Requiem - Mozart

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Un Requiem renouvelé

Il y a des compositions, comme les Passions (essentiellement Jean et Matthieu) de Bach (1685-1750), où l'interprète doit réaliser un choix parmi toutes les versions existantes (entre celle du compositeur lui-même, mais aussi celles des musicologues... vaste programme au bilan) pour trouver (ou essayer de trouver) sa voie... En fait, il n'en existe pas « une version définitive », mais des moments successifs de la pensée de Bach. Pour le Requiem K 626 de Mozart (1756-1791), c'est exactement l'inverse... pour finalement en arriver au même point d'incertitude.

On sait que Mozart est mort sans avoir pu terminer son œuvre, débutée quelques mois plus tôt. L'histoire de sa composition et de ses multiples complétions est devenue un mythe, entouré de beaucoup de légendes et sans cesse remis en cause. A l'origine, c'est Constance, l'épouse de Mozart, qui le poussait à terminer le Requiem car il devait rendre sa partition complète pour percevoir l'intégralité du cachet. Mais évidemment, l'éternelle question qui restera à jamais sans réponse est de savoir, ou d'imaginer, ce que Mozart voulait vraiment.

Depuis longtemps, les musicologues ont pu établir que ce Requiem avait été commandé, anonymement et associé à un beau cachet, qui était une aubaine pour la famille Mozart alors « quelque peu » en manque de liquidité. En réalité, le commanditaire était le comte Franz de Walsegg zu Stuppach et non Salieri, qui aurait voulu faire croire qu'il l'avait lui-même composé pour son épouse récemment disparue, comme on le pense encore trop souvent. Mozart se met assez rapidement au travail (Introît et Kyrie), mais en interrompt très souvent la composition, laissant la partition inachevée. Aux abois, Constance, dès la disparition de son époux, demande à plusieurs compositeurs (proches de Mozart, mais plus ou moins médiocres) de terminer le Requiem : Joseph Leopold Eybler, Maximilian Stadler, Franz Xaver Süssmayr.

C'est cette version qui sera la plus jouée par les grands interprètes du début du 20ème siècle, tels Walter, Böhm, Karajan, Bernstein..., après éventuellement quelques corrections personnelles (!?). Mais depuis les années 1980 et la mode des interprétations « historiquement informées », d'autres versions ont été peu à peu proposées, comme par exemple celles de Franz Beyer (1981 puis 2005), enregistrée par Harnoncourt ; Richard Maunder (1986) ; ou encore Robert Levin (dans les années 1990) ; pour ne citer que les plus connues. Enfin, certains interprètes ont enregistré uniquement les parties écrites par Mozart, en intégrant assez peu les parties de Süssmayr (utilisées comme « simples liants »), comme par exemple Leonardo Garcia Alarcón.

La version, assez dramatique, enregistrée ici par René Jacobs et ses troupes, est une nouvelle complétion (enregistrée ici pour la première fois) réalisée par le compositeur et orchestrateur français Pierre-Henri Dutron en 2016. Dutron a choisi de débuter son travail d'après la complétion de Süssmayr (qui avait eu en main des particelles, maintenant disparues de Mozart) ainsi que le manuscrit de Mozart. Il a ainsi recomposé certaines parties, en a arrangé d'autres tout en laissant intactes ce qui était de la main de Mozart. Le travail de Dutron a surtout porté sur l'orchestration, souvent limpide, beaucoup plus légère que celle de Süssmayr (assez souvent dépassé par la profondeur de ce Requiem). Pierre-Henri Dutron parle, à juste titre, d'un « resserrement du matériau à sa plus simple expression ». C'est à partir de la fin de la Sequentia et du Lacrimosa (partie 2, plage 8) que le travail de Dutron se fait le plus ressentir (Mozart ayant de moins en moins composé, sauf pour le Lux aeterna, plage 14). Toutefois, il est difficile d'entrer avec précision dans les détails du travail de Dutron, le texte du CD particulièrement explicite et détaillé en ce sens, apporte un éclairage précieux. Le résultat à l'oreille, le seul que nous ayons à juger, est un travail original, très convaincant.

Concernant l'orchestre, on est comblé par le Freiburger Barockorchester. Dans le Kyrie (plage 2), les cors de basset sont somptueux. Pour le Dies Irae (plage 3), les trompettes naturelles sont d'une grande justesse, et les bois du Tuba mirum (plage 4), sont plus bel effet, sans aucune ostentation. Enfin, les cordes sont partout d'une légèreté et d'une fluidité rares.

Le merveilleux chœur RIAS Kammerchor avec des interventions tour à rayonnantes ou douloureuses, donne une leçon époustouflante de chant choral, toujours d'une extrême précision, avec des couleurs étourdissantes. On écoutera simplement le Domine Jesu (plage 9) pour s'en faire une idée.

Les quatre solistes sélectionnés par René Jacobs, sont tous de grande qualité, mais les deux voix féminines sont superlatives, et justifient à elles seules l'écoute de ce CD. Le Dies Irae exprime tout le dramatisme, imposé par le chef, mais que les chanteurs font leur. On notera, une fois de plus, la douceur et la qualité vocale de la soprano Sophie Karthäuser dans ses interventions. La mezzo-soprano suisse, Marie-Claude Chappuis, s'impose dans ce disque, comme une interprète majeure dans ce répertoire. Avec une voix ample, généreuse et chatoyante. Les deux voix masculines, Maximilian Schmitt (ténor) et Johannes Weisser (basse), tous deux bien chantants et vocalement à leur place, sont toutefois moins saillants en raison d'une certaine instabilité vocale.

Cet enregistrement se place très haut dans les « interprétations historiques » du Requiem de Mozart. Certes, le travail de complétion de Pierre-Henri Dutron y a sa part. Il ne nous impose pas une nouvelle version pour « le plaisir de la nouveauté », mais correspond à des adaptations nécessaires qui accroissent la qualité de l'écoute, la profondeur de la composition, tout en l'aérant. Mais, pour conclure, la qualité de cet enregistrement, est essentiellement due à la présence des interprètes (surtout les chœurs, orchestre et soprano) au sommet de leur art, ainsi qu'à la vision d'un René Jacobs, habitué a diriger ce Requiem depuis des années, mais visiblement épanoui dans cette nouvelle complétion, n'hésitant pas à afficher une dramaturgie, par moment presque trop violente, mais tellement cohérente, à laquelle il nous semble difficile d'échapper. Bref, le juste goût !



Publié le 22 févr. 2018 par Robert Sabatier