Offertoires & Sonates en Trio - Dandrieu

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Jean-François Dandrieu en miroir de lui même

Pour son second enregistrement, le jeune ensemble Il Caravaggio (voir son site) propose en collaboration avec l’organiste Jean-Baptiste Robin un programme à la fois intéressant et original entièrement consacré à Jean-François Dandrieu. Ce jeune ensemble dont le nom fait référence à un artiste peintre incontournable de l’ère baroque, a été fondé en 2017 par la claveciniste Camille Delaforge qui étudia le clavecin auprès de Blandine Verlet et d’Olivier Baumont. Un temps assistante de Vincent Dumestre, elle travaille parallèlement en tant que chef de chant et continuiste auprès de divers ensembles tels Les Ambassadeurs, Le Concert de la Loge, l’Ensemble Correspondances, Orfeo 55, Le Poème Harmonique... mais consacre désormais l’essentiel de son temps à Il Caravaggio qu’elle dirige. L’ensemble se compose de Fiona-Emilie Poupard, premier violon, Anne Camillo, second violon, Ronald Martin-Alonso, viole de gambe et Benjamin Narvey, théorbe, sous la direction de Camille Delaforge au clavecin et à l’orgue positif. Cet enregistrement constitue le volume II qui fait suite à un premier album consacré aux Magnificats du même compositeur, interprétés sur l’orgue historique de la chapelle du Château de Versailles par Jean-Baptiste Robin, l’un de ses quatre titulaires. Mais ce volume II offre un intérêt tout particulier en présentant des sonates en trio écrites par un Dandrieu jeune, et une transcription pour l’orgue de mouvements de ces mêmes sonates par le compositeur lui même à la fin de sa vie.

Un compositeur qui a marqué son époque

Jean-François Dandrieu compte parmi les compositeurs qui ont marqué leur époque, cependant, son œuvre est tombée injustement dans un oubli relatif. Organiste de renom qui succéda à Nicolas Lebègue à la tribune parisienne de Saint-Merry en 1704, Jean-François Dandrieu (parfois orthographié d'Andrieu) est né à Paris en 1681 dans une famille d'artisans d'art et de musiciens originaire d'Angers. Faisant preuve d’une grande précocité musicale, il commença sa carrière à l'âge de cinq ans en jouant du clavecin devant la princesse Palatine, belle sœur du roi Louis XIV. Il est par ailleurs le neveu de Pierre Dandrieu, prêtre et organiste de l’église Saint-Barthélemy, anciennement située sur l’Île de la Cité à Paris et aujourd’hui détruite. Il fut aussi l’élève du compositeur Jean-Baptiste Moreau, qui fut également le maître de Louis-Nicolas Clérambault et de Michel Pignolet de Montéclair. Les compositions pour clavecin de Jean-François Dandrieu se situent dans la lignée de celles de François Couperin et de Jean-Philippe Rameau. C’est vers 1704 qu’il publie son premier livre de clavecin, et en 1705, un Premier livre de six sonates en trio (Opus 1) d’où sont tirées la quasi totalité des pièces au programme de cet enregistrement. Point important, Jean-François Dandrieu est aussi l’auteur d’un ouvrage primordial pour la connaissance de la pratique musicale de son époque publié en 1718 et intitulé Principes de l'Accompagnement du Clavecin. En 1721 sous la Régence, il accède à l'un des postes les plus prestigieux et les plus enviés qui soit, celui d'organiste de la Chapelle Royale de Versailles ou il côtoiera Michel-Richard Delalande et André Campra.


Frontispice du Livre de sonates en trio

Mais si Dandrieu est avant tout connu pour ses talents d'organiste, ses sonates en trio méritent une place de tout premier plan dans la musique de chambre de l'époque. Elles révèlent en effet une belle maîtrise de l’écriture musicale ainsi qu’une variété de styles étonnante. L’idée de présenter en parallèle les sonates d’origine et leur transcription pour l’orgue est à la fois judicieuse et intéressante. En effet, cette présentation en miroir de l’original, suivi ou précédé de sa réplique transcrite pour l’orgue permet d’apprécier au mieux les deux facettes d’une même musique et d’en saisir les subtilités. Elle conduit nécessairement à une écoute différente, et elle permet en outre de constater que ces pièces profanes jouées à l’orgue révèlent un caractère totalement différent et endossent à merveille le « costume » religieux.

