Pour la Duchesse du Maine - Bernier, Mouret, Bourgeois

Pour la Duchesse du Maine - Bernier, Mouret, Bourgeois ©Lucie Moraillon
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L’abeille de Sceaux

« Sceaux était plus que jamais le théâtre des folies de la duchesse du Maine, de la honte, de l'embarras, de la ruine de son mari par l'immensité de ses dépenses, et le spectacle de la cour et de la ville, qui y abondait et s'en moquait. Elle y jouait elle-même Athalie avec des comédiens et des comédiennes, et d'autres pièces, plusieurs fois la semaine. Nuits blanches en loterie, jeux, fêtes, illuminations, feux d'artifice, en un mot, fêtes et fantaisies de toutes les sortes, et de tous les jours ». C’est en ces termes peu flatteurs que cette méchante langue de Saint-Simon brocarde la cour de Sceaux sur laquelle régnait sans partage, Louise-Bénédicte de Bourbon, duchesse du Maine (1676-1753), petite-fille du Grand Condé, personnalité haute en couleurs, au caractère bien trempé. Passionnée de littérature, de théâtre, de sciences et éprise de musique, celle-ci sut s’entourer de compositeurs à la plume élégante et inventive. C’est à son évocation qu’a décidé de nous convier ce tout jeune ensemble La Française, ayant adopté pour devise, les propos de Cicéron « docere, delectare, movere » (enseigner, charmer et émouvoir). Ce premier enregistrement nous permet de considérer celui-ci à l’aune de la formule de l’illustre orateur.

Docere ?

Si le programme réunit des pièces de compositeurs de l’entourage de la duchesse du Maine, il ne s’agit toutefois pas de cantates ou concerts qui lui soient expressément dédiés, comme l’indique Catherine Cessac, dans une notice à l’image de ses nombreuses publications, c’est-à-dire passionnante et dûment informée. L’enseignement du programme est à relativiser. La cantate de Bernier Médée figure déjà dans plusieurs enregistrements (le récent CD Trois visages d’Hécate avec l’Ensemble Apothéosis de Korneel Bernolet mais aussi celui de l’impressionnante Stéphanie d’Oustrac avec l’ensemble Amarillis). Ne boudons pas pour autant notre plaisir, Nicolas Bernier étant pour le moment fort peu défendu : rappelons : Les Nuits de Sceaux par les Folies Françoises de Patrick Cohën-Akenine, Aminte et Lucrine dans un récital de Gérard Lesne et son Seminario Musicale, de belles Leçons de Ténèbres par l’ensemble Da Pacem. C’est peu au regard d’une production abondante et remarquable par sa qualité, qui compte une quarantaine de cantates en sept livres.

De Thomas-Louis Bourgeois, nous avions déjà Les sirènes et d’autres de ses cantates par le Concert Lorrain d’Anne-Catherine Bucher et Carolyn Sampson. Plus ancien, un remarquable récital de quatre cantates de ce compositeur avait permis à Isabelle Desrochers et l’ensemble Ausonia de Frédérick Haas de se distinguer sur ces contrées bien peu explorées. Son Ariane était déjà de la partie.

Quant au pauvre Jean-Joseph Mouret, après avoir servi grâce à ses Fanfares et simphonies de chasse de porte-étendard au « baroque » des années 1950-1970, il est étrangement absent des catalogues. Si Marc Minkowski s’était hasardé à faire revivre Les amours de Ragonde, truculente « veillée de village », il n’a guère fait d’émules. Celui qu’on surnommait à l’époque de la Duchesse du Maine, « le musicien des Grâces », est boudé de manière incompréhensible et attend depuis des lustres une réhabilitation qui serait méritée, tant son œuvre possède de charme. Ses Fêtes de Thalie dorment toujours hélas ! Aussi accueille-t-on avec empressement ce « concert de chambre », véritable apéritif d’un corpus que les ensembles de la jeune génération montante devraient investir avec gourmandise ! Bien qu’écrit en trio, ce concert peut s’accommoder de formations diverses, aux effectifs limités comme plus conséquents.

Delectare ?

On est assurément charmé à l’écoute de cet enregistrement, nos musiciens s’appropriant avec bonheur cette musique raffinée où toutes sortes de caractères se succèdent fort rapidement. Le prélude de la Médée de Bernier est significatif à cet égard faisant alterner mouvements plaintifs et rage. Marie Remandet montre de belles qualités de diction et d’incarnation des héroïnes qu’elle campe de manière convaincante. Elle vocalise fort bien, notamment dans Tirans des rivages funèbres, un air plein de feu. Elle sait faire retentir une certaine puissance dans Mille trompettes de Bourgeois. Aude Lestienne, flûtiste et fondatrice de l’ensemble se partage avec Shiho Ono, violoniste, les dessus d’accompagnement, en fonction du style idiomatique propre à chaque instrument. La langueur et la grâce le plus souvent échoient à la première, la fougue et les traits agités à la seconde, de manière tout à fait justifiée. Leur dialogue trouve à s’épanouir dans l’ouverture du concert de Mouret avec bonheur. La Vénissienne du même ne déparerait dans un quatuor parisien de Telemann, avec son balancement irrésistible. L’Air qui le suit tient du rigaudon par son allure. Le Rondeau est délicat, presque en apesanteur, atmosphère que confirme la Sarabande à sa basse doucement ondulante. Par contraste, d’alertes Passepieds sont rejoints par des Tambourins. Ceux-ci trahissent l’origine provençale de Mouret. L’emploi de la petite flûte souligne un esprit d’à-propos qui fait merveille, notamment dans le deuxième en mineur, qui évoque Boismortier (voir le compte-rendu Sonatas et trios).

Movere ?

L’air Ingrat ta cruelle inconstance sait toucher. Avec ses chutes de quintes au-dessus d’une basse chromatique descendante sur « m’accable », Marie Remandet laisse un souvenir assurément inoubliable. Apothéose du concert de Mouret, la chaconne très développée (près de 8 minutes) offre l’occasion à Jean-Baptiste Valfré de faire entendre, en dehors d’un accompagnement efficace et sensible avec Kazuya Gunji (clavecin) son violoncelle lors de couplets qui lui sont réservés, aussi bien dans la partie en majeur que celle en mineur. Une cruelle perfidie vient conclure sous la forme d’une tendre gavotte la cantate de Bourgeois. « Perfidie », que de nous allécher de la sorte ! La durée de ce premier CD aurait pu être augmentée de telle sorte qu’une troisième cantate y prît place. Mais ce regret ne doit pas être considéré comme une déception : au contraire, on en aurait aimé davantage ! Par exemple, cet Amour musicien de Thomas-Louis Bourgeois pourra-t-il charmer notre cœur et nos oreilles à l’avenir ? Nous le souhaitons ardemment. Une chose est sûre, après le rayonnant récital de Reinoud Van Mechelen consacré à Clérambault (voir le compte-rendu Cantates françaises) et avec ce bien joli CD de l’ensemble La Française, la cantate française se porte bien. « Tant mieux », aurait pu dire d’un trait la duchesse du Maine !



Publié le 29 mars 2018 par Stefan Wandriesse