Hidden Treasures - ¡Sacabuche!

Hidden Treasures - ¡Sacabuche! ©Défenestrations de Prague © iStock Images
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Influence italienne à la Cour des Habsbourg, anthologie vocale et instrumentale

Dans une typographie microscopique qui vaut examen de presbytie, le livret explique que ces « trésors cachés » ont été puisés par Linda Pearse dans les archives de la Vieille Europe : principalement au Château de l’Archevêque à Kromeríž, mais aussi à Wolfenbüttel pour Georg Piscator et à la bibliothèque de l’Université d’Uppsala pour Giovanni Sances. L’album illustre le répertoire pratiqué à la Cour des Habsbourg et l’esthétique transalpine qui s’y exprima : « de la musique pour contralto, violons, cornets, sacqueboutes, théorbe et orgue, dont les compositeurs ont été formés en Italie ou influencés par les styles musicaux italiens, mais rattachés à la cour des empereurs Ferdinand II et Ferdinand III ». Une thématique déjà explorée sous son versant instrumental par quelques CDs : Venetian Music at the Habsburg Court in the 17th Century de Roland Wilson et Musica Fiata (DHM, 1991), Tausend Gülden du Freibürger Barockorchester (Carus, 1999), les Sonates de Bertali par Le Concert brisé de William Dongois (Accent, 2013)…

Venise tenait bien sûr une place prépondérante tant comme foyer d’édition que comme vecteur stylistique. La manière polychorale de la basilique San Marco se retrouve dans les réponses en cori spezzati de la Sonate de Buonamente, dont les œuvres furent imprimées dans la cité sérénissime, à l’instar de ses enfants Valentini et Neri lequel avant son séjour viennois s’était distingué comme organiste à Saint-Marc. Valentini exerça lui comme organiste à la Cour impériale et écrivit dans la veine de Giovanni Gabrieli qu’il avait vraisemblablement connu en ses premières années. Antonio Bertali lui succéda à Vienne comme Maître de Chapelle et occupe la majeure partie du disque. La Sonata quarta de Wendelin Hueber, qui fréquenta une vingtaine d’années la tribune du Stephansdom, la Sonata à 7 de Georg Piscator (tiré d’un manuscrit en partition), la Sonata à 3 de Philipp Jakob Rittler cultivent les mêmes germes ultramontains.

L’équipe a choisi les versions cordes /cuivres qui lui sont favorables quand existent les alternatives (Neri, les quatre Sonatellae dans leur mouture archivée à Uppsala) et transcrivit pour cornets et sacqueboutes certaines pièces comme la Sonata prima de Bertali ou l’accompagnement du motet concertant de Giovanni Felice Sances.

Linda Pearse, la directrice de l’ensemble canadien, est spécialiste du motet italien avec trombone au XVIIe siècle, un répertoire qu’elle a contribué à éditer et qui suscita un précédent album avec ses musiciens de ¡Sacabuche !, fondé il y a une quinzaine d’années. On ne s’étonne donc pas que le présent CD accueille quelques pages vocales dans cette forme : le bref Salve Regina, le délicat O quam suavis, le chaste Transfige O dulcissime mi Jesu, les coloratures du Laudate, pueri, Dominum de Bertali, tout cela hélas chanté par une voix tantôt blanche, prosaïque ou monotone dont le timbre privé de chaleur neutralise l’idiome latin qu’on attendait. Voudrait-on montrer que le soleil se ternissait quand la veine lyrique se prêtait à la Cour habsbourgeoise ?

Les interventions instrumentales sont bien mieux servies, par une couleur cohérente et une discipline exacte, par des violonistes souples et mordorés, quoiqu’on eût souhaité un surcroît de virtuosité chez les cornets et de tempérament chez les sacqueboutes. Ces pages flamboyantes mitonnent à feu doux mais nous sont ciselées avec tact et goût. Estimera-t-on qu’un goût plus discutable a présidé au choix de l’illustration de couverture, certes légitime : une évocation des Défenestrations de Prague (1618) rappelant le contexte d’antagonisme religieux qui féconda la Guerre de Trente ans. Tel est le décor politique des œuvres de ce programme, stimulées par les propensions de la catholicité dans l’aire du Saint Empire.



Publié le 01 nov. 2021 par Christophe Steyne