Un projet original

C’est à Jean-Baptiste Robin que revient l’initiative de ce projet musical. « La curiosité n’est pas toujours un vilain défaut ! Il y a vingt ans de cela, alors que je feuilletais les sonates en trio opus 1 datées de 1705 et les Sonates pour violon de 1710 du jeune Jean-François Dandrieu, quelle ne fut pas ma surprise d’y reconnaître ses offertoires pour orgue de l’élégant livre posthume de 1739. Dandrieu semble bien être le seul français de l’Ancien Régime a avoir transcrit pour l’ orgue ses propres compositions de musique de chambre écrites œuvres initialement pensées pour d’autres instruments. » L’intégralité des six sonates en trio sont présentées dans ce enregistrement, auxquelles ont été ajoutées deux extraits de sonates pour violon extraites de ses opus 2 et 3 qui ont également fait l’objet d’une transcription pour l’orgue. D’emblée, les premières mesures donnent le ton. Le style est très italien, ce qui n’est guère surprenant car Dandrieu était un grand admirateur d’Arcangelo Corelli à qui il dédia d’ailleurs l’une de ses pièces.

Une influence italienne

Elles révèlent une parfaite maîtrise du contrepoint et une grande maturité musicale de la part d’un compositeur de 23ans ! Dandrieu se joue à merveille des contrastes à travers une musique des plus expressives que l’ensemble Il Caravaggio restitue à la perfection. De toute évidence, il s’inscrit comme l’héritier du maître italien, tout en apposant sa touche personnelle teintée de raffinement à la française qui font l’originalité de ces pièces. Hormis la sixième sonate de l’opus 1, le cadre strict de la suite de danses est pratiquement abandonné dans ces sonates en trio au profit de simples indications de tempi. On y trouve de magnifiques fugues, en particulier l’allegro de la première sonate de l’opus 1 qui fait merveille dans sa transcription à l’orgue ! Il en est de même pour l’allegro de la troisième sonate de l’opus 1 dont la transcription donne réellement le sentiment que c’est la fugue pour l’orgue qui a été transcrite en sonate en trio… ce qui semble totalement plausible car il n’est pas inenvisageable que l’organiste Dandrieu ait écrit une partie de ces sonates en s’inspirant de ses propres improvisations… la date de publication de ces offertoires ne préjuge pas de la date de leur composition !


Frontispice du Premier Livre de pièces d’Orgue

Dès l’achèvement de la première sonate, changement total d’ambiance, l’orgue de la Chapelle Royale du château de Versailles entre en scène avec les Offertoires du Livre d'orgue publié en 1739. Le son de cet instrument hautement représentatif de la facture d’orgue française est un authentique régal. Les premières mesures ne sont pas sans rappeler immédiatement le premier mouvement de la sonate qui précède et il est réellement étonnant de passer d’un style très extraverti à un style plus grave, plus solennel...avec les mêmes mélodies! Et on mesure ainsi cette judicieuse idée d’alterner les compositions originales de musique de chambre avec les transcriptions que l’auteur en a faites pour son instrument de prédilection. Cet album est en quelque sorte une leçon de musique appliquée ! La Gigue tenant lieu de conclusion à la troisième sonate de l’opus 1 retient particulièrement l’attention de par l’inventivité de son écriture ! Débutant sur des accords répétés évoquant le bourdon d’une vielle ou d’une musette, elle devient progressivement une danse paysanne traditionnelle endiablée. L’interprétation qu’en donne l’ensemble Il Caravaggio est réellement stupéfiante (à écouter ici)

Deux facettes d’un compositeur

Cet enregistrement met en exergue deux facettes de ce compositeur, celle du compositeur d’une musique galante, inventive et extravertie, et celle de l’organiste de cour chargé d’animer les offices religieux du Roi. Et il est rare dans l’histoire de la musique de disposer de deux versions si dissemblables des mêmes œuvres écrites par un même compositeur. Il allie avec bonheur la grandeur et la majesté des pièces d'orgue à une musique de chambre tourbillonnante et virtuose dans laquelle le violon mène la danse. De plus, il est servi par une prise de son d’une qualité exceptionnelle, tant pour les cinq musiciens de l’Ensemble Il Caravaggio que pour l’orgue. Les graves du clavecin sont profonds, on distingue parfaitement toutes les voix de chaque instrument dont on peut apprécier la sonorité individuellement, le son est d’un réalisme étonnant !

