Music for European Courts - Finger

Music for European Courts - Finger ©Éléonore Meeùs
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Majesté et virtuosité naturelles pour honorer un musicien européen

A l’image de l’ensemble décrit par le poète Ned Ward, The Harmonious Society of Tickle-Fiddle Gentlemen (la Société harmonieuse des Messieurs gratouilleurs de violons), dirigé par le contrebassiste et violiste Robert Rawson, fait (re)découvrir le répertoire oublié des premiers concerts publics présentés au public londonien à la fin du XVIIe siècle. Gottfried Finger (c. 1655 - 1730) en est justement l’une des figures. Dans ce récent enregistrement, Robert Rawson et ses musiciens réussissent à réveiller la musique aussi pétillante que solennelle de cet admirateur et ami de Henry Purcell (1659-1695).

Né en Moldavie, Gottfried Finger est déjà rapidement et fort imprégné de la musique italienne. C’est toutefois en Angleterre qu’il décide de faire carrière en entrant dès 1687 au service du roi Jacques II, en tant que musicien de la Chapelle royale. Malgré ses talents certains de violiste, violoniste et trompettiste, il connaît rapidement un premier échec en étant exclu de l’institution, devenue anglicane en 1688. C’est ainsi qu’il se lance dans la direction d’une série de concerts populaires à York Buildings, avant d’être nommé compositeur du théâtre de Lincoln’s Inn Fields puis, fort de son succès, de celui de Drury Lane. Cependant, sa participation malheureuse au concours Prize Musick de 1701 – au profit d’un tout jeune compositeur tout juste âgé de 25 ans, John Weldon (1676-1736) –, le vexe au point qu’il quitte l’Angleterre pour ne jamais y revenir. C’est ainsi que Finger se retrouva au service d’un émissaire anglais à Vienne puis de la reine de Prusse, Sophie-Charlotte de Hanovre à Berlin. Fin stratège et connaisseur du monde diplomatique, le compositeur morave a su, dès la mort de sa protectrice en 1705, se faire nommer Kammermusiker à la cour de Karl-Philipp, frère de l’électeur palatin Johann Wilhelm II et futur gouverneur du Tyrol. Il y restera jusqu’à la fin de sa vie, en 1730.

Par son parcours divers, Gottfried Finger se révèle toujours plein de ressources et très à l’écoute de ses entourages, toujours attentifs aux opportunités qui se présentent à lui. Sa musique possède indéniablement les qualités de sa personnalité. Déjà de son vivant, en Angleterre, on reconnaissait son ingéniosité qui a permis une intéressante synthèse des styles des cours européennes, italiennes tout d’abord, anglaise évidemment, mais également française (concernant l’influence des différents styles européens sur la musique anglaise au XVIIème siècle lire également la chronique The London Album). De surcroît, Finger n’a jamais oublié ses origines d’Europe de l’Est et a su incorporer dans ses œuvres des mélodies aux couleurs bohèmes. Ayant été en partie oublié par la postérité, il a fallu attendre un ensemble de musiciens curieux et passionnés d’authenticité pour ramener au bon souvenir des mélomanes la musique de Gottfried Finger, qui semble rayonner par elle-même tant l’interprétation est éclatante de simplicité.

Le semblant de simplicité est certainement le propre d’un travail profond et de grande qualité. C’est, sans aucun doute possible, celui de The Harmonious Society of Tickle-Fiddle Gentlemen, qui réussit surtout à mettre la musique et son compositeur avant leur propre technique instrumentale. Pourtant, les vingt-deux musiciens ont bien plus de technique et de musicalité que le nom de leur ensemble semble le faire croire. C’est tout d’abord leur homogénéité qui impressionne, tout le long de l’enregistrement. Celui-ci brille alors par cette homogénéité de son, cet équilibre toujours subtil des timbres et des nuances et, surtout, ce même geste du discours. La direction de Robert Rawson semble aussi discrète que sa contrebasse ou sa viole de gambe, elle est toutefois évidente et très appréciable. Défi toujours délicat dans l’écoute contemporaine d’œuvres baroques, les musiciens anglais dosent avec justesse la théâtralité naturelle des œuvres par une interprétation aussi respectueuse qu’investie. L’auditeur est ainsi emporté, sans presque s’en apercevoir, par les rythmes dansés et élégants, les tendres dialogues ou les éclats solennelles et flamboyants. La régularité du discours et la belle conduite des phrasés sont particulièrement belles dans la Chaconne a 5 en Sol Majeur.

La grande qualité d’un ensemble se mesure évidemment par celle de ses membres qui, malgré un travail commun de son et de musicalité, savent trouver toute leur place et proposer leur propre personnalité. A plusieurs reprises, le hautboïste Mark Baigent charme par son lyrisme et sa sonorité velouté. Il montre une belle complicité avec le violoniste Tassilo Erhardt dans la fugue du Presto de la Sonata a 5 en Sol Majeur. Dans l’étonnant trio Largo de la Fantasia en Sol Majeur, la complicité des instrumentistes est telle que les jeux d’écho entre Mark Baigent et sa co-pupitre Cait Walker surprend l’oreille qui ne sait plus s’il entend un ou deux hautbois. On apprécie d’ailleurs, particulièrement dans cette pièce remarquable, les mélodies aux traits caractéristique de l’Europe de l’Est, soutenues par la basse continue aussi stable qu’imperturbable de la bassoniste Sally Holman et du claveciniste David Wright. Les deux hautboïstes sont rejoints par la violoniste Amanda Babington et Lisete da Silva pour former un consort de flûtes à bec aux aspects étonnement enfantin, par un son volontairement direct, pour la touchante et riche en couleurs air du sommeil Morpheus, gentle god extrait de l’opéra Alexander the Great. En contraste, les œuvres majestueuses gagnent en prestance grâce aux trompettes de Russell Gilmour et William Russel, qui se montrent aussi éclatants que séduisants dans la Sonata a 6 en Do Majeur, le plus souvent soutenus par les fières timbales de Stephen Burke. Le Concerto a 6 en Fa Majeur est également l’occasion d’apprécier la beauté et la justesse des cors joués par Kate Goldsmith et Anneke Scott. Il ne faut pas oublier la prise de son de grande qualité de Rainer Arndt qui participe pleinement au geste musical, l’auditeur ayant juste de quoi imaginer les doigtés des musiciens tout en profitant une écoute d’une superbe propreté.

En proposant ce voyage dans les œuvres de Gottfried Finger, Robert Rawson et les musiciens de son harmonieuse société font voyager l’auditeur à travers toute l’Europe du XVIIe siècle, démontrant l’ingéniosité d’un compositeur, devenu malheureusement méconnu, qui a su s’inspirer des couleurs de chaque culture pour en faire une synthèse européenne aussi efficace que belle. Si cette (re)découverte peut-être comprise comme une leçon ressurgissant du passé, elle a en tout cas le grand mérite de charmer l’oreille.



Publié le 05 mars 2020 par Emmanuel Deroeux