Manualiter - Waldner

Manualiter - Waldner ©
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Trois petits orgues au sud du Tyrol, et le répertoire qui leur convient, touchés de main experte

Après deux albums sous étiquette ORF Tirol (Baldachin-Orgel Churburg 1559 et Die Chororgel im Stift Stams) enregistrés il y a une trentaine d’années, après les deux volumes Orgellandschaft Ritten enregistrés il y a une vingtaine d’années pour le label Extraplatte, après le Charakterklänge - Orgelmusik der Renaissance (2021) capté sur le plus ancien orgue d’église (Hans Schwarzenbach, 1599) jouable au Sud-Tyrol, Peter Waldner revient planter un nouveau jalon dans sa valorisation du legs organistique de sa région natale. Ici dans ce disque intitulé Manualiter et consacré à trois petits orgues, sans pédalier, à la charnière du XVIIIe siècle naissant. Les consoles se déclinent toutes sur une pyramide de Principaux en 8’4’2’ (sauf le Coppel à Eppan, bourdon bouché, en bois), complétée par Cimbel ½’ (Niederdorf, Eppan), Quinte (Sankt Moritzen), Sedez 1’ (Niederdorf).

D’abord le Brüstungspositiv de Niederdorf (Franz Köck, 1693), construit pour la Spitalkirche du lieu puis réassemblé en 1827 en l’église St. Magdalena im Moos. L’irrémédiable dégradation du métal amena une consciencieuse restauration (voir ce site) menée en 1996-1997. Pour les jeux d’Octav 4’ et Superoctav 2’, on notera qu’ils s’empruntent au Principal 8’ permettant une économie de tuyaux (159 au lieu de 225). Ensuite l’Orgelpositiv (Johann Caspar Humpel, 1738) de l’église zum Hl. Sebastian de Sankt Moritzen – Sand in Taufers, réharmonisé en 1931, restauré en l’an 2000 et qui repose désormais au sol dans la nef. On notera que les plus grands tuyaux situés à l’arrière du buffet parlent à travers une trappe qui doit être ôtée avant de jouer. Enfin, l’Orgelpositiv (Martin Junkhans, 1682) de la Hl. Kreuz Kapelle de l’Ansitz Reinsberg à Eppan, modifié au début du XIXe siècle et restauré en 2014. L’instrument se situe dans une niche derrière l’autel, aménagé pour que le son puisse se propager à l’intérieur de cette église vouée à la Sainte Croix. On regretterait que les registrations ne soient indiquées dans le livret mais on les devine aisément.

Le répertoire choisi pour cette anthologie est à l’avenant, puisé à un emblématique recueil : Tastenmusik um 1700 aus Tiroler Quellen, en quatre volumes (Innsbruck, Helbling, 2019). Cette édition rassemble des œuvres du Brixner Orgelbuch, compilé par le Kapellmeister du Couvent de Hall, Elias de Sylva (1665-1732), et provenant aussi du Stamser Orgelbuch. On ne s’étonne pas que le professeur de ce musicien abonde copieusement ce manuscrit : Johann Jacob Walther (av. 1660-1706), qui occupe quatre plages de ce CD. À côté de noms célèbres (Frescobaldi, Froberger, admirés dans toute la sphère sud-allemande et autrichienne de l’époque), d’autres moins (Merula, Kerll, Pasquini, Schwaighofer) voire marginaux ; la notice du Dr Franz Gratl nous les présente -dommage que la traduction anglaise soit typographiée en petits caractères, bien moins lisibles que le texte original en allemand aux pages 2-6. Entre des opus anonymes, on croise ainsi le prêtre franciscain Ingenuin Molitor, le Hoforganist d’Eichstätt Bartholomäus Weisthoma, qui naquit et mourut dans cette ville bavaroise, ou encore Franz Xaver Murschhauser, un élève de Kerll actif à Munich et qui figure comme le plus tardif témoin au sein de ce disque.

Qui s’intéresse à l’aval de cette facture et souhaite prolonger le voyage en ce terroir consultera le CD Orgeln In Südtirol de Franz Haselböck (Koch Schwann, 1984). Sur ces brisées, en amont, on réécoutera avec émotion les deux vinyles gravés en octobre 1970 par Gustav Leonhardt pour le label Seon, immortalisant un portrait organologique de ces Alpenländer. Digne héritier de ces augustes microsillons, le présent CD illustre des genres représentatifs de l’époque et de l’aire, sous influence austro-allemande et fondamentalement méridionale : Toccata, Canzon, Capriccio, et aussi quelques avatars de Fuga, d’une science contrapuntique assez rudimentaire. Parmi les curiosités, une transcription d’un mouvement de Sonate du notoire opus 5 d’Arcangelo Corelli, et la plaisante Canzon der Deutsche Trommelschlag, d’une veine imagée, au gré de cette stylisation d’une batterie de tambour.

On ne peut que recommander cet album, patrimonial à plus d’un titre. Spécialiste des claviers anciens, et de ce répertoire qu’il connaît et pratique en maître, Peter Waldner est un guide idéal pour ce parcours d’un charme fou. Quelques pépiements printaniers s’entendent même parfois au lointain de ces monts ensoleillés, reflets de ce récital rien moins que muséal mais riche de vie nouvelle. Captée avec tout le relief souhaitable par les micros de Simon Lanz, le vent échappé de ces petits orgues chante une poésie à ciel ouvert.



Publié le 03 janv. 2023 par Christophe Steyne