Sonates pour violoncelle - Porpora

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Un vent chaud venu de Naples

Paysage mythique s'il en est, la baie de Naples orne la couverture des deux compact disques, Cello concertos and sonatas. Contraints souvent à l'émigration, les artistes napolitains reviennent au pays terminer leur carrière ou pour y couler paisiblement leurs derniers jours comme Giovanni Paisiello (1740-1816). Le retour au pays ne fut pas aussi serein pour Domenico Cimarosa (1749-1801) qui fut jeté en prison ou bien pour Nicola Porpora (1686-1768) qui mourut dans l'indigence.

Renato Criscuolo, directeur de l'ensemble Musica perduta, s'est donné une double mission. D'une part, il a entrepris de rendre la vie à des musiques oubliées de compositeurs connus comme la centaine de cantates italiennes de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) composées de 1706 à 1710 pendant son séjour dans la péninsule. C'est ainsi qu'il a récemment ressuscité la cantate Apollo e Dafne (1709-1710), une vaste composition dont les proportions sont proches de celles d'un opéra de chambre. D'autre part, grâce à des recherches musicologiques, il a cherché à promouvoir à leur place véritable, des compositeurs sous-estimés. Nicola Porpora était de toute évidence un sujet idéal pour de telles études. En effet le compositeur napolitain a souffert d'avoir été relégué dans l'ombre de Georg Friedrich Haendel après avoir été en concurrence, en tant que compositeur d'opéras, avec le compositeur saxon à Londres à partir de 1733. Pourtant Porpora mérite le respect de la postérité car il fut un pédagogue hors pair. Dans ce domaine, son plus grand titre de gloire est d'avoir contribué à la formation de Carlo Broschi (Farinelli, 1705-1782) et de Giuseppe Haydn (1732-1809). Ce dernier témoignera plus tard sa reconnaissance à l'égard de son mentor.

Si quelques opéras de Porpora (Semiramide riconosciuta, Germanico in Germania, Mitridate, Polifemo) et quelques œuvres de musique religieuse (Vêpres vénitiennes, Il trionfo della divina giustizia) ont été récemment revisités avec succès, sa musique instrumentale est presque totalement inconnue. Renato Criscuolo a réussi à réunir une collection de quatre sonates pour violoncelle et continuo et de cinq concertos pour violoncelle et petit orchestre. La nomenclature de ces derniers est compliquée et prête à confusion. Deux sont appelés sinfonia di violoncello con due violini e basso, les trois autres sont nommés dans leur ordre d'apparition sur les CD, Sonata di violoncello con due violini e basso, Concerto con violoncello obbligato et violini et Concerto per violoncello con archi e basso continuo.

A partir de manuscrits récemment découverts et authentifiés et de recoupements avec les partitions existantes, notamment celles publiées à Londres par l'éditeur I. Walsh vers 1760, Renato Criscuolo a pu attribuer, essentiellement pour des raisons stylistiques, les œuvres inconnues à Nicolo Porpora. Toutefois, selon Criscuolo, des études musicologiques supplémentaires seraient nécessaires pour créditer définitivement le compositeur parthénopéen de ces œuvres. Restait le cas du Concerto con violoncello obbligato et violini en la mineur (plage 16) attribué précédemment à Nicola Fiorenza (1700-1764). Ce concerto a été inclus dans ce CD sous le nom de Porpora, car le patronyme de ce dernier a été trouvé sur le manuscrit et que d'autre part des arguments permettent d'établir que ce concerto aurait pu être composé lors du séjour de Porpora à l'Ospedale degli incurabili de Venise. Le présente notice ne mentionne ni date, ni lieu de composition pour toutes ces œuvres.

Toutes les œuvres inscrites au programme possèdent la coupe de la sonata da chiesa (sonate d'église), elles débutent par un adagio ou un largo et comportent le plus souvent quatre mouvements, successivement, lent, vif, lent, vif. Bien que les sonata da chiesa n'étaient pas destinées à des célébrations religieuses, elles se distinguaient de la sonata da camera par un ton général plus grave. Presque tous les mouvements présentent une coupe binaire avec barres de reprises. Ces sonates et concertos sont centrés sur la beauté mélodique et donnent au violoncelle l'occasion de chanter de belles mélodies et de s'épancher librement grâce à une virtuosité de bon aloi, typique de l'école de violoncelle florissante du Conservatorio napoletano di Santa Maria di Loreto. Dans les mouvements lents les mentions amoroso ou cantabile montrent que chez Porpora, l'opéra n'est jamais bien loin.

Un mouvement très chantant, mentionné Amoroso (CD1, plage 1), ouvre la Sinfonia di violoncello, con violini e basso en do majeur. L'allegro qui suit nous plonge dans l'opéra bouffe, il donne l'occasion au soliste de montrer sa virtuosité et d'utiliser le pouce comme capodastre (pollice a capotasto) pour réaliser de rapides arpèges. Après un largo dramatique, un tempo di minuetto dansant termine l’œuvre sur une note insouciante.

