Orgue (vol.3) - Pachelbel

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Troisième volume de l’œuvre d’orgue du « Botticelli bavarois », par un trio inspiré

D’octobre 2009 à octobre 2013, il a fallu quatre ans pour boucler ce parcours en dix disques dans l’œuvre d’orgue de Pachelbel, dont la parution a été distillée à raison d’un volume tous les trois ans (2013, 2016, 2019). Le projet s’est appuyé sur l’édition critique de l’œuvre pour clavier (Complete Works for Keyboard Instruments, chez Wayne Leupold - Colfax, Caroline du Nord) préparée par le docteur Michael Belotti (auteur d’une thèse sur Dietrich Buxtehude) : douze tomes sont annoncés dans le livret, mais à ce jour cinq ne sont toujours pas diffusés. Cette nouvelle perspective a permis quelques révisions de partitions, elle incorpore quelques inédits et raretés (variations sur Gleichwie ein Hirsch begehret - un des premiers exemples de choralpartita que l’on prête à Pachelbel), et a rejeté quelques opus d’attribution douteuse – même si certains ont été conservés malgré l’incertitude de la paternité (fughette sur Christe, du Lamm Gottes, sur O Mensch, bewein dein Sünde gross, sur Wir danken dir, sur Es woll uns Gott genädig sein…). Considéré comme voué à la dévotion domestique, le recueil Musicalische Sterbens-Gedancken est laissé de côté par ce coffret, toutefois le livret précise que cette provision fera l’objet d’un enregistrement ultérieur, sur clavecin. La variété des genres et des styles rappelle le jugement d’André Pirro, qui voyait dans cet œuvre « un ordre romain, une grâce italienne et une âme luthérienne ».

Dans ce troisième volume, on retrouve trois des quatre organistes associés à l’entreprise. Confié à Christian Schmitt et illustrant principalement des psaumes, le second SACD a été capté à Rheinau en octobre 2009 et appartient aux mêmes sessions que le second SACD du volume 1, complétées par huit pièces enregistrées à Duderstadt en octobre 2013. Illustrant des partitas de chorals, le troisième SACD émane de la Crucis Kirche d’Erfurt, et a été enregistré en août 2012 par James David Christie, le même mois que sa session en la Kreuzkirche de Suhl (volume 1 disque 1) lors de la venue de l’organiste américain. Confié à Michael Belotti, le premier SACD se consacre au thème de la Passion du Christ, et fait pendant à deux autres étapes de l’année liturgique incluses dans les précédents volumes (Pâques dans le premier, Noël dans le second). Au-delà de leur thématique, les trois disques accueillent aussi des pièces libres (Toccatas, Ricercari, Chaconnes, Fantaisies, Préludes, Fugues…) et des séries de fugues sur le Magnificat. Le programme est détaillé dans une notice en anglais et allemand, qui présente la composition des cinq instruments historiques, mais contrairement aux deux autres volumes, les registrations ne sont pas malheureusement pas indiquées.

Restitués dans une perspective de haute définition qui respecte leur caractère et leur acoustique ambiante, les instruments répondent avec leur personnalité propre. À Rheinau et Duderstadt, Christian Schmitt opère aux deux consoles les plus fournies, même si le répertoire n’en exploite pas tout le potentiel ; dans quelques pages, le petit chororgel de douze jeux apporte une appréciable incursion chambriste. Dans un écrin peu réverbéré, le Trost (1717) de Grossengottern prend d’emblée aux tripes dans la Toccata en mi mineur étayée sur un guttural Posaune 16’, mais sait aussi charmer dans la Ciaccona en la mineur, et celle en ré majeur agrémentée par le carillon. Aux commandes, Michael Belotti y convainc par son phrasé agile et sa dextre ornementation, d’une remarquable autorité polyphonique. À peine moins typé, d’une éloquence plus volubile qui convient parfaitement au genre abordé, le Volckland d’Erfurt se distingue dans la part la plus gratifiante de cette anthologie : les formes à variations, que James David Christie laisse respirer avec aisance et un flagrant sens poétique, jusqu’à la célèbre Chaconne en fa mineur, une des créations les plus grisantes du musicien de Nuremberg, ici nimbée par une enjôleuse simplicité et une touchante émotion, -accréditant l’hommage d’Olivier Alain (1918-1994) qui voyait en Pachelbel un Botticelli bavarois.

Parmi les valeureuses anthologies, on citera celle de sa sœur Marie-Claire (Erato), de Peter Hurford (Argo, 1983), de Werner Jacob (Virgin, 1988), de John Butt (l’Hexachordum Apollinis chez Harmonia Mundi, 1990), d’Olivier Vernet (Ligia, 2002), de Joseph Kelemen (Oehms, 2005). Le mélomane qui souhaite s’immerger dans cette production pour clavier, un legs majeur du Baroque germanique pour tuyaux, a le choix entre quelques intégrales : Antoine Bouchard sur un Casavant canadien de Saint-Pascal (Dorian), Joseph Payne (Centaur) sur un large panel d’orgues idiomatiques, Simone Stella (Brilliant, le plus copieux, en 13 cds, sur clavecin et en la Basilique San Giorgio fuori le mura). Aucun de ces témoignages très aboutis n’est à dédaigner. Par la qualité de ses prises de son, sa légitimité philologique et l’expertise de ses interprétations, l’éminente proposition de CPO fait date, comme une des plus désirables réalisations organistiques hébergées par le prolifique label d’Osnabrück.



Publié le 30 juin 2023 par Christophe Steyne