Lotario - Händel - FestspielOrchester Göttingen

Lotario - Händel - FestspielOrchester Göttingen ©Festpiel Haendel Göttingen
Afficher les détails

Pax saxonica

Après Ottone, HWV 15 qui obtint un grand succès, Georg Friedrich Haendel renoue avec le Moyen-âge germanique en composant Lotario qui fut créé le 2 décembre 1729, au théâtre du roi à Haymarket. Le livret de Lotario est une adaptation par Giacomo Rossi, du livret d'Antonio Salvi pour Adelaïde, un opéra de Pietro Torri, créé en 1722. Le livret de Salvi décrit la lutte entre Ottone, futur Othon Ier du Saint Empire (912-973), et Bérengario, duc de Spoleto, la victoire d'Ottone et son mariage avec Adélaïde de Bourgogne, reine d'Italie. Le nom du héros, Ottone, dans le livret de Salvi, a été changé en Lotario par Haendel puisque ce dernier avait déjà composé un opéra, Ottone, dont le héros était Othon II. Cet intérêt de Haendel pour le premier empereur romain germanique provient peut-être du fait qu'avant son couronnement, Othon Ier était duc de Saxe, que Haendel était saxon et que le roi d'Angleterre, Georges II, était né à Hanovre dans le Saint-Empire romain germanique.

Berengario, duc de Spoleto, ayant fait empoisonner le mari d'Adelaïde, reine d'Italie, veut donner cette dernière à son fils Idelberto qui est amoureux d'elle, amour non payé de retour. Adelaïde refuse cette union et devançant les menaces de Berengario et de son épouse Matilde, se retranche dans sa forteresse de Pavie. Lotario, roi de la Francie de l'est, prend la tête d'une armée et marche sur Pavie afin de protéger Adelaïde dont il est amoureux. Entre temps Berengario prend Pavie et fait emprisonner Adelaïde. Cette dernière devra épouser Idelberto ou bien mourir. Berengario perd la bataille de Pavie, il est fait prisonnier par Lotario. Adelaïde toujours prisonnière doit choisir entre la couronne ou le poison. Elle choisit le poison. Idelberto in extremis l'empêche de passer à l'acte mais elle lui dit qu'elle ne l'aimera jamais, décision acceptée par Idelberto qui promet à Adelaïde, respect et allégeance, à la grande fureur de sa mère, Matilde. Malgré la défection de Berengario, Matilde n'abandonne pas le combat et une nouvelle bataille entre Lotario et les troupes fidèles à Matilde a lieu et est gagnée par Lotario. Ce dernier entre dans le château, délivre Adelaïde et arrache le poison que Matilde était en train de boire. Le sort de Berengario et de Matilde est entre les mains d'Adelaïde qui leur pardonne. Lotario a gagné une bataille, a obtenu l'amour d'une reine. Par son union avec cette dernière, il devient roi d'Italie et allié du royaume de Bourgogne.

Difficile au départ de se passionner pour un épisode d'une histoire ancienne qui n'a pas valeur de mythe comme ont pu le devenir la chanson de Roland, les amours contrariés de Renaud et Armide ou même les tribulations de Frédéric Barberousse en Italie. La merveilleuse musique de Haendel et la caractérisation fine des personnages va cependant donner une vie extraordinaire à Lotario. Les scènes dramatiques et émouvantes sont légion et tous les airs sont magnifiques. Trois ou quatre d'entre eux figurent parmi ce que Haendel a écrit de plus beau. En outre, le texte de Giacomo Rossi, auteur présumé du livret, est un des meilleurs et des plus soignés que Haendel ait eu entre ses mains. On remarque dans ce livret la quantité inusitée d'arie di paragone, dans lesquels les personnages usent de métaphores pour illustrer leur situation du moment : le navire pris dans la tempête (Scherza in mar la navicella...), l'arbre puissant abattu par l'orage (Alza al ciel, pianta orgogliosa...), l'oiseau insouciant pris au piège par l'oiseleur (Orgogliosette va l'augelletto...) etc...On note aussi la présence de plusieurs récitatifs accompagnés comme celui de Matilde, Furie del crudo Averno..., parmi les plus intenses et violents de toute l'œuvre de Haendel. Cet opéra rarement donné méritait donc d'être mieux connu. Ce fut chose faite grâce à une production nouvelle représentée au festival de Göttingen 2017, spectacle ayant donné lieu à une chronique (http://www.baroquiades.com/articles/chronic/1/lotario-haendel-gottingen-2017). Cette représentation a été gravée en live et j'ai le plaisir de commenter ci-dessous le CD correspondant.

