Complete Organ Music - Hassler

Complete Organ Music - Hassler ©Détail du plafond de l’église Madonna del Popolo de Romagnano Sesia, photo Manuel Tomadin
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Hassler à l’orgue dans les grandes largeurs

La notice le présente comme « un des plus grands compositeurs allemands de toute époque grâce à l’utilisation des innovantes techniques italiennes combinées avec le style germanique » (nous traduisons). Né à Nuremberg, fils d'un organiste qui lui donna ses premières leçons « dans la crainte de Dieu », Hans Leo Hassler est réputé le premier compositeur allemand parti se perfectionner à Venise. En 1584, il s’y rend dix-huit mois pour étudier auprès d'Andrea Gabrieli et y fait la connaissance de son neveu Giovanni ainsi que de Claudio Merulo. Cet apprentissage influencera son style, tant pour le clavier que la musique vocale, qui reste la partie la mieux connue et la plus fréquentée de son œuvre. L'année suivante, il quitte la cité sérénissime à la mort de l’oncle, et retourne en Allemagne. À Augsbourg, il se rapproche d’Octavian Fugger et occupe bientôt une charge de musicien auprès de cette riche famille de financiers. Preuve de sa notoriété, Il accède au poste d’organiste de la Frauenkirche de Nuremberg, puis à Dresde auprès de l’Électeur de Saxe. Son expertise de l’instrument à tuyaux le voit superviser et inaugurer plusieurs constructions en lien avec les facteurs, jusque Gröningen et Hambourg.

Contemporaine de John Bull (1562-1628), Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621), Peeter Cornet (c. 1570-1633) et Jehan Titelouze (1563-1633), cette production pour clavier ne subsiste sous aucune forme autographe mais on en trouve trace dans quatre principaux manuscrits conservés à Berlin, Padoue, Munich et surtout Turin. Une authenticité parfois douteuse. Dans une thèse pour l’Université d’Harvard (1991), Vincent Panetta défricha par exemple les questions d’influence et de paternité concernant le genre de la toccata, lié au répertoire vénitien. Dans le monolithique livret, on regrette que le texte de présentation touffu ne précise ces hypothèses et taise les sources employées – mentionnons parmi celles publiées le volume XIII (en deux parties) des fondamentales Sämtliche Werke chez Breitkopf & Härtel, édité par la Gesellschaft für Bayerische Musikgeschichte.

Pour les albums entièrement consacrés à Hassler, la discographie compte les témoignages de Martin Böcker à Norrfjärden (Ambitus), Franz Raml à Tangermünde & Schlägl (MDG), et Joseph Kelemen à Klosterneuburg & Gabelbach (Oehms). Face à ces anthologies, au demeurant fort enviables, on mesure l’envergure du projet de Manuel Tomadin, annoncé comme Complete organ works, proposant onze disques et treize heures de musique. Au rayon sacré figurent les quatorze arrangements du Magnificat couvrant tous les tons, ainsi que les sections d’une messe reflétant comment Hassler conjoint les dogmes protestant et catholique, en cumulant emprunt au fonds grégorien et au choral. Dix-sept versets liturgiques, susceptibles d’alimenter un alternatim, sont ici joués comme des pièces indépendantes et disséminés sur les onze disques. Parmi les pièces d’attribution incertaine, le coffret embarque un ensemble In exitu Israel (CD 1) parallèlement à celui peregrini toni (CD 2), et aussi un Magnificat Primi Toni alla quarta piu alta (CD 9).

Le spectre profane regroupe des Ricercar dans un style vocal, aussi fluide que recherché, certains briguant une étonnante monumentalité (celui sur le septième ton atteint 668 mesures !), mais aussi des Canzone sous forme contrapuntique et d’un abord plus aisé. Le CD 3 rassemble une collection de pièces tirées de l’inestimable Tablature de Turin, adaptant un recueil de chansons que le compositeur publia en 1601 à Nuremberg sous le titre de Lustgarten neuer teutscher Gesäng, Balletti, Gaillarden und Intraden. On appréciera l’apport de Hassler au procédé de la variation : une trentaine de guises déclinent Susanne un jour de Lassus. Et autant pour Ich gieng einmal spatieren sur l’air de La Monica, qui par son déploiement et son invention s’avère un digne prédécesseur des Goldberg de Bach et des Diabelli de Beethoven ; on regrette d’ailleurs que les cinquante minutes ne soient plaginées sur le CD 5. Pour une alternative sur clavecin, rappelant la vocation de ces pages, on se fiera à Léon Berben (Ramée).


Orgue de l’église S. Maria Maggiore de Spilimbergo ; photo Manuel Tomadin

Succinctement présentés et iconographiés dans le livret, onze orgues italiens des plus opportuns servent ce panorama. Tous de souche historique, sauf le Zanin de S. Maria Maggiore de Spilimbergo, édifié en 1981, certes dans un antique buffet de 1515. Un orgue par disque, sauf le CD 7 incluant aussi un Ricercar capté à Cortona et un autre capté à Peglio et qui apparaissent là car les CD 2 et 5 ne pouvaient les accueillir pour des raisons de minutages. La plupart sonnent dans un tempérament mésotonique situant ces pièces dans l’héritage de l’harmonie de la Renaissance. Après les larges ressources de l’église Santa Caterina de Comunanza, les formats se font plus intimistes, s’exprimant à des consoles n’excédant pas huit jeux (Ponte in Valtellina, Romagnano Sesia, Valvasone). Dans le quasi-silence des partitions quant aux registrations requises, le docteur Tomadin cite les carnets d’Esaias Compenius (c. 1572-c1617), de Vincenzo Colombi (c. 1491-1574) qui œuvra pour l’église S. Corpo di Cristo de Valvasone, et se réfère à L’Arte organaria de Costanzo Antegnati (1549-1624).

Cet encyclopédique éventaire est sans concurrence dans l’état actuel de la discographie. Au-delà de l’effet-catalogue qui ravira les mélomanes intégralistes, le tout n’empêchera pas de saluer le soin des parties. Les interprétations de ce cycle marathonien brillent par leur saine articulation polyphonique, sans négliger le charme de l’invention mélodique. Manuel Tomadin poursuit avec bonheur son exploration du répertoire germanique et permet de considérer la stature de Hassler, dans les grandes largeurs, et dans d’optimales conditions artistiques et sonores. Malgré une documentation un peu brute et laconique, cette magistrale proposition permet de saisir le rôle fondamental de ce corpus dans la transition vers le langage baroque - une éloquence émanée d’un compositeur pour lequel de son propre aveu la maîtrise du clavier était aussi naturelle que la faculté de parler.



Publié le 10 nov. 2022 par Christophe Steyne