Requiem - Campra
© Ronny Behnert/Bridgeman : L’Île de la Cité, Paris, France, 2013 Afficher les détails Masquer les détails Coffret avec livret et notice trilingue (français-anglais-allemand) de Thomas Leconte, un CD, durée totale : 69 minutes 56 secondes. Harmonia mundi - 3024
Compositeurs
- François Cosset (ca 1610- ca 1673) : Missa sex vocum « Domine salvum fac regem »
- Jean Veillot (ca 1600-1662) : Ave verum corpus
- Jean Mignon (1640-1708) : Procul maligni cædite Spiritus (plain-chant)
- François Cosset : Missa sex vocum « Domine salvum fac regem »
- Jean Veillot : Domine salvum fac regem
- Pierre Robert (ca 1622- 1699) : Christe redemptor omnium
- Templi sacratas (plain-chant )
- André Campra (1660-1744) : Messe de Requiem
- Pierre Robert : Tristis est anima mea
Chanteurs/Interprètes
- Ensemble Correspondances :
- Dessus : Caroline Weynants, Eva Plouvier, Perrine Devillers, Caroline Dangin Bardot
- Bas-dessus : Lucile Richardot
- Hautes-contre : Rodrigo Carreto, Carlos Porto, Abel Zamora
- Tailles : François Joron, Randol Rodriguez, Thibault Givaja
- Basses-tailles : Étienne Bazola, Thierry Cartier
- Basses : Lysandre Châlon, Renaud Brès
- Violons I : Simon Pierre, Béatrice Linon, Paul Monteiro
- Violons II & altos : Xavier Sichel, Katherine Goodbehere
- Altos : Samuel Hengebaert, Christophe Mourault
- Violes de gambe : Mathilde Vialle, Noémie Lenhof
- Basses de violon : Gauthier Broutin, François Gallon
- Violone : Étienne Floutier
- Flûtes allemandes : Matthieu Bertaud, Gabrielle Rubio
- Flûtes à bec : Lucile Perret, Matthieu Bertaud
- Basson : Mélanie Flahaut
- Serpent : Patrick Wibart
- Archiluth : Thibaut Roussel
- Orgue : Mathieu Valfré
- Direction : Sébastien Daucé
Pistes
- 1.François Cosset : Missa sex vocum « Domine salvum fac regem », I. Kyrie
- 2.II. Gloria
- 3.Jean Veillot : Ave verum corpus
- 4.Jean Mignon (1640-1708) : Procul maligni cædite Spiritus (plain-chant)
- 5.François Cosset : Missa sex vocum « Domine salvum fac regem », III. Sanctus
- 6.IV. Agnus Dei
- 7.Jean Veillot : Domine salvum fac regem
- 8.Pierre Robert : Christe redemptor omnium
- 9.Templi sacratas (plain-chant)
- 10.André Campra (1660-1744) : Messe de Requiem - I. Introitus
- 11.II. Kyrie
- 12.III. Graduale
- 13. IV. Offertorium
- 14.V. Sanctus
- 15.VI. Agnus Dei
- 16.VII. Communio
- 17.Pierre Robert : Tristis est anima mea
Mort et résurrectionIl est des enregistrements qui viennent à point et entrent en résonance toute particulière avec une certaine actualité, que celle-ci soit de dimension internationale ou beaucoup plus intime. À l’heure où Notre-Dame renaît de ses cendres après un monumental et extraordinaire travail de reconstruction, ces musiques sont en effet dédiées à des proches disparus : collègues, amis, parents des musiciens et chanteurs ici réunis. À titre personnel, un deuil familial tout récent a trouvé en cet album un réconfort des plus touchants. J’entretiens en effet avec le Requiem de Campra une relation affective toute singulière. Celui-ci est la première messe des morts qu’il m’ait été donné de découvrir encore enfant. J’avais alors neuf ans et venais d’acquérir la version de Louis Frémaux qui me fit l’effet d’un choc. Par la suite, au gré des années, d’autres publications vinrent apporter leur degré de nouveauté : Gardiner, Herreweghe, Malgoire, Niquet, Schneebeli pour n’en citer que quelques-uns. Sœur de celle de Jean Gilles (voir mon compte-rendu), cette œuvre tranche par sa sérénité avec bien d’autres messes des défunts où pathos excessif et visions cauchemardesques viennent souvent contredire le sens même du terme Requiem, prière pour le double repos du corps et de l’âme.
