The Händel Album - Operatic Arias

The Händel Album - Operatic Arias ©Simon Fowler
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Le terme maturité peut susciter une certaine appréhension chez bon nombre d’entre nous. Ici, il n’est en rien employé dans un sens péjoratif, restrictif où la seule issue serait l’épilogue d’une carrière, d’une vie !
Acceptons-le dans un sens beaucoup plus noble et ouvert d’espoir, comme l’état d’un talent parvenu à l’entière plénitude de son développement artistique, émotionnel, expressif et vocal.

Les admirateurs inconditionnels de Philippe Jaroussky sont pleinement comblés et peuvent se délecter du nouvel album que le contre-ténor consacre à Georg Friedrich Haendel (1685-1759). Un cadeau de Noël avant l’heure ! Souhaitons le même plaisir aux amateurs de musique baroque ou non…

Sorti le 13 octobre dernier sous le label EratoWarner Classics, The Händel Album condense des œuvres (récitatifs et arias plus ou moins connus), parmi les trente-cinq opéras haendéliens composés pour la scène londonienne entre 1711 et 1741. A côté des «œuvres-stars» (Serse, Siroe, re di Persia, …) brillent d’autres pièces au rayonnement plus intimiste tels que Riccardo primo, re d’Inghilterra, Flavio, re de’ Longobardi, Ezio.
La tournée promotionnelle du CD comporte vingt-cinq dates. Le mois dernier, le contre-ténor et son ensemble Artaserse ont triomphé au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, plus connu sous le nom de BOZAR. Notre consœur, Marina Somers, a signé un joli compte-rendu français/néerlandais à ce sujet (voir chronique en français : Les couleurs de Haendel ).

Attirés et animés par une certaine curiosité, nous devions nous procurer l’enregistrement et nous essayer à un commentaire. C’est chose faite aujourd’hui ! Nous ferons volontairement l’impasse sur l’historique des œuvres d’Haendel vu qu’il a été développé dans la chronique de notre consœur.

Tout comme Haendel lors des reprises, Philippe Jaroussky et son ensemble ont transposé plusieurs airs en vue d’un certain confort musical. Ceci étant établi, centrons-nous sur l’écoute de l’enregistrement, sur la musique...

Offert par l’ensemble des musiciens, le délicat larghetto tapisse le sol de notre écoute de notes douces et raffinées. Il pose l’entrée de Philippe Jaroussky qui lance un velouteux « So, potessero i sospir’ miei far che l’onde a queste sponde riportassero il legno infido » – « Si mes soupirs pouvaient faire que l’onde vers ce rivage ramène le navire infidèle », (Imeneo, HWV 41, 1740 – piste 01). Les huit violons, les deux altos, les deux violoncelles, la contrebasse et le théorbe emploient un affect mélancolique relevé par la voix claire et haute du contre-ténor. Comme l’écrivit Jean-Jacques Rousseau, dans son traité d’éducation Emile ou De l’éducation (1762), la mélancolie n’est-elle pas l’amie de la volupté ? «L’attendrissement et les larmes accompagnent les plus douces réjouissances, et l’excessive joie elle-même arrache plutôt des pleurs que des ris.» Ph. Jaroussky y développe toute l’expressivité nécessaire afin de rendre vivant tous les soupirs de son cœur – « i sospiri del mio cor ». Il honore l’amoureux grec Imeneo. Le jeu du théorbe, tenu par Michele Pasotti, est d’une extrême finesse.

La deuxième piste, quant à elle, fait place aux vents tempétueux scandés par les cordes et les rafales continuelles de la claveciniste Yoko Nakamura. Sous les traits de Riccardo primo, re d’Inghilterra (Richard Ier, roi d’Angleterre, dit Richard Cœur de Lion), le contre-ténor se lance dans une ornementation tourbillonnante. La construction sonore est plus que maîtrisée. Son « Agitato da fiere tempeste » – « Bousculé par de violentes tempêtes » est impétueux. Les accents sont marqués sans intempérance. Le souffle est constant dans les longues vocalises. Si nous prêtons l’oreille, nous pouvons imaginer l’appui lingual contre les dents pour former des consones percutantes.

S’ensuivent deux extraits de Siroe, re di Persia (HWV 24, 1728). Le récitatif accompagné, « Son stanco, ingiusti Numi » – « Je suis fatigué, injustes Dieux » (p. 03), arbore une tonalité noire renforcée par les coups secs et appuyés des archets.
Composée dans une tonalité harmonique inhabituelle (en si bémol mineur), l’ouverture larghetto e staccato (lente et saccadée) de l’air « Deggio morire, o stelle ! » – « Je dois mourir, ô étoiles ! » (p. 04), s’argumente en cinq parties de cordes. L’instrumentation folâtre sans pudeur avec l’expressivité. Un pur délice même si la tristesse nous étreint ! Philippe Jaroussky soigne l’articulation des trilles. Chaque note est pensée, pesée exaltant la subtilité de l’aria tenant en haleine le vibrato léger et contenu du contre-ténor.

Le court « Si, la voglio e l’otterrò ! » – « Oui, je la veux et je l’obtiendrai ! » (p. 05), extrait de Serse (HWV 40, 1738), est plaisant à l’oreille. Le contre-ténor affirme avec fermeté sa détermination à conquérir le cœur de Romilda. Il se lance dans une série de vocalises, passant aisément du grave à l’aigu telle la note tenue finale. Son organe vocal est agile et malléable à souhait. S’il ne peut séduire sa bien-aimée, nous sommes envoûtés par la perfection du son émis.

