Oratorio - Staskiewicz

Oratorio - Staskiewicz ©
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Un genre musical très baroque au cœur de la Contre-Réforme

L'oratorio (terme provenant du latin orare qui veut dire prier) est un genre musical qui naquit à la fin du 16ème ou au début du 17ème siècle. Il est associé étroitement au mouvement de la Contre-Réforme qui, en réaction à la Réforme Protestante, prôna un renouveau spirituel du Catholicisme. Pour ce faire il fallait rendre plus voyants les attributs et les dogmes de la foi catholique. Tous les arts seront conviés à l'exaltation de cette foi : architecture, peinture et musique. Grâce à cette impulsion le meilleur de la création artistique sera donné à l'église catholique. Sous la houlette de la Compagnie de Jésus, les Sciences seront aussi vivement sollicitées. Une autre congrégation religieuse, les Oratoriens utiliseront la musique et le chant pour attirer les fidèles (voir la notice d'Olivier Rouvière, accompagnant cet enregistrement).

Dans ce contexte, la musique polyphonique cède progressivement la place à la musique monodique. Dans cette dernière, le texte, soutenu par l'accompagnement, est projeté au devant de la scène tandis que dans la musique polyphonique ce même texte, fragmenté dans les quatre voix, au gré du contrepoint, perd, du point de vue des réformistes, une partie de sa lisibilité et de son pouvoir prosélyte.

A la jonction du dix septième et du dix huitième siècles, l'oratorio ne diffère pratiquement pas de l'opéra au moins au plan formel. Dans les deux cas la structure est la même et comporte une sinfonia instrumentale, une suite d'airs interrompus par des récitatifs secs et pour finir un bref chœur. L'aria da capo triomphe dans les deux genres et sa structure ABA' permet dans la troisième partie de répéter le texte de la première en en renforçant le sens. Evidemment les sujets bibliques de l'Ancien et du Nouveau Testament sont privilégiés dans l'oratorio mais des sujets profanes, généralement édifiants, ont aussi leur place. Il trionfo del tempo e del disinganno (1707), magnifique oratorio profane de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) est si proche de l'opéra qu'il a fait l'objet de diverses mises en scène dont une très réussie à Zurich en 2003. En tout état de cause, on peut dire que l'oratorio mêle ainsi la pratique artistique à la méditation religieuse.

L'oratorio italien va connaître une grande popularité et le présent enregistrement donne des extraits significatifs d’œuvres majeures, principalement d'auteurs opérant à l'apogée de la musique baroque (moins connus cependant que Haendel ou Vivaldi) : Antonio Caldara (1670-1736), Francesco Gasparini (1661-1727), Giovanni Bononcini (1670-1747), Alessandro Scarlatti (1660-1725), Nicola Porpora (1686-1768). Ce dernier ainsi que Johann Hasse (1699-1783) illustre brillamment le crépuscule de l'oratorio baroque. L'oratorio italien connaîtra un renouveau spectaculaire à l'époque classique dans les bastions les plus avancés du catholicisme que sont les cours de Vienne ou Prague avec Wolfgang Mozart (La Betulia liberata), Josef Myslivecek (Adamo ed Eva), Giovanni Paisiello (La Passione di Nostro Signore Jesù Cristo) et surtout Giuseppe Haydn qui composera en 1775, sur un livret de Gastone Boccherini, un oratorio admirable, d'une grande spiritualité : Il ritorno di Tobia.

Antonio Caldara ouvre le présent CD avec Numi offesi di furor, un air particulièrement séduisant extrait d'Il trionfo della castità. Les archaïsmes de l'harmonie et les dissonances provoquées par les retards entre les deux violons sont particulièrement savoureux. Le deuxième air, Per il mar del pianto mio, tiré de Maddalena ai piedi di Cristo s'ouvre par un chant poignant des violons au dessus desquels plane la prière de Marie-Madeleine, exprimée avec pudeur et une totale sincérité par Blandine Staskiewicz. C'est un sommet de ce disque. Plus loin Santa Francesca Romana et l'air Miro che fumicelli (n° 13) est une aimable Pastorale pour voix et hautbois obligé, un morceau très développé centré sur la beauté mélodique et agrémenté de suaves vocalises parfaitement maîtrisées par la chanteuse. L'air Son gli strazi (n°17) tiré d'Il martirio di Santa Catarina, ferme le CD sur un sommet expressif. Ce chef-d’œuvre, étonnamment violent dans sa première partie avec des dissonances incessantes a été une révélation pour moi. Après un récitatif dans le style de Cavalli, le sublime, Io spiro e volo (j'expire et je vole dans les bras de mon Seigneur), provoque une émotion indicible grâce à l'engagement profond de la mezzo-soprano dans ce rôle et le timbre chaleureux de sa voix.

