Per il Cembalo Solo - Joseph Haydn - Pierre Gallon

Per il Cembalo Solo - Joseph Haydn - Pierre Gallon ©Denis Girard / www.declic-nature.com
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En ce début d’année, nous vous proposons à l’écoute un disque qui se doit absolument de figurer dans votre discothèque du fait de son intérêt musical !

Paru sous le label L’Encelade, le CD « Per il Cembalo Solo » pose en majesté la musique de clavier de Joseph Haydn (1732-1809). Bien au-delà de l’incarnation du classicisme viennois, le compositeur viennois s’est exprimé dans une subtile formule musicale, comme dans l’art de création des parfums. Il a su allier différents styles, tel le style galant sorte d’élégance formelle, à de lumineuses couleurs imprimées par la variation ornementale.
Haydn crée et implique un mouvement transitoire entre le baroque « vieillissant » et les prémices d’un style nouveau, le romantisme. Il insuffle une vitalité mélodique à la musique qui devient séductrice.
Les sept pièces, gravées sur ce disque, traduisent avec force et virtuosité la période transitoire appelée « Sturm and Drang » (« Tempête et Passion »). Composées environ entre 1766 et 1781, les pièces apparaissent comme une pseudo-renonciation à la polyphonie. Elles sont dénuées du style préconçu, héritage du passé, et font part belle aux vacillations rythmiques.
L’ornementation, quelque peu « florale » des pièces, laisse place à la virtuosité musicale. Les contrastes sont saisissants, passionnants en fluctuant entre les modes majeurs et mineurs. Dans le creuset musical, tout bouillonne, frémit. Lancés dans une quête attentive, nous oublions l’impensable « monotonie » de l’instrument…
Cette opposition modale, de bon aloi, transfigure les sentiments dans leurs multiples formes expressives.

La quête expressive se trouve, encore bel et bien, au cœur de l’action musicale. Et découvrant ce CD, nous en sommes intimement convaincus.
Le claveciniste Pierre Gallon scelle notre adhésion. Grâce à son clavecin, il argumente en faveur de la musique de clavier d’Haydn.

Le clavecin, utilisé dans le présent enregistrement, est accordé selon le diapason de 415 Hz. Cette fréquence correspond au diapason germanique du XVIIIème siècle, mais également celui du baroque de la première moitié du XVIIème siècle.
En musique, le diapason est un outil donnant la hauteur (fréquence en hertz) d’une note conventionnelle dite repère, en général le La. Par extension, le diapason signifie la hauteur absolue de la note de référence mondialement acceptée (de nos jours, la fréquence du La3 est de 440 Hz).

Ecoutons la partita HobXVI :6 (avant 1766), connue sous le nom « Divertimento per il Cembalo Solo » (pistes : 1 à 4). La variété de sonorités s’exprime pleinement dans le mode de do majeur. Pierre Gallon y emploie différents jeux (rangs de cordes) à l’aide des registres sélectionnés. D’ailleurs, il « s’amuse » à les combiner développant ainsi les riches harmonies notamment dans le mouvement adagio (p. 03). Esquisse des premières lueurs romantiques… ?
Dans la sonata per Clavicembalo HobXVI :27 (1776) en Sol majeur (p. 06 à 08), le claveciniste est tout simplement virtuose. Suivons la main gauche qui dialogue avec sa condisciple, l’une unie à l’autre. Elles dévalent le clavier sautant des gammes mélodieuses aux trilles graciles. Tantôt sur les marches (touches diatoniques, notes non altérées), tantôt sur les feintes (touches chromatiques, dièses et bémols), elles nous envoûtent évitant in facto l’écueil d’un perpétuel continuum sans âme !
Les trois mouvements (andante, menuet, finale allegro molto – p. 10 à 12), du divertimento HobXVI :12 (avant 1766), attirent également notre attention. La tonalité en La majeur s’y déploie avec aise. Le finale (p. 12) se déroule d’une façon dynamique oscillant entre mineur et majeur. Fraîcheur interprétative garantie…
La dernière sonate pour clavecin, « a Principe Niccolo Esterházy » op.13 HobXVI :24 (ca ; 1773), que nous retrouvons aux pistes 13 à 15, trace de nouveau sur la partition le génie d’Haydn et la vélocité de Pierre Gallon.

L’imagination créatrice du compositeur est sans limite à l’exemple du capriccio Hob XVII :1, « Acht Sauschneider müssen seyn » (1765), (p. 16). Pour mémoire, un capriccio (caprice en français) est une forme musicale donnant son nom à des pièces ou à des mouvements (capriccioso) le plus souvent enjoués et de forme libre.
Les harmonies du capriccio composé en Sol majeur amènent une certaine ivresse, ivresse de la vie partagée par Haydn. Les irrégularités rythmiques (césures, accords plaqués, …) donnent vie aux répétitions. La phrase musicale, dans son schéma structurel, se fixe dans notre conscience. Ne serait-elle point entêtante ?

Poussant l’art instrumental dans ses ultimes retranchements, Joseph Haydn a su traduire l’art vocal au clavecin. Les trois lieder, gravés dans ce disque, en témoignent.
« Geistlisches Lied », HobXXVIa:17 datant de 1781, (p. 05), aborde l’adagio dans une tonalité de Sol mineur d’où se dégage un certain recueillement.
Le lied « Minna », HobXXVIa:23 composé en 1781, (p. 09) infère des respirations mélodiques (vocales) l’amour. Ce lied est dedié à mademoiselle Franziska Liebe Edle von Kreutzner…
Quant au dernier lied de 1781« Auf meines Vaters Grab » – « Sur la tombe de mon père », HobXXVIa:24 (p. 17), il apparaît comme le tombeau du baroque… Le « dramatisme » tonal du Mi majeur sublime le phrasé articulé.

Ce CD établit effectivement le génie de Joseph Haydn dans le style musical des sonates. Le compositeur leur offre une structure multimodale, multiforme prenant le nom de divertimento, de partitas. Nous notons un souci permanent des contrastes, des textures. Si « décoration » il y a, seule la virtuosité compte ! La sensualité naît des œuvres amorçant le mouvement inéluctable du sablier musical.

L’attention sans cesse portée au doigté par Pierre Gallon orchestre le phrasé, le jeu des styles, le prisme des couleurs. Tout cela contribue à vivifier la mélodie.
Le son du clavecin est source de sensualité, d’envoûtement…



Publié le 13 janv. 2018 par Jean-Stéphane SOURD DURAND