Il Caravaggio propose avec cet album un Dandrieu hautement jubilatoire auquel répond en écho les Offertoires sur le magnifique orgue historique de la Chapelle Royale de Versailles joué par Jean-Baptiste Robin. L’ensemble du programme, parfaitement cohérent, est un véritable concentré de raffinement servi par une interprétation irréprochable. L’ennui ne s’installe jamais, les variations de tempi, l’alternance avec l’orgue, rendent son écoute captivante et feraient presque perdre à l’auditeur la notion du temps. L’affiche était alléchante, cet enregistrement tient amplement ses promesses en livrant un bel aperçu de l’œuvre d’un compositeur dont les partitions mériterait amplement un regain d’intérêt ! D’ailleurs, la qualité d’écriture des deux extraits de sonates pour violon des opus 2 et 3 suscitent à la fois une frustration et l’envie irrésistible d’en entendre plus ! Le volume III, peut être ?

L’orgue historique de la Chapelle Royale de Versailles : une reconstitution scrupuleuse de la partie instrumentale


L’orgue de la Chapelle Royale

L'orgue de la Chapelle Royale du Château de Versailles est un instrument mythique qui a été construit à la toute fin du règne de Louis XIV en 1710 et 1711 par les facteurs parisiens Robert Julien Tribuot et Robert Clicquot d’après les plans réalisés en 1679 par Étienne Énocq, qui n’était autre que le beau-frère et maître de Robert Clicquot. Nommé «Facteur d’orgues du Roy», ce dernier fut considéré comme le plus important facteur d’orgue français de 1700 à 1720. Le buffet sculpté est l’œuvre du sculpteur Jules Degoullons d’après les esquisses du sculpteur parisien Philippe Bertrand. Le 5 juin 1710, la Chapelle Royale est consacrée par le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, et l’orgue non encore totalement achevé est inauguré par François Couperin.

En 1736, Louis-Alexandre Clicquot refait les sommiers du grand-orgue. En 1762, François-Henri Clicquot effectue un relevage complet, restaure les sommiers dégradés par l’humidité et reconstruit la Trompette 8’ du Récit. A la Révolution, l’orgue échappe de peu à la vente, grâce à l’action d’un musicien, Jean-Louis Besche et du facteur d’orgue Antoine-Jean Somer, fils de Nicolas Somer. Un nouveau relevage est effectuée par Aristide Cavaillé-Coll en 1872, qui en profite alors pour concevoir un orgue romantique adapté à l’esthétique du moment, mais en respectant fort heureusement le buffet. Vers 1930, l’orgue s’est dégradé a tel point qu’il ne peut quasiment plus être joué. Une bataille se joue alors entre Charles-Marie Widor qui soutient les projets de Charles Mutin, successeur d’ Aristide Cavaillé-Coll, et le directeur général des Beaux-Arts d’alors, Patrice Bonnet, qui défend le retour à l’orgue d’origine des Clicquot. C’est ce dernier qui obtiendra raison.

En 1936 et 1937, le facteur Victor Gonzalez (installé à l’époque à Châtillon près de Paris) reconstruit l'instrument dans le style de Clicquot, sans qu’il ne s’agisse d’une reconstruction totalement historique au sens actuel du terme. L’orgue est inauguré en juillet 1937 par l’organiste et compositeur Joseph Bonnet. Cette reconstruction étant jugées inauthentique vis-à-vis de l’instrument original, l’orgue est entièrement démonté en 1989. Une reconstitution scrupuleuse à la manière de Clicquot, visant l’état de 1710 avec quelques ajouts de 1736 et 1762, est effectuée par Jean-Loup Boisseau et Bertrand Cattiaux, facteurs d’orgues à Bethines dans la Vienne en 1994. La tuyauterie est alors reconstituée sur le modèle des quelques tuyaux originaux conservés, et sur le modèle de l'orgue Clicquot (1739) de l'église St Jacques de Houdan. Cet orgue a la particularité de ne pas être doté d’un positif de dos, la mécanique y est directe et les sommiers « intercalaires » sont novateurs. Ces qualités rendent ce grand instrument sans équivalent. L’orgue Boisseau/ Cattiaux a été inauguré en novembre 1995 par Michel Chapuis. Il a fait depuis l’objet d’un relevage complet en 2010 par Bertrand Cattiaux. Il dispose de 38 jeux (37 registres), 4 claviers manuels, un pédalier à la française. La transmission est entièrement mécanique. Il est accordé au diapason de 415 Hz pour le la, au tempérament inégal de Michel Corrette à 3 tierces pures.

D’autres informations sont disponibles ici.



Publié le 27 oct. 2021 par Eric Lambert