Li due Orfei - Marc Mauillon

Li due Orfei - Marc Mauillon ©
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Les deux Orphées de Florence

Bien que l’Orfeo de Monteverdi soit souvent considéré comme le premier opéra, n'oublions pas que deux opéras ont vu le jour sept ans plus tôt. Caccini et Peri ont en effet composé en 1600 deux Euridice, à partir d'un même livret d’Ottavio Rinuccini. Ils étaient tous deux considérés comme les Orphée de leur temps, et étaient animés par une rivalité féroce.

Les musiques de Caccini présentées dans cet enregistrement sont issues de Le nuove music’he et Nuove music’he e nuova maniera di scriverle, publiés respectivement en 1602 et 1614. Ces deux recueils se rattachent à deux styles différents : des madrigaux ornés et des airs strophiés. Ils s’ouvrent tout deux sur une longue préface explicative sur l’interprétation des monodies accompagnées florentines. Caccini y develpoppe son concept de sprezzatura, opposé à l’affectation, signifiant que le chanteur doit donner à ses exécutions une apparence de facilité et de désinvolture, qui en accroit l’effet et l’anoblit.

Les musiques de Peri sont issues de Le varie music’he, publié en 1609, anthologie de pièces à une, deux et trois voix, avec basse continue et mêlant également madrigaux et chansons à strophes. Contrairement à l'ouvrage de Caccini, aucune préface de l'auteur n’ouvre ce recueil, seulement un avertissement de l’éditeur : celui-ci renonce à expliquer la bonne manière de chanter, car « il serait nécessaire de les écouter joués et chantés par Peri lui-même, afin de saisir toute leur perfection » et « pour comprendre la bella maniera et l’artifice employé dans le chant par ce noble esprit, véritable Orphée de notre siècle ».

A l’époque il était commun de s’accompagner en chantant… ou de jouer en famille ! C’est ce que firent ici Angélique et Marc Mauillon, tous deux en parfaite harmonie dans cet enregistrement !

La voix de Marc Mauillon est incontestablement très bien contrôlée. Son timbre aérien, fluide jusque dans les notes les plus aigues, nous permet d’apprécier toutes les expressions apportées par son chant. Les vocalises et ornements sont bien réalisés, légers et délicats, bien que certains ne soient peut-être pas tout à fait dans le goût de ce qui était fait à l’époque (notamment dans les premiers morceaux). Il est parfois déconcertant d’entendre avec quelle facilité Marc Mauillon exécute ces airs, ce qui illustre encore davantage de ce que disait Caccini dans ses préfaces. On imagine l'énorme travail fourni pour retrouver et restituer ces partitions. La harpe double (et à trois registres) d’Angélique Mauillon offre une palette de couleurs tout à fait surprenante, un jeu d’une finesse incomparable, et une résonance que peu d’autres instruments à cordes pincées peuvent se permettre d’avoir. Le mélange de cette voix à l'expression et à la force bien maîtrisées à la présence de cette harpe ne peut laisse aucun auditeur insensible.

Nous noterons la présence de deux morceaux similaires : Tutto ‘l di piango, musique écrite l’une par Caccini, et la seconde par Peri. Angélique et Marc Mauillon nous offrent ici la possibilité « d’explorer deux mondes, où le langage et les principes de composition sont certes très proches, mais où la sensibilité et la manière d’émouvoir diffèrent totalement.», selon la notice de Denis Morrier qui accompagne l'enregistrement. Cette formulation reflète assez bien les intentions de ce disque, qui nous apporte tout au long une palette d’émotions diverses et variées. J'ai particulièrement apprécié le Tutto ‘l di piango de Peri, pièce attachante aux surprenants chromatismes.

Les quelques pièces instrumentales pour harpe seule, parfaitement exécutées par Angélique Mauillon, apportent une fraîcheur très appropriée, et s'intercalent très bien à la suite des pièces vocales. La seule réserve que je puisse émettre est que le recours exclusif à la harpe se révèle parfois un peu lassant, même si cet instrument est tout à fait approprié à cette musique et nous apporte une réelle atmosphère d'intimité.

Cet enregistrement constitue une belle découverte, dont les musiques pleines de sentiments et de couleurs nous transportent de bout en bout.

Publié le 23 juil. 2016 par Hippolyte Darissi