L'héritage de Rameau - Les Surprises

L'héritage de Rameau - Les Surprises ©Benoît Pelletier
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Un héritage pétillant et de juste goût !

C'est une belle idée que celle d'Yves Rechsteiner (organiste) et Louis-Noël Bestion de Camboulas (claveciniste et chef) de convoquer l'Ensemble Les Surprises (créé par le claveciniste et empruntant son nom à un opéra-ballet de Rameau), pour nous faire écouter des arrangements d'extraits de tragédies lyriques de Jean-Philippe Rameau (1683 - 1764), et d'y ajouter d'autres « nouvellement composées » de François Rebel (1701 - 1775) et François Francœur (1698 - 1787). Dans ce disque (paru aux Editions Ambronay), si certains extraits sont connus, la forme, la présentation et l'interprétation sont originales et transmettent, à l'écoute, un enthousiasme communicatif.

Il y a une dizaine d'années, la mode était de donner des compilations de danses (en général pour orchestre), sous forme de Suites, extraites de Tragédies Lyriques (ou autres formes musicales chantées s'apparentant à l'opéra comme l'opéra-ballet, l'acte de ballet...). Les enregistrements des Suites de Rameau ont donné lieu à de nombreux émerveillements. On retiendra entre autres : Jordi Savall (Le Concert des Nations ; Les Indes Galantes, Naïs, Zoroastre, Les Boréades, AliaVox, 2010), Frans Brüggen (L'Orchestre du XIIIème ; Naïs, Zoroastre, Les Indes Galantes, Dardanus, Les Boréades, Castor et Pollux..., Philips et Glossa), Marc Minkowski (Une Symphonie Imaginaire, Les Musiciens du Louvre, Archiv Production 2005), Christophe Rousset (Les Talens Lyriques, L'Oiseau Lyre, 1997), Gustav Leonhardt (L'Orchestre de l'Âge des Lumières ; Les Paladins, Philips 1992) ou encore Sigiswald Kuijken (La petite Bande ; Hippolyte et Aricie, DHMU 1979). Un autre enregistrement de transcriptions, tout à fait remarquable, est celui de Skip Sempé et Pierre Hantaï, à deux clavecins, faisant suite à un concert à la Philharmonie de Paris (Mirare 2012).

L'idée originale d'Yves Rechsteiner et Louis-Noël Bestion de Camboulas est de reprendre quelques danses des compositions lyriques de Rameau et de les transformer en Concertos pour orgue. Car, c'est un fait historique que notre Rameau national était un excellent organiste, mais qu'il n'a laissé aucune trace de composition pour cet instrument. On sait, par ailleurs, que le Concert Spirituel (créé à Paris en 1725 par le compositeur Anne Danican Philidor et dissous en 1790), donnait souvent des transcriptions pour orgue de ces suites, réalisées par Claude Balbastre (1724 - 1799). En alternance avec les Concertos, on trouvera de « nouvelles » suites réalisées à partir de compositions de Rebel et Francœur (le premier CD de l'ensemble, chez le même éditeur, était d'ailleurs un mélange de compositions de Rebel père et fils).

Les trois Concertos pour orgue (en trois ou quatre mouvements), enregistrés en l'église de Souvigny, sur l'orgue François-Henri Clicquot de 1782, sont un vrai bonheur. Il faut noter qu'Yves Rechsteiner, a déjà commis un enregistrement de transcriptions de Rameau pour orgue seul (le Moucherel-Boisseaux et Cattiaux à Cintegabelle, Alpha, 2008) et connaît admirablement son sujet !

Le premier Concerto (plages 1 à 3), dit Les Sauvages recoupe ce précédent enregistrement, les deux autres Concertos étant inédits au disque. Le rendu global de ces arrangements est vif, tonique et enthousiasmant à souhait. La virtuosité de l'organiste se révèle particulièrement dans les passages que l'on qualifiera de « cadences » (plage 2 en entier), virevoltants et toujours de bon goût. Seul bémol, l'orgue au début du premier mouvement (plage 1) est un peu trop en avant et écrase les délicats instruments, ici en trop petit nombre, même si l'équilibre est certainement difficile à réaliser. Le deuxième Concerto (plages 8 à 10), appelé Les Enfers, combine judicieusement des pages éponymes de Dardanus et Hippolyte et Aricie, donnant un grand plaisir à l'écoute confirmé dans le dernier Concerto (plages 14 à 17) appelé lui Les Amours.

Les deux suites de Symphonies (plages 4 à 7, puis 11 à 13) réalisées à partir d'œuvres lyriques de François Rebel et François Francœur (Pyrame et Thisbée, Le Ballet de la Paix, Scanderberg...) sont aussi délicatement adaptées (ici par Louis-Noël Bestion de Camboulas) et mettent en évidence les qualités de l'ensemble Les Surprises, particulièrement virtuose et bien capté.

En conclusion, cet enregistrement, tonique et agréable, renouvelle, pour partie, l'exercice de mélange de danses, dans ce qui est historiquement perçu comme l'une des créations de l'orchestre symphonique, avec l'ajout superlatif de l'orgue. Cet enregistrement est à marquer d'une pierre blanche de par l'utilisation de la forme du Concerto pour orgue (finalement assez peu présent dans la littérature baroque). Cette approche nouvelle, bien réalisée musicalement est historiquement tout à fait licite dans sa forme. Au bilan un excellent travail de « baroqueux ».



Publié le 09 janv. 2018 par Robert Sabatier