À l’image d’un édifice dont il convient de consolider les fondations et qu’il fallait reconstruire jusqu’à sa flèche, le programme, fort intelligent, rassemble des pièces des illustres prédécesseurs du musicien aixois et offre ainsi nombre de pièces inédites venant compléter un album remontant à 1998, signé de Marcel Pérès (Messe pour le jour de Noël, Harmonia mundi, et consacré au plain-chant parisien des XVIIe et XVIIIe siècles de Notre-Dame de Paris). Après avoir notamment exploré avec bonheur Boesset, Du Mont, Moulinié, Lalande, Charpentier, Sébastien Daucé a une fois de plus eu la main heureuse en exhumant les Cosset, Veillot, Mignon et Robert, qui, pour certains d’entre eux, avant d’accéder aux suprêmes fonctions de la Chapelle Royale, exercèrent leurs talents en la cathédrale de Paris. On lira avec délectation la notice érudite de Thomas Leconte qui retrace les portraits de ces compositeurs en éclairant ainsi le chemin qui mène jusqu’à Campra et faisant quelques révélations convaincantes au sujet du mystère entourant le Requiem de ce dernier.
Le répertoire des messes au Grand Siècle comme au Siècle des Lumières est de mieux en mieux connu, au vu des monumentales éditions du Centre de musique baroque de Versailles qui permettent d’apprécier de Frémart à Grénon, en passant par Madin cette tradition française de la messe polyphonique. Cosset s’inscrit dans cette filiation où l’écriture châtiée encore très marquée par le savoir-faire contrapuntique du XVIe siècle cisèle des partitions peu marquées par les affects mais où règne une incontestable pureté de lignes. On appréciera ainsi l’élégance de cette messe à six voix, intitulée Domine salvum fac regem, la prière royale par excellence qui, sous l’Ancien-Régime, vient clôturer nombre d’offices. Veillot, réputé pour avoir introduit les violons à la chapelle, et ce, même avant Lully, est hélas peu connu car la plupart de ses œuvres ont disparu. On goûtera d’autant plus ce bien bel Ave verum corpus à cinq voix, empli d’une grave dévotion ou son rare Domine salvum fac regem. Les pages de plain-chant, par leur austérité un peu sombre, viennent apporter de saisissants contrastes avec celles plus concertantes qui leur sont adjointes. Mignon, dont les motets sont perdus, se voit ainsi représenté par une courte page Procul maligni cædite Spiritus pour la Sainte Marie-Madeleine. Mais c’est surtout, dans ce genre, le Templi sacratas de Pierre Robert qui retient l’attention. Tel un grand portique, il invite, à l’image d’une procession, à entrer dans la Messe des morts de Campra avec tout le recueillement requis.
J’ai cité plus haut nombre de versions du Requiem du plus illustre maître de musique de Notre-Dame de Paris. Toutes sont plus longues et souvent plus lourdes dans leurs intentions. Celle de l’Ensemble Correspondances fait l’effet d’un rayon de soleil à travers une rosace. Telles les couleurs des vitraux projetées sur les pierres de l’édifice, celles des voix et des instruments parent la messe de Campra d’une légèreté et d’une luminosité inaccoutumées. Beaucoup moins versaillaise et bien davantage parisienne, la vision qui en est donnée s’avère maitrisienne dans l’esprit : sobriété des effectifs, tant au plan vocal qu’instrumental. On relèvera notamment parmi les musiciens les noms de Mathilde Vialle, Noémie Lenhof aux violes, Matthieu Bertaud, Gabrielle Rubio aux flûtes allemandes et Thibaut Roussel à l’archiluth, c’est assez dire du niveau d’excellence.
