Los Impossibles – Christina Pluhar et l’Arpeggiata

Los Impossibles – Christina Pluhar et l’Arpeggiata ©Naïve
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Le baroque du Nouveau-Monde revisité

En 2006, Christina Pluhar et l’ensemble Arpeggiata nous invitaient à un véritable voyage à travers les époques et les contrées, à la découverte d’une musique méconnue, oubliée et parfois mésestimée du répertoire du XVIIe siècle.

LOS IMPOSSIBLES c’est la rencontre de cet ici - baroque et exubérant - et de cet autre bout du monde - insouciant vierge - à travers la musique traditionnelle d’Espagne, d’Italie, du Portugal, du Mexique et d’Amériques du Sud de cette époque ; la découverte des liens étroits et profonds entre les musiques d’hier et celles d’aujourd’hui.

Le disque s’ouvre avec probablement ce qui est à la fois son essence même et qui représente le plus cette musique baroque venue d’ailleurs. Avec Sa qui turo, on découvre encore plus : un pan oublié du répertoire baroque du Nouveau Monde, les Negrillos. Le Negrillo est l’exemple même de ce mélange, du lien multiculturel passionnant et terrible à la fois, qui joint cet ancien et ce nouveau monde. Ils sont écrits en Criollo, langue inventée qui imite l’accent des noirs des colonies quand ils essayaient de parler le portugais. Ces Negrillos, avec cette langue qui n’est ni du portugais, ni du castillan, ni du créole - un mélange de toutes à la fois - apportent une délicieuse note incroyablement moderne, une rythmique métisse, sensuelle, joyeuse, et un swing indéniable.

Il fallait trouver pour ce genre si particulier une formation parfaitement à son aise : à l’aise à la fois dans le répertoire ancien mais aussi beaucoup plus moderne pour pouvoir restituer cette langue et ce rythme dans le chant. Et Christina Pluhar a su trouver avec les King’s Singers la formation à la fois parfaitement à l’aise dans la musique ancienne tout en sachant apporter cette note jazzy et actuelle. Leurs voix se lient parfaitement les unes aux autres et reflètent l’incroyable plaisir qu’ils prennent à chanter ensemble. On les retrouvera par ailleurs tout au long de l’album pour interpréter ces Negrillos, parfois dans un registre presque amusant - comme dans Bastiao, avec le jeu des voix et des onomatopées - ou interprétant des villancicos issus du répertoire traditionnel.

L’enregistrement alterne aussi avec des pièces musicales, reprenant des thèmes connus, repris, enrichis, liant musique religieuse, traditionnelle d’alors et musique traditionnelle d’aujourd’hui.

On sera surpris d’entendre la guitare flamenca de Pepe Habichuela, guitariste flamenco inscrit dans la pure tradition de son genre. Mais elle prend une dimension ici tout à fait évidente au contact de cette musique métisse. On apprend ainsi le lien naturel et évident qu’entretiennent les musiques entre elle à travers les âges.

Il s’agit donc d’une proposition de cette musique et qui en présente une des possibilités, faisant sans cesse appel au talent d’improvisation du musicien. On allie donc jeu et instruments anciens, telles les formidables sonorités du cornet à bouquin (admirablement joué ici par Doron Sherwin), les notes plus discrètes du psaltérion (animé par Elisabeth Seitz et Marina Albero) ; et la rythmique sensuelle et percussive africaine (le magnifique jeu de Michèle Claude et David Maroyal aux percussions), métissage que l’on retrouve tout au fil de l’album.

De même l’enregistrement fait une place aux chansons traditionnelles dont on découvre les origines anciennes - souvent l’Italie du XVIe siècle puis l’Espagne, le Portugal, pour se retrouver quelques temps plus tard encore de l’autre côté de l’Atlantique - interprétées ici par Béatrice Mayo-Felip, chanteuse espagnole, et Patricio Hidalgo. Ces chansons reprennent des thèmes anciens et connus, existant encore de nos jours dans la musique populaire et traditionnelle du Mexique. On ne pourra s’empêcher de penser bien entendu au saudade portugais et cap-verdien, d’entendre le cante jondo (le chant flamenco) espagnol ; et de là, à toutes les formes dont découlent irrémédiablement les différentes musiques latines.

Le pari de Christina Pluhar tient sa route. Et ici le parti-pris est clair : il ne s’agit pas d’interpréter la musique telle qu’elle sonna en son temps. Il s’agit, dans la découverte et la réinvention, d’inscrire la filiation dans la musique et ainsi pouvoir transmettre un maximum de plaisir à un public d’aujourd’hui pas forcément connaisseur de ses subtilités.

Cet album est une invitation lancée à toutes celles et ceux, amateurs de musique ancienne, à se pencher sur l’incroyable répertoire des musiques baroques Sud Américaines : Mexique, Brésil, Venezuela, Pérou, Chili,... Répertoire longtemps oublié, ignoré, mais qui revit depuis une dizaine d’année grâce à la passion de quelques musiciens et qui saura, j’en suis sûr, vous surprendre et vous étonner d’abord, et pour finir par véritablement vous émerveiller.

Le disque est accompagné d’un livret tout à fait passionnant et complet sur cette démarche de relier les musiques d’époques et de lieux différents. De nombreuses explications sont apportées afin de nous donner les - quelques - clefs de compréhension à cette musique ancienne, métissée et populaire. Un DVD accompagne également ce disque avec un documentaire de 25 minutes sur l’enregistrement de l’album. On y découvre notamment les King’s Singers s’appropriant ces Negrillos avec un plaisir vraiment communicatif, et l’ensemble des musiciens de l’Arpeggiata, jouant à (re)jouer avec tout leur talent, cette incroyable musique d’ailleurs.



Publié le 20 nov. 2016 par Nicolas Debiazi