La Sonata di violoncello e basso en do mineur (plage 5) est particulièrement originale avec son magnifique largo initial et son finale, allegro ma non presto, un rondo vigoureusement rythmé dont le thème anticipe le finale de la Sérénade K 388 pour huit instruments à vents dans la même tonalité de Wolfgang Mozart. Curieusement on peut également déceler dans cette sonate des accents balkaniques.

La Sonata di violoncello, due violini e basso, (à mon avis, un concerto) dans la tonalité ensoleillée de sol majeur (plage 9), se distingue par une brillante cadence dans le deuxième mouvement allegro où le violoncelliste atteint un impressionnant suraigu.

Dans la Sonata per violoncello et basso en la majeur (plage 13), on remarque la présence dans le continuo du colascione, sorte de théorbe à très long manche, typiquement napolitain et également d'un archiluth. La présence de ces instruments et la forte couleur locale qu'ils apportent, suggèrent que cette sonate a été composée à Naples.

Le Concerto con violoncello obbligato et violini en la mineur (plage 16) est remarquable par les rythmes pointés du premier mouvement, largo, et la constante énergie des deuxième et quatrième mouvements où le violoncelle dialogue à parts égales avec l'orchestre.

La Sinfonia di violoncello avec accompagnement de deux violons et basse en si bémol majeur (CD2) se distingue par sa beauté mélodique. Le finale, allegro, sur un rythme de gigue, est un mouvement perpétuel très entraînant.

La Sonata di violoncello e basso en fa, une des rares œuvres de Porpora publiées au 19ème siècle, possède un second mouvement allegro très virtuose et un largo pathétique. Elle se termine par un élégant allegro ma non presto 3/4, sorte de tempo di menuetto.

Dernière œuvre inscrite au programme, le Concerto per violoncello en sol majeur contraste vivement avec ce qui précède. Beaucoup plus vaste et ambitieux que les autres œuvres enregistrées sur ces CD, il est remarquable par son écriture contrapuntique. Le violoncelle soliste est moins en dehors et se fond souvent dans l'orchestre. Le premier mouvement, un sublime adagio, fait chanter simultanément deux magnifiques voix de dessus et la voix du violoncelle dans son registre aigu. Les retards et les frottements harmoniques hardis rappellent le style d'Arcangelo Corelli (1653-1713) en plus intense. Par son caractère à la fois religieux et exalté, ce mouvement me semble très typique d'une sinfonia da chiesa. Sommet de l’œuvre, l'époustouflant allegro qui suit, est un fugato à trois sujets (premier sujet composé de deux trilles, deuxième sujet: des retards alla Corelli, troisième sujet: un motif de doubles croches descendantes) d'une grande complexité polyphonique. Les parties de violoncelle et de violons se distinguent par leur virtuosité, avec de fantastiques bariolages. Le mouvement se poursuit sans interruption à la manière d'un moto perpetuo (mouvement perpétuel).

Le troisième mouvement adagio en mi mineur est un lamento poignant d'une belle écriture polyphonique, émaillée de chromatismes expressifs. Curieusement, les instrumentistes ornementent ce mouvement de manière très dix septième siècle avec des tremblements, voire des quart de tons. Le dernier mouvement allegro a une structure plus aérée, il finit par un presto qui répète de manière obsessionnelle une même formule mélodique, énoncée au début du mouvement qui rappelle un caquètement de poule. Indiscutablement une telle œuvre ne doit rien à personne et témoigne d'un don mélodique très original et d'un art consommé de la composition. Il est possible qu'une telle œuvre ait pu influencer le jeune Joseph Haydn, au temps (année 1753) où il fut l'élève et le serviteur du maître napolitain et lorsqu'il composa ses superbes six sinfonia da chiesa entre 1755 et 1769 (Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988).

Ces deux disques valent autant pour leur intérêt musical et musicologique passionnant que pour l'interprétation. Cette dernière est assurée par un ensemble rompu à la musique baroque, jouant sur instruments d'époque ou copies d'époque. L'orchestre sonne joliment, le continuo (clavecin, basse d'archet, théorbe, archiluth, colascione) est varié en fonction du caractère de l’œuvre et apporte de belles couleurs. Le deuxième mouvement du Concerto en sol majeur, d'une redoutable difficulté, est parfaitement en place. Renato Criscuolo est un violoncelliste éminent, maîtrisant des partitions souvent très difficiles. Son jeu, peut-être pas aussi lisse et formaté que d'autres violoncellistes baroques, pourra surprendre certains mais en convaincra d'autres par son authenticité et les couleurs chatoyantes dont il pare ces partitions.

Dans ces deux disques, Musica perduta et Renato Criscuolo mettent à jour et révèlent au public la musique chaleureuse et ensoleillée d'un compositeur qui mérite absolument d'être redécouvert.



Publié le 09 nov. 2018 par Pierre Benvéniste