Dans l’Introït, on est frappé par le tempo assez preste qui est adopté. Pourtant nulle précipitation ne peut y être décelée pas plus qu’une ambiance qui serait plus profane d’humeur. Au contraire, c’est une musique qui permet réellement à l’âme de s’élever et gagner une forme de félicité. Le splendide contrepoint bâti sur le plain-chant (aux basses qui entrent après un apaisant prélude) n’a jamais été aussi lisible : même sans la partition sous les yeux, on y relève tous les détails, les subtilités de cette page extraordinaire. Je n’ai pu encore me rendre à Notre-Dame, mais j’imagine que la restauration permet de rendre à l’œil ce que bien des lustres avaient voilé. Le travail de Sébastien Daucé et de son extraordinaire Ensemble Correspondances semble du même ordre : la polyphonie est ciselée avec un amour de chaque instant, renouvelant de fond en comble notre connaissance de l’œuvre. Le repos ainsi chanté prend l’âme dans un mouvement ascensionnel irrésistible qui débouche sur un Et lux perpetua proprement jubilatoire. Le Kyrie ne perd en rien de cette intensité, déployant sa prière fervente sans la moindre pesanteur.
Le Graduel joue des contrastes de son écriture, tantôt grave, dans son volet inaugural (quelle lamentation !), tantôt flamboyant par son italianisme soudain (in memoria æterna) où la basse (remarquable Étienne Bazola) engage un dialogue fort animé avec le chœur. Au terme de cette relative agitation, l’extraordinaire Offertoire vient prodiguer d’autres merveilles. C’est d’abord son prélude introduisant un trio aux contours mélodiques si étranges et aventureux (les motifs la bémol sol fa dièse – mesures 22-23 et plus loin la bémol, sol bémol, fa, mi -mesures 73-74) avant que le chœur n’entre de façon péremptoire sur Libera de ore leonis et supplier d’éviter la chute des défunts aux enfers sur une basse frénétique. L’arrivée de l’archange Saint Michel (Sed signifer Sanctus Michael) se veut on ne peut plus rassurante. Dansante, elle garantit une pesée des âmes bien légère, assurant ainsi de la promesse faite à Abraham et sa descendance.
Si le Sanctus affirme sa pureté angélique en dépit de sa robuste écriture verticale, l’Agnus Dei se pare d’une tendresse insondable jamais rencontrée à ce point. Après le premier Agnus admirablement chanté par François Joron, on retrouve l’incomparable voix de Lucile Richardot, qui se taille d’ailleurs la part du lion, la plupart des récits de haute-contre lui étant attribués (ce qui nous change des versions citées plus haut). Toutes ses interventions sont tellement habitées (quel hommage à ses chers parents !) qu’elles nous bouleversent en plus d’un endroit (ses récits dans le Kyrie et le Graduale par exemple sont d’une beauté à faire pleurer les pierres).
La vaste Communio prolonge ce climat de lumière réconfortante et cette atmosphère orante avec une ferveur thaumaturge. Le Lux æterna témoigne de son affection, à la manière d’une berceuse pour les morts avant que le glas (mesures 78 et suivantes) ne retentisse (le la réitéré six fois à la basse continue) pour une ultime intervention chorale sur Requiem préparant l’apothéose finale : une grandiose fugue où Campra déploie toute sa maîtrise contrapuntique et s’affirme en digne héritier d’une tradition polyphonique : il a retenu la leçon de ses prédécesseurs, leçon qu’il magnifie et à laquelle l’ambivalente cadence en la mineur vient offrir une conclusion autant magistrale que frémissante sur Quia pius es. C’est que nos morts ne sont plus là. C’est ce sentiment de perte incommensurable que le somptueux Tristis est anima mea (à huit voix en double-chœur) de Pierre Robert vient réaffirmer tel un écho (cette page étant placée en miroir du grand Christe Redemptor omnium du même compositeur) nous laissant presque inconsolables. Fort heureusement, cet album, d’une singulière beauté, dispense des soins bénéfiques aux maux du cœur et de l’âme. La beauté des voix, l’incroyable perfection de la mise en place, le raffinement instrumental, tout concourt ici à nous persuader qu’après toute mort doit succéder une résurrection.
Publié le 14 janv. 2025 par Stefan Wandriesse