Complete Organ Music - Van Noordt

Complete Organ Music - Van Noordt ©Johannes Bosboom : Intérieur de la Nieuwe Kerk d’Amsterdam avec le petit orgue
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Un des grands organistes néerlandais du XVIIème Siècle

« Plus petit est le bois, plus gros semble le lièvre » dit un vieux proverbe hollandais. Même si l’œuvre d’Anthoni Van Noordt survit dans un unique recueil de seize pièces (Tabulatuurboeck van Psalmen en Fantasyen), on ne saurait toutefois en sous-estimer la qualité ni l’importance : elles « présentent l’art du contrepoint le plus achevé et le plus puissant de la musique d’orgue du XVIIème siècle. » lit-on dans le Dictionnaire de Marc Honegger chez Bordas. Et pourtant, nous avons failli en perdre la trace puisqu’une matrice gravée sur cuivre conservée à Berlin fut détruite pendant la Seconde Guerre mondiale. Heureusement, deux musicologues allemands les avaient recopiées à la fin du XIXe siècle : le labeur de Max Seiffert en permit une édition chez Breitkopf & Härtel en 1896, qui servit de base à la partition révisée par le théologien vaudois et organiste Pierre Pidoux (1905-2001), publiée chez Bärenreiter en 1954. Au verso du fondamental vinyle enregistré par Odile Bailleux à Saint-Genest-Lerpt sur un instrument alors récemment construit par Alain Sals (Stil, 1978), qui se targuait légitimement d’une « redécouverte par le disque », Pierre Villain décrivait la précaire situation du répertoire d’orgue aux Pays-Bas à l’époque de Van Noordt : « pendant très longtemps, la rigueur des Réformés n’admettait pendant le service divin que le chant à une seule voix ».

En 1619, le Synode de Dordrecht avait sanctuarisé le psaume tout en interdisant que le chœur de la congrégation fût accompagné par l’orgue : même si la prohibition perdura à Amsterdam jusqu’en 1680, un traité de Constantijn Huygens la dénonçait, dès 1641 à La Haye. Ne serait-ce que par des arguments pragmatiques : aider la mémorisation des 150 psaumes, familiariser les fidèles avec les mélodies de Pierre Davantès, Loys Bourgeois et autres compositeurs de la mouvance calviniste, et ainsi éviter que l’a cappella ne dégénère en un braillement indistinct. De surcroît, il fallait bien occuper les organistes payés par la municipalité, qui en outre finançaient et entretenaient leur tribune pour les concerts en-dehors du culte. Ce puritanisme stimula du moins les variations instrumentales autour du Psautier huguenot, et favorisa bien sûr l’essor de formes libres. Parallèlement, dans une ambition didactique, la facture émancipa l’intelligibilité des jeux solistes, notamment à la pédale, pour souligner le cantus firmus.

