Forgotten arias - Jaroussky

Forgotten arias - Jaroussky ©
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Un manifeste réussi pour la réhabilitation d’airs oubliés

Dans son récent enregistrement Forgotten Arias, Philippe Jaroussky, accompagné de Julien Chauvin et de l’orchestre Le Concert de la Loge, explore des airs méconnus issues des textes du grand librettiste Pietro Metastasio (1698-1782), figure incontournable du XVIIIe siècle lyrique. Ce projet original regroupe dix airs composées entre 1748 et 1770 par neuf compositeurs différents, dont certains, comme Johann Christian Bach, Gluck et Piccinni, sont des figures relativement connues, tandis que d’autres, comme Valentini ou Ferrandini, appartiennent à une sphère plus discrète de l’histoire musicale. Toutes ces pièces sont ici enregistrées pour la première fois, offrant à l’auditeur une plongée dans un univers sonore à la fois familier et inédit.

Philippe Jaroussky, véritable maître du contre-ténor, transcende une fois de plus les attentes. Sa voix, à la fois pure et riche en nuances, captive par sa souplesse et sa précision. Chaque air devient une véritable narration émotionnelle, où l’artiste jongle entre virtuosité technique et profondeur dramatique. Dans Gelido in ogni vena de Ferrandini, pièce d’une intensité glaçante, il parvient à exprimer un désespoir poignant tout en maîtrisant des lignes vocales extrêmement exigeantes. À l’opposé, dans Sperai vicino il lido de Hasse, il déploie une légèreté presque aérienne, traduisant à la perfection l’espoir et la mélancolie.

Les ornements ajoutés par Jaroussky témoignent d’un respect authentique du style baroque tout en apportant une touche personnelle. Les cadences audacieuses, particulièrement dans des airs comme Gemo in un punto e fremo de Traetta, démontrent sa compréhension intime de ce répertoire exigeant. La chaleur de sa voix contraste habilement avec les passages plus sombres, créant des moments d’une expressivité bouleversante.

Le Concert de la Loge, sous la direction éclairée de Julien Chauvin, se révèle être un partenaire musical parfait. L’ensemble, jouant sur instruments d’époque, offre un accompagnement précis et élégant, mettant en valeur les subtilités harmoniques et rythmiques de chaque air. Les textures orchestrales, d’une finesse remarquable, soutiennent avec soin la voix de Jaroussky tout en créant des atmosphères riches et immersives.

L’interprétation orchestrale brille particulièrement dans les ouvertures et les interludes, comme dans la Sinfonia du Demofoonte de Hasse. Les choix de tempi et les nuances dynamiques sont judicieusement calibrés, accentuant la dramaturgie intrinsèque des pièces. Les cordes, vibrantes et pleines de caractère, dialoguent harmonieusement avec les vents, ajoutant une profondeur supplémentaire à chaque pièce.

Le choix du répertoire témoigne d’une recherche musicologique approfondie. En mettant en lumière des œuvres oubliées, souvent reléguées à des archives, Jaroussky et Chauvin rendent hommage à l’immense richesse créative de l’époque baroque tardive. Les textes de Metastasio, avec leur poésie raffinée et leurs thèmes universels d’amour, de perte et de destin, trouvent ici une nouvelle vie grâce à des compositions variées mais cohérentes sur le plan stylistique.

Chaque air raconte une histoire, et l’album parvient à maintenir l’attention de l’auditeur grâce à une programmation ingénieuse. Des œuvres méditatives comme Se mai senti spirarti sul volto de Valentini côtoient des pièces plus enlevées, telles que Ma che vi fece, o stelle de Hasse, créant un équilibre parfait entre introspection et éclat.

L’enregistrement, réalisé avec une attention méticuleuse pour restituer les détails sonores, est une réussite technique. La voix de Jaroussky est captée avec une clarté exceptionnelle, tandis que l’orchestre bénéficie d’une spatialisation qui permet d’apprécier chaque instrument dans son rôle spécifique. Les dynamiques sont respectées avec finesse, restituant toute la richesse émotionnelle de l’interprétation.

Le livret numérique fourni avec l’album enrichit l’expérience d’écoute, offrant des informations précieuses sur les compositeurs, les œuvres et leur contexte historique. Ce souci du détail reflète l’ambition et le sérieux de ce projet.

Forgotten Arias est bien plus qu’un simple album : c’est un véritable manifeste pour la redécouverte et la réhabilitation de chefs-d’œuvre oubliés. Philippe Jaroussky, Julien Chauvin et Le Concert de la Loge démontrent que même les œuvres les moins connues du répertoire baroque peuvent toucher profondément lorsqu’elles sont interprétées avec autant de passion et d’excellence.

Pour les amateurs de musique baroque, cet album est un incontournable. Pour les néophytes, il offre une porte d’entrée captivante dans un univers sonore d’une beauté saisissante. Forgotten Arias confirme une fois de plus que l’art de Philippe Jaroussky est à la hauteur des plus grands interprètes de notre époque. Un bijou musical à savourer pleinement.



Publié le 14 déc. 2024 par Pedro Medeiros