Les quatre pistes suivantes sont consacrées à l’opéra Radamisto (HWV 12, 1720). Avec aisance et naturel, Philippe Jaroussky laisse voguer son chant dans le chenal vocal creusé au fil du temps. D’un ton empreint de douleur, Rhadamiste, prince de Tharce, nous saisit par son plaintif « Ombra cara di mia sposa » – « Ombre chère de mon épouse » (p. 06). Les cordes énoncent et soulignent la richesse du timbre du contre-ténor, aux aigus rayonnants. Apportons une écoute toute particulière au basson de Nicolas André qui entonne les notes dans un schéma de descente diatonique. Comment ne pas ressentir cette souffrance ?
Le recueillement est troublé par le « duo » fougueux, récitatif et aria « Vieni, d’empietà mostro crudele […] Vile, se mi dai vita » – « Viens, d’impiété monstre cruel […] Infâme, que tu me donnes à la vie » (p. 07 & 08). Les accents, insufflés par les cordes, sont emportés.
Le calme règne de nouveau grâce à la douceur du largo « Qual nave smaritta tra sirti e tempeste » – « Ce navire égaré entre écueils et tempêtes » (p. 09). L’articulation est exempte de toute tension n’entravant nullement l’espace bucco-pharyngé. Philippe Jaroussky énonce avec sérénité les notes forgées dans le moule vocal. Les notes ondulent sous le voile du palais. Il excelle. Sa virtuosité vocale enflamme la finesse de l’air notamment lors du final « Né luce, né porto gli toglie il timor » – « Nul phare, nul abri ne l’affranchit de ses craintes ». Un pur bonheur !

Avec quatre extraits, une place « de roi » est accordée à l’opéra Flavio, re de’ Longobardi (HWV 16, 1723). Le court récitatif « Privarmi ancora dell’amata beltà ? » – « Me priver encore de la beauté que j’aime ? » (p. 10) campe la fureur exprimée dans l’air « Rompo i lacci e frango i dardi» – « Je romps les liens et je brise les traits » (p. 11). La tonalité en sol mineur sert avec justesse l’emportement. Comme bien souvent, la fureur est contrebalancée… Le son ouaté d’un hautbois solo (Vincent Blanchard ou Guillaume Cuiller) accompagne le contre-ténor sur « Ma poi senza l’idol moi » – « mais ensuite sans celle que j’adore ». La fureur souffle à nouveau avec la reprise da coda « Rompo i lacci ».
Le récitatif « Son pur felice al fine » – « Me voici enfin heureux » (p. 18) et l’aria « Bel contento già gode quest’alma » – « D’un doux transport mon âme déjà se réjouit » (p. 19) se parent de belles nuances. L’aria déploie de longues vocalises élégantes mettant à l’épreuve le souffle. La voix demeure homogène et s’écoule en cascades de triolets allant du registre grave à l’aigu. Les notes sont exprimées avec force, légèreté. Quel chant expressif !

Troublant, l’aria « Sussurrate, onde vezzose » – « Murmurez, ondes délicieuses » (p. 12), tiré d’Amadigi di Gaula (HWV 11, 1715), s’ouvre tout en douceur grâce au chant mélodieux de deux flûtes à bec (Adrien Mabire et Benoît Tainturier). Le pianissimo, s’exerçant sur la note tenue « su » de « sussurrate », jouit d’une belle richesse plastique. Les groupes de notes embellissent la mélodie instrumentale.

Philippe Jaroussky s’empare avec brio du récitatif accompagné « Che più si tarda omai […] Inumano fratel , barbara madre » – « Pourquoi tarder encore […] Frère inhumain, mère barbare » (p. 13), Tolomeo (HWV 25, 1728). La mort rôdant, il livre un poignant « Stille amara, già vi sento » – « Larmes amères, déjà je vous sens » (p. 14). Il mène l’expressivité au bout des notes, des nuances.

Saluons également sa prestation dans le récitatif plein d’entrain « Chi mi chiama alla gloria ? » – « Qui m’appelle à la gloire » (p. 15), l’aria enjoué « Se parla nel moi cor intrepido valor » – « Si à mon cœur parle une intrépide valeur » (p. 16), Giustino (HWV 37, 1737).
Sur un tempo de sicilienne, le contre-ténor entonne « Pensa a serbarmi, o cara » – « Songe à me garder, ô chère » d’Ezio (HWV 29, 1732). Qui peut encore dire à ce jour que Philippe Jaroussky manque de qualités expressives ?

Afin de ne commettre aucune injustice, citons les violons (Alessandro Tampieri, Petr Ruzicka, Guillaume Humbrecht, Patrick Oliva, Raul Orellana, José manuel Navarro, Giorgia Simbula, Katia Krasutskaya), les altos (Marco Massera, Inigo Aranzasti) et la contrebasse (Elisa Joglar).

Philippe Jaroussky et son ensemble Artaserse répondent avec virtuosité aux qualités musicales et dramatique indéniables d’Haendel. La finesse des récitatifs et des arias a été soulignée par chacun des interprètes. Les nuances ont été utilisées à bon escient.
Il signe là un album où la « maturité vocale » sert, sans conteste possible, l’expressivité.



Publié le 21 nov. 2017 par Jean-Stéphane SOURD DURAND