Les recherches de Hans van Nieuwkoop, diffusées en 1990 dans The Organ Yearbook, montraient que le Tabulatuurboeck édité en 1659 ne pouvait être joué à la console (dépourvue de fa # et sol #) de la Nieuwe Zidj Kapel d’Amsterdam où officia le jeune Van Noordt, avant qu’il n’accède à la Nieuwe Kerk en 1664. Ce Tabulatuurboeck fut-il donc conçu pour le clavier, adéquatement doté, du plus petit des deux orgues de l’Oude Kerk où son frère Jacob avait été nommé en 1652 dès la mort de son titulaire ? Précisons qu’il s’agit non de Jan Pieterszoon mais de son fils Dirk ; la page 4 de la notice s’avère laconique à ce sujet. Au demeurant, on saluera l’intéressant livret signé de Manuel Tomadin lui-même. Son choix s’est porté sur le Kleine Orgel de la Jacobikirche de Lübeck, témoin bien conservé de la facture septentrionale dont l’esthétique sonore stratifie différentes époques : Renaissance (les Principaux du Hauptwerk), Baroque naissant (Friederich Stellwagen en 1637 pour le Brustwerk et le Rückpositiv) et la maison Hillebrand pour les tuyaux de pédalier refaits en 1978. L’accord est réalisé selon Werckmeister I, même si le docteur Tomadin rappelle que Van Noordt évolua certainement dans un environnement mésotonique. Outre une évidente rigueur de lecture, la sobriété de ces pièces peu ornementée nécessite un judicieux dosage pour préserver la clarté tout en colorant la registration laissée au bon goût de l’exécutant. On goûtera la délicatesse de quelques alliances aigres-douces (Hohlflöte 4’ & Krummhorn 8’) dans le psaume 116. Et plus vifs dans le psaume 2, les mélanges en creux : pâle rumeur du Principal 16’ accouplé à la Regal 8’ & la Walflöte 2’, voire Regal & la scintillante Cimbel 2’. Les anches s’invitent vigoureusement dans la conclusion des psaumes 22 et 24. Les registrations les plus chargées s’entendent dans les psaumes 6 (Seigneur, qui vois ma peine) et 119 (Heureux celui qui, par un juste choix), en contraste avec le simple Gedackt 8’ & Quintadena 4’ du Éternel, quel homme pourra Habiter dans tes tabernacles ?, et le Principal 16’ & Spillpfeife 8’ pour le Mon Dieu, mon unique espérance dans lequel le Roi David excipe de son innocence.

Les élaborations autour des dix psaumes (2, 6, 7, 15, 22, 24, 38, 50, 116, 119) illustrent le texte liturgique : un seul verset (psaume 15) jusqu’à huit (psaume 119), mobilisant un nombre croissant de lignes polyphoniques, hormis le psaume 24 écrit tout du long à quatre voix, lequel reste le plus célèbre du lot et le plus fréquemment enregistré. L’usage de la pédale renvoie à l’école nord-allemande. Déployant un contrepoint imitatif à un ou deux sujets, les six Fantaisies tiennent quant à elles de l’influence nord-italienne (Andrea Gabrieli) pour la fluidité et le caractère improvisé. Même si Van Noodt est souvent convié dans diverses anthologies, rares sont celles qui lui sont entièrement consacrées. Outre le microsillon d’Odile Bailleux dont on trouve extrait (psaume 24) sur le web grâce à Frederic Muñoz, on mentionnera les florilèges de Leo van Doeselaar à Leiden (1991), et l’excellente intégrale gravée par Peter Ouwerkerk et Cees van der Poel à Haarlem (Naxos, 1997), d’une remarquable densité.

La discographie restait cependant bien mince, on accueille donc volontiers le présent double-album, agrémenté par une honorable captation, spacieuse et soyeuse même si pas totalement transparente. Depuis ses CD consacrés à Franz Tunder (Stradivarius, 2011) et Bruhns/ Hasse chez Dynamic en 2013, Manuel Tomadin est admiré depuis une dizaine d’années pour son éminente contribution au répertoire nord-allemand au fil des parutions chez Brilliant (Franz Tunder, les Strunck, Peter Morhardt, Vincent Lübeck, l’album Rosa Mystica, Buxtehude…) L’interprétation de l’organiste italien se distingue ici par sa spiritualité et sa calme poésie, ses phrasés patients, qui prodiguent cœur et âme à un corpus qui peut sinon verser dans le hiératisme et l’indifférence. L’émotion, humble comme il sied à la célébration calviniste, est le plus beau don que Manuel Tomadin pouvait offrir à ces pages parfois sévères, notamment aux psaumes qui s’en trouvent illuminés de l’intérieur. Autre cadeau avec deux adéquats compléments de programme qui l’introduisent et le concluent : le choral Erbarm dich mein, O Herre Gott traité à la fois par Sweelinck et Scheidemann. Un album majeur pour redécouvrir un des grands organistes néerlandais du XVIIème siècle.



Publié le 12 déc. 2021 par Christophe Steyne