La distribution est, à mon avis, dominée par Marie Lys (Adelaïde). La soprano joue et chante ce rôle avec un enthousiasme communicatif. Ce rôle contient deux airs exceptionnels. Scherza in mar la navicella est un des plus beaux airs de tout Haendel. Dans cet aria di paragone où l'héroïne se compare au capitaine d'un navire en perdition, il y a une vie, un élan formidables auxquels Marie Lys rend justice par son énergie, sa voix éclatante et ses vocalises d'une vélocité et en même temps d'une précision impressionnantes. D'una torbida sorgente, autre aria di paragone, est un lamento poignant que Marie Lys chante d'une voix claire et pure avec beaucoup de sentiment. On remarque que la soprano n'hésite pas à prendre des risques en variant de façon audacieuse les da capo et en introduisant des suraigus spectaculaires. Quelques stridences mineures montrent que le très grand talent de cette artiste est encore perfectible ce qui est rassurant et fait le charme d'un enregistrement live. Sophie Rennert joue et chante le rôle titre. C'est un Lotario doux, pacifique, amoureux, bien éloigné du chef de guerre qu'il est à ce stade de sa carrière et de l'empereur qu'il deviendra bientôt. La mezzo a une voix au timbre chaleureux et à la belle coloration mais montre dans son premier air, Rammentati, une trop grande discrétion et parfois un souffle un peu court. Sa voix s'affirme petit à petit, notamment dans le magnifique Non disperi, peregrino... et elle nous offre au final un Vedro piu liete e belle, ravissant. Il m'a semblé que les arias qu'elle chante, écrits pour un alto castrato, dans un registre assez grave, n'étaient pas adaptés à sa tessiture. Je l'ai trouvée bien plus à l'aise dans les notes les plus aigues de sa partition. Le duetto qu'elle forme avec Adelaïde à la toute fin de l'opéra, écrit dans un registre plus aigu, Si bel sembiante... était très séduisant. Ursula Hess von den Steinen (mezzo-soprano) joue le rôle de Matilde, un rôle plein de bruit et de fureur. Excellente dans le récitatif sec et accompagné, elle m'a semblé aussi peiner un peu dans les graves, toutefois son engagement dramatique est à louer vivement. Jorge Navarro Colorado est Berengario. Ce ténor nous ravit par sa voix bien timbrée et son art consommé de la vocalise, il a brillé particulièrement dans Regno e grandezza. Idelberto, fils de Matilde et amoureux transi d'Adelaïde, est incarné par Jud Perry, contre ténor dont la prestation est touchante et expressive. La prestation impeccable de Todd Boyce (baryton) dans le rôle de Clodomiro m'a impressionné. Ses deux grands airs ont été chantés d'une voix au timbre conquérant, avec une intonation parfaite, beaucoup d'énergie et de brio. Il est pour moi la découverte de ce disque.

L'orchestration de Haendel est plus compacte qu'à l'ordinaire, les solis instrumentaux qui abondent dans d'autres opéras du compositeur, sont peu nombreux ici. L'orchestre du festival de Göttingen a montré de remarquables qualités. La sinfonia qui ouvre l'opéra est très plaisante et le chef, Laurence Cummings a souligné judicieusement son côté très français avec une superbe ouverture dont les rythmes pointés ainsi que la belle double fugue, montrent que Haendel voulait donner à ce portique un côté solennel et royal. J'ai beaucoup aimé le tonus de l'orchestre dans le dernier air de Clodomiro, Alza al ciel et évidemment dans le grand air d'Adelaïde, Scherza in mar la navicella ainsi que sa cohésion en toutes circonstances.

Avec neuf représentations en 1729, Lotario a fait une carrière honorable. Jugé trop difficile, il tomba vite dans l'oubli mais Haendel y puisa largement pour ses futurs opéras, Oreste, Alcina et surtout Rinaldo (version de 1731) où cinq airs de Lotario ont été utilisés. Sa valeur musicale et dramatique le met au rang des meilleurs opéras du compositeur saxon et le présent enregistrement lui rend pleinement justice.



Publié le 06 juil. 2018 par Pierre Benveniste