguées, contrepoints et tenues de notes longues façonnent une prière aux couleurs apaisantes. Ce final recueilli s’achève en génuflexion, avant de quitter l’atmosphère de ces belles vêpres baroques.

La reconstitution d’un office des Vêpres à partir de partitions disparates d’un même compositeur n’est pas inédite. D’ailleurs, la Vespro per Salute posthume (1650) de Monteverdi avait déjà exploré cette veine musicale. Shannon Canavin et Andrus Madsen ont renouvelé l’expérience avec des matériaux musicaux élaborés en terre germanique, une centaine d’année plus tard. Intéressés par le projet, nous avons finalement été convaincus par le résultat. La construction d’ensemble est solide et l’interprétation attachante. L’écriture musicale de Fischer explore toutes les ressources techniques disponibles en son temps mais sans se laisser emporter par des élans virtuoses auxquels, déjà, certains de ses contemporains s’adonnaient avec délectation, tel Johann Georg Pisendel (1687-1755). En outre, ces pièces constituent une sorte de témoignage sur la musique d’église catholique pour petits ensembles. Certes, la plupart des pièces sont extraites d’ouvrages pédagogiques destinés aux apprentis musiciens ou aux maîtres de chapelle en mal d’inspiration. Mais, par leur lecture habitée et jamais démonstrative, les interprètes ont su leur insuffler une ferveur qui les métamorphose en courtes prières en musique. S’il est regrettable que le texte du livret soit réservé aux seuls auditeurs anglophones, ce défaut ne constitue pas pour autant un obstacle à l’écoute de cette musique qui respire l’apaisement et la générosité.



Publié le 21 févr. 2017 par Michel Boesch