Pygmalion - Rameau

Pygmalion - Rameau ©Aparté
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Une séduisante sculpture

La composition de Pygmalion (1748) – en huit jours si l’on en croit les commentateurs du temps – s’inscrit en plein cœur des trente dernières années de la vie de Rameau (il meurt à 80 ans, un record pour l’époque) durant lesquelles il investit le répertoire lyrique pour alors y consacrer quasi exclusivement son œuvre.

Ayant la faveur du public, les tragédies lyriques (Hippolyte et Aricie, Castor et Pollux, Dardanus), opéras ballet (Les Fêtes d’Hébé, Les Indes Galantes) et comédies lyriques (Platée) dominent alors depuis une quinzaine d’années la programmation de l’Académie Royale de Musique, faisant de Rameau le compositeur le plus fréquemment joué. Veillant à l’équilibre financier toujours fragile de l’Opéra, les directeurs successifs de l’institution parisienne alternent durant la saison les grandes œuvres lyriques ou chorégraphiques (créations ou reprises) avec des programmes composites - assemblage d’extraits d’œuvres célèbres ou de pièces de dimension plus réduite- moins onéreux à produire.

Ainsi, c’est pour répondre à une commande de l’Opéra de Paris que Rameau entreprend l’écriture de Pygmalion. Le livret est de Ballot de Sauvot mais prend sa source d’inspiration d’une scène -intitulée La Sculpture- extraite d’un opéra-ballet de Michel de la Barre : Le triomphe des arts (1700), sur un livret d’Houdar de la Motte.

Pygmalion, acte de ballet, est une œuvre brève, divisée en cinq scènes, mêlant chant et danse autour d’une trame narrative simple, tirée des Métamorphoses d’Ovide. Le sculpteur Pygmalion délaisse son amante Céphise et tombe amoureux de son œuvre. Après une invocation aux cieux, Pygmalion voit son œuvre - la Statue - se changer en une très belle femme qui pas à pas prend vie et déclare sa flamme à son créateur. L’ensemble se conclut – selon les conventions du genre – par un ballet célébrant le triomphe de l’Amour.

L’œuvre jouira d’un succès durable et de nombreuses reprises dans les années 1750 et 1760, les dernières ayant lieu en 1781. Il faut dire que la partition concentre tout le génie - et le goût - du compositeur. C’est sans doute la raison pour laquelle la vague du renouveau baroque a donné lieu à plusieurs gravures au disque, la plupart datant de plus de vingt ans : Mc Gegan (Erato 1979), Leonhardt (Harmonia Mundi, 1980), Christie (Harmonia Mundi, 1992, Niquet (Fnac Music, 1993), Richman (Centaur, 2010).

A la tête de sa phalange Les Talens Lyriques, le claveciniste et chef d’orchestre Christophe Rousset - praticien familier de l’œuvre du compositeur dijonnais -continue son travail d’exploration du répertoire ramiste en proposant sa lecture des plus belles compositions. Après Zoroastre, Castor et Pollux ou encore ZaÏs (2015, Aparté), Christophe Rousset se penche sur Pygmalion.

Parmi les œuvres de courte durée, Pygmalion est reconnu par les spécialistes comme une des œuvres les plus abouties de Rameau. D’une qualité supérieure de la première à la dernière mesure, la partition ne pouvait échapper à la baguette de Christophe Rousset. En examinant de plus près le parcours du chef et de son orchestre, le mélomane et discophile averti remarquera que Pygmalion s’avère davantage un retour plus qu’une découverte de l’œuvre. En effet, Christophe Rousset avait déjà enregistré -transcrites pour clavecin- une sélection des plus belles ouvertures de Rameau dont celle de Pygmalion (L’Oiseau Lyre, 1997). Plus près de nous, il a dirigé l’œuvre complète sur scène aux festivals de Potsdam (2016) et Innsbruck (2017. Voir la chronique sur le site : Pygmalion).

L’orchestre, outil dans la main du chef, taille dans l’ouverture et fait ressortir tout le potentiel descriptif de l’écriture esquissant les gestes du sculpteur. Cordes et anches conversent brillamment dans le premier mouvement. S’ensuit un déluge de doubles croches dans la seconde partie. La clarté des lignes témoigne d’une grande maîtrise, d’un savoir-faire, les attaques percutent, les notes jaillissent en fusées ascendantes et descendantes. Le son est plein.

Dans les danses, l’orchestre conserve solidité et grande finesse, la palette des couleurs s’étend, la texture s’épaissit puis s’allège. On goûte particulièrement les passages réalisés aux flûtes et hautbois. Les lignes garderont leur clarté dans les danses de caractère de la scène 3. Finesse, souplesse, fluidité du rythme et de la pulsation. La texture s’épaissit ou s’allège. Coup de cœur pour la sarabande (scène 4).

Parmi les quatre rôles, c’est le personnage de Pygmalion qui assure le plus grand nombre d’interventions. Cyrille Dubois (Pygmalion) est la révélation de cet enregistrement. Il déploie de belles lignes de chant. Constant, son aigu est solide et souple, capable d’exprimer divers sentiments. Noble et sérieux dans le beau récitatif accompagné d’introduction Fatal amour, cruel vainqueur digne d’une tragédie lyrique, il peut se faire languissant, suave. Agile, le chant devient aérien dans l’air da capo de style italien concluant la dernière scène. La virtuosité est extrême et pleinement maîtrisée, on goûte les effets répétés sur les mots « règne », « brille » « lance ». Voilà pour le jeune chanteur une belle entrée dans ce répertoire exigeant de haute contre à la française (Pygmalion a été créé par le célèbre chanteur Jélyotte). On espère que cette expérience sera suivie d’autres prises de rôles.

Beaucoup plus brèves, les interventions des voix féminines possèdent chacune leur caractère propre. Marie Claude Chappuis (Céphise) est l’amoureuse éplorée exprimant sa douleur face à Pygmalion, qui reste de marbre. Le récitatif simple, dépouillé confère un sentiment d’isolement à cette scène dans laquelle la mezzo soprano démontre en quelques mesures toutes ses qualités expressives.

La voix minérale de Céline Scheen épouse les formes de la statue prenant vie. D’abord diaphane, la voix gagne en chaleur et éclat au fur et à mesure du duo avec Pygmalion témoignant de leur passion réciproque.

Eugénie Warnier clôt ce carré de chanteurs dans le rôle de l’Amour. La voix est chaude, ronde, fière aussi. Des effets appuyés en fin de phrase confère à cet Amour force et autorité. Ce qui n’empêche pas de goûter ses savoureuses acrobaties vocales dans l’ariette finale.

Enfin, on prête une oreille attentive à l’énergie des courtes- et précises- interventions du chœur Arnold Schoenberg s’ajoutant à une diction soignée. La danse reprend alors toute sa place dans le finale laissant à l’orchestre le soin de conclure brillamment l’œuvre.

Le programme du disque propose en contrepoint à Pygmalion, une suite d’orchestre tirée des Fêtes de Polymnie, qui ravira les amoureux de belle musique de danse. Manifeste du savoir-faire des instrumentistes (élégance des phrasés…), l’interprétation de ces pages orchestrales finit d’emporter l’adhésion.



Publié le 22 nov. 2017 par David Adam