Hollandse Fragmenten - Diskantores

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Des trésors retrouvés

Cet album est la preuve que la musique du Moyen Âge tardif ne manquait ni d'ardeur, ni de passion. Comme le soulignent Niels Berrenstein et Eliane Fankhauser dans leur introduction, les fragments de musique polyphonique du Moyen Âge sont originaires des régions néerlandophones. Les recueils contiennent des pièces en moyen néerlandais mais aussi des chansons écrites en moyen français et en allemand. Ils proviennent probablement de la cour du Comté de Hollande à La Haye, aux environs de Utrecht, résidence de l'évêque, et ont été retrouvés dans les bibliothèques de Utrecht, Amsterdam et Leyde. Ils sont datés d'environ 1400. Les manuscrits de l'époque ont été manipulés au début de l'ère moderne pour être recyclés « en feuilles de garde ou reliures ». Dès lors les compositions arrivées jusqu'à nous sont souvent incomplètes: il manque des voix, la partie musicale est incomplète et souvent illisible. La musicologue Eliane Fanlhauser a restauré numériquement certains morceaux manquants, tandis que d'autres ont été entièrement “recomposés” par le directeur de l'ensemble Diskantores, Niels Beretsen (consulter ici leur site).

Les pièces proposées constituent un mélange exquis de polyphonie sacrée et profane.

Pour commencer, Eer den lof, du compositeur Martinus Fabri, qui appartient à la catégorie de l'amour courtois. Martinus Fabri devait être originaire des Flandres ou des Pays-Bas. Fabri est certainement le nom latinisé de Smit, Smets ou Lefèvre. Quatre compositions complètes sont arrivées jusqu'à nous, essentiellement des ballades. Deux d'entre elles sont en français, selon le style de l'Ars subtilior, particulièrement complexe, et sont à trois voix. Les deux autres sont en néerlandais, composées dans un style syllabique, plus simple. Le Manuscrit de Leyde (Leiden), où ont été retrouvées les ballades de Fabri, contient également des ballades incomplètes.

Adieu vous di reprend le thème commun au répertoire de l'amour courtois mais ici, le raffinement des notations musicales ouvrent des possibilités d'expression musicales jusqu'ici inconnues. De même, les expérimentations rythmiques, la technique du contrepoint et l'aspect expressif du texte nous conduisent vers une nouvelle forme artistique: l'Ars Nova, techniquement complexe mais très émouvant.

Le Codex Faenza est un manuscrit musical du XVe siècle qui contient la plus ancienne collection de musique pour clavier. Indescort est un madrigal exécuté à l'orgue. Les pièces d'orgue ont été exécutées sur l'orgue Van Straten de l'Orgelpark à Amsterdam, unique reconstruction d'un orgue du XVè siècle provenant d'Utrecht.

Nous retrouvons Martinus Fabri dans Een cleyn parabel, une ballade en moyen néerlandais d'un lyrisme magnifique et qui met en exergue la dimension maternelle de cette pièce, avec peut-être un aspect autobiographique.. Le compositeur aurait en effet courtisé une dame qui a eu un enfant dont il n'est pas le père. Cette ballade rappelle une pièce composée par le moine Hugo Boy avec laquelle il existe de nombreux parallèles textuels et musicaux. La phrase Een vriendelic aesien (Un doux regard) suggère un contact direct entre les deux compositeurs.

Le précieux Salve Regina, une mélodie de plain-chant grégorienne, appartient au répertoire religieux.

Ist mi bescheert reprend le thème de l'amour courtois, tandis que Och lief gesel aborde un thème plus léger et joyeux avec l'arrivée du printemps.

Le Kyrie cunctipotens, joué à l'orgue, sert de base à une série de virtuosités contrapunctiques pour la main droite, d'une grande exactitude technique et mélodieuse. La disposition des sections suggère une alternance entre l'orgue et le plain-chant. Les ajouts instrumentaux rendent le programme de cet album particulièrement attrayant.

Le Gloria qui suit, ainsi que le Gloria Jubilacio de Hubertus de Salinis (compositeur franco-flamand, nommé prêtre entre 1403 et 1409), sont composés sur le modèle de la fin du Moyen Âge. Ils sont enrichis de musica ficta chromatique et d'un jeu à plusieurs voix simple et improvisé qui s'entrelacent , selon le style de l'époque, avec celles des choristes oscillant entre le plain-chant et une polyphonie sophistiquée, ponctuée de consonances et dissonances de grand effet.

Le Psallat chorus -Eximie Poter de Hubertus de Salinis est un motet à quatre voix invoquant Saint Lambert et témoigne de l'orientation internationale de la musique des Pays-Bas à l'époque. Il convient ici de rappeler que les artistes, peintres ou musiciens, voyageaient beaucoup à l'époque malgré les difficultés des voyages. Ces voyages permettaient aux artistes de se rencontrer et de s'influencer mutuellement.

Deo gracias est un chant grégorien tandis que O crux gloriosa subjugue par la virtuosité et la splendeur du jeu de l'organiste. Il est probable que ce genre de démonstration musicale eut vraiment lieu. En effet, un document élaboré dans les années 1390 par le haut clergé d'Utrecht mentionne une improvisation à l'orgue sur le chant à la fin de la messe.

Dans En ties en latins en romans, la dame rejette les attentions de l'amant courtois.

La Tablature de Groningue rassemble des pièces de musique composées dans la région de Groningen entre le XIIe et XVIe siècles. Ce répertoire provient essentiellement des églises et des monastères.

N'ay je cause de Martinus Fabri, où Orphée salue courtoisement une dame, est sur le même thème que Eer ende lof. Les deux pièces sont composées sur une mélodie du célèbre troubadour Oswald von Wolkenstein, compositeur allemand et grand voyageur.

Le recueil de l'ensemble Diskantores se termine par une chanson de carnaval dans une ambiance totalement différente. Cette chanson, en français, met l'accent sur les désirs charnels, et évoque le tableau de Brueghel l'Ancien (ca. 1525 - 1569) : Le combat de Carnaval et de Carême (1559).

A travers ce voyage musical, de morceaux en morceaux, l'ensemble Diskantores fait preuve d'une grande homogénéité de timbres ainsi que de nombreuses variétés de couleurs. Musicalité, sens du mouvement, voix limpides en harmonie avec le sens des textes. Ce voyage aux Pays-bas au tournant du XIVe et XVème siècles nous permet de découvrir les multiples facettes de ce répertoire unique, avec des interprétations de référence.



Publié le 21 févr. 2021 par Véronique Du Moulin