De Francesco Gasparini, deux extraits, Ombre, cure, sospetti (n° 4) et Terrori d'Averno (n° 5) sont tirés d'Atalia. L'héroïne Racinienne, magnifiquement incarnée par Blandine Staskiewicz, se trouve contrainte à des choix terribles et ses angoisses sont admirablement rendues dans le premier air très dramatique dont le caractère proche de celui d'un récitatif accompagné, rappelle l'opéra vénitien du 17ème siècle. L'air suivant est remarquable par ses vocalises fulgurantes, parfaitement articulées par la mezzo-soprano, et se distingue aussi par l'alternance de récitatifs accompagnés et de vocalises. Le désespoir de l'héroïne est total et l'air se termine de façon très pathétique par morro (je vais mourir).

Sainte Marie-Madeleine est un des personnages du Nouveau Testament qui a le plus fortement stimulé les artistes. Représentée mille fois par les peintres, elle inspira aussi les musiciens et en particulier Giovanni Bononcini dans son oratorio La converzione di Maddalena. L'air Cor imbelle a due nemici (n° 3) est une œuvre aimable parée de la douceur que l'on prête au personnage. On remarque les gracieux mélismes de la voix de Blandine Staskiewicz et un accompagnement de cordes assez touffu où le contrepoint n'est pas absent. Suit un récitatif accompagné très dramatique, Al sibilar tremendo (n°8) puis un air In tepidi fiumi (n° 9), sorte de lamento désespéré, évocation des larmes amères que verse la pécheresse repentie, magnifiquement incarnée par la mezzo-soprano.

Giuditta est un personnage favori d'Alessandro Scarlatti. Del pianto vostro (n° 11) est un récitatif accompagné, il est suivi par un air au caractère héroïque Posso e voglio (n° 12) aux superbes vocalises traduisant à la perfection la détermination de la combattante dans la mission qui est la sienne et qu'exprime avec talent Blandine Staskiewicz de sa voix agile à l'intonation parfaite. Le génie de Scarlatti s'exprime très différemment dans Il giardino di rose et dans l'air Mentre io gode (n° 16), d'une étonnante nudité qui commence comme un Lied (on pense fugitivement au Voyage d'hiver de Schubert !). L'eau qui doucement s'écoule et la brise qui murmure créent une ambiance hypnotique amplifiée par le timbre mystérieux de la voix de la mezzo-soprano.

Avec deux longs extraits tirés d'Il trionfo della divina giustizia, Nicola Porpora prenait la part du lion dans cet enregistrement et c'est justice. Il est vrai que Thibault Noally, Blandine Staskiewicz et les participants à cet enregistrement avaient présenté, en création mondiale, cet oratorio au festival international d'opéra baroque de Beaune de 2015 auquel j'eus le bonheur d'assister. Le lamento Vanne o Sol d'eterna luce (n° 6) est une longue plainte précédée par une introduction très dramatique des cordes. Dans cet aria da capo, la partie centrale B est un peu plus sereine mais la reprise légèrement ornée accentue le climat accablé du début. L'air suivant Ecco gia l'orrenda tromba est précédé par une martiale sonnerie de trompette qui met en valeur le son clair et pur de la trompette naturelle, annonciatrice de celle qui retentira lors du Jugement Dernier. De magnifiques vocalises expriment l'émotion ressentie face à la cruauté de la sentence de mort à l'encontre de Jésus. La partie centrale est plus calme mais s'anime vigoureusement sur la parole liberta. Un récitatif accompagné très expressif ouvre l'aria Fremer da lungo io sento, aria di paragone, tirée de l'oratorio Il martirio di San Giovanni. Dans cet air lumineux, la situation du protagoniste est comparée à celle du navigateur affrontant une tempête, prétexte à des vocalises flamboyantes, merveilleusement rendues par la mezzo-soprano. Grâce à l'intercession de la Vierge Marie, le marin pourra regagner le port sain et sauf.

Ayant exprimé plus haut mon admiration pour Blandine Staskiewicz, une artiste que j'eus le plaisir de découvrir à Beaune dans le rôle de Scitalce dans la Semiramide riconosciuta de Porpora, je voudrais souligner ici la qualité de l'accompagnement orchestral sous la direction éclairée de Thibault Noally. Le choix de ce dernier s'est porté sur un ensemble de cordes fourni plutôt que sur des instrumentistes à l'unité. Le son obtenu est plus moelleux sans rien sacrifier à la précision des attaques. Cet orchestre donne le meilleur de lui-même dans les ritournelles séparant les sections du lamento Vanne o Sol d'eterna luce de Porpora. Les basses nerveuses sont à l'honneur dans Mentre io gode (n° 16). L'éclatante trompette naturelle de Serge Tizac et le hautbois agile d'Emmanuel Laporte m'ont beaucoup séduit. Le continuo dans lequel on entend la belle sonorité de l'orgue (Al sibilar tremendo, n° 8) donne à cet ensemble une solide assise harmonique.

Ce CD est une superbe réalisation de Thibault Noailly et Blandine Staskiewicz qui montre à l'évidence que beaucoup de beaux et parfois sublimes oratorios ont été composés par d'autres compositeurs que Haendel ou Vivaldi. Il donne envie de découvrir ce répertoire finalement peu connu.



Publié le 07 juin 2019 par Pierre Benveniste