Gran partita - Mozart

Gran partita - Mozart ©
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Les lettres de noblesse de la clarinette

Mozart était un féru d’instruments à vent. Il s’était particulièrement intéressé par la clarinette dont la facture était alors en pleine évolution. Héritée du chalumeau français du Moyen Âge — qui était encore en usage dans les années 1740-50 (Rameau) voir dans les années 1760 (Gluck) —, la clarinette n’était utilisé qu’épisodiquement avant les années 1780. Mozart était l’un des premiers compositeurs qui donnèrent à cet instrument la lettre de noblesse en l’introduisant dès 1771 dans son Divertimento K. 113. Avec la Symphonie Parisienne (1778) ainsi que le Concerto pour clarinette K. 622 (1791) il ouvrit la voie à tant de chefs-d’œuvre pour cet instrument jusqu’aux nos jours.

À son époque, la cour de l’empereur Joseph II à Vienne proposait, dès avril 1782, un ensemble à vents « par deux » avec cors, hautbois, clarinettes et bassons. La formation fut imitée par les nobles de la ville, offrant une floraison de pièces nouvelles.

Mozart compose en octobre 1781 la Sérénade en mi bémol majeur K. 375 pour deux clarinettes, deux cors et deux bassons et y ajoute l’année suivante deux hautbois — est-ce pour se conformer à la mode de l’octuor impérial ? La partition dégage une légèreté entraînante et offre un moment agréable pour la soirée, comme il était usage que la sérénade se jouait à la tombée de la nuit.

Mais rendre cette légèreté sur les vents est une autre affaire. De part leur caractère initial d’instruments pour plein air, l’exigence des vents ne sont pas les mêmes que les cordes quant à la matière de subtilité. Et pourtant, les musiciens de l’Akademie für Alte Musik Berlin jouent cette partition avec la délicatesse de musique « de chambre », d’intérieur.

L’équilibre entre les quatre pupitres est parfait, les phrasés sont d’une fluidité fascinante. Les cors (naturels), notamment, sont d’une justesse étonnante, compte tenu de sa particularité organologique. De ses cinq mouvements organisés de manière symétrique (autour d’un mouvement lent au centre, deux Allegro à l’extrémité et deux Menuets), celui qui montre le mieux toutes ces qualités est probablement l’Allegro final, joyeux, chantant, dansant même. Dès le thème initial commençant par cinq mêmes notes (le thème du refrain du rondo) auxquelles un crescendo (que la partition ne mentionne pas) confère un relief dynamique, la gaîté nous gagne indéniablement. Nous sommes sensibles aux trilles sur la première note de la quatrième mesure de ce thème, légers comme l’air, ainsi que la « mélodicité » du deuxième thème qui fait l’écho aux longues phrases lyriques du mouvement central. Quant à la partie du milieu, avec des motifs repris à chaque fois par les pupitres différents en imitation, l’enchevêtrement des timbres est si finement réalisé qu’on savoure la subtilité (toujours !) de ce dialogue heureux.

La Sérénade Grand Partita pour treize instruments (deux hautbois, deux clarinettes, deux cors de basset, quatre cors, deux bassons et une contrebasse) est l’œuvre le plus longue de tout le répertoire instrumental du compositeur, y compris les symphonies ! L’exécution nécessite une cinquantaine de minutes, au fil desquelles Mozart semble prendre un véritable plaisir. À travers cette envergure imposante autant pour la formation que pour la forme (à sept mouvements), l’œuvre combine des diverses sonorités comme dans une symphonie, grâce à une variété d’écritures inventives. Ici aussi, nos musiciens font preuve de leurs talents chevronnés. À la fluidité s’ajoute un véritable peps ; l’élan élastique est au rendez-vous tout au long de l’opus. Aussi interprètent-ils le trio I du premier Menuet tel un quatuor à cordes, le mélodieux Adagio avec une largesse symphonique, la Romance de manière lyrique comme un air d’opéra, le thème et ses variations avec à la fois malice et grâce, et le finale si gai et rythmé… Le flux d’inspiration mozartienne est bien là, en continu et sans interruption, ce qui fait de ce disque un enchantement. Son attrait est tel qu’on veut absolument que la musique dure pour toujours !



Publié le 16 mai 2021 par Victoria Okada