Requiem pour Louis XVI - Martini

Requiem pour Louis XVI - Martini ©
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Derniers feux baroques à Saint-Denis

Toute œuvre d’art respire l’air de son temps. Particulièrement, cette Messe de Requiem accompagnant la translation des restes du roi Louis XVI (1754-1793) et de la reine Marie-Antoinette (1755-1793) jusqu’à la nécropole royale de Saint-Denis. Pour en ressentir le souffle, commençons par en gorger nos oreilles. Pénétrons ensuite dans ce théâtre d’ombres criblé de couleurs vives. D’éclats sonores en silences glaçants, d’éblouissements en lamentations, de consonances en dissonances, cette musique nous parle des événements qu’elle accompagne ce samedi, 21 janvier 1815. Une musique à la hauteur d’un événement historique dont il convient, au préalable, de rappeler la portée.

A peine monté sur le trône, le 6 avril 1814, Louis XVIII (1755-1824) commande à Charles-Henri Dambray (1760-1829), chancelier de France, de diligenter une enquête en vue de « recueillir les précieux restes » de son frère, Louis XVI, et de sa belle-sœur, Marie-Antoinette. L’enquête débute le 22 mai 1814 par l’interrogatoire des témoins oculaires de l’enfouissement des dépouilles royales au cimetière-charnier de la Madeleine. Pourtant, officiellement, les autorités ne procéderont aux fouilles que le 18 janvier 1815 à « la place où (un témoin)… croyait pouvoir assurer que les corps de Leurs Majestés avaient été déposés » (Le Moniteur universel, 20 janvier 1815). Il sera procédé à leur exhumation en présence de nombreux témoins assermentés, dont François-René de Chateaubriand (1768-1848). Les restes de la reine sont trouvés le jour-même. Ceux du roi ne seront découverts que le lendemain. A ce moment-là, « les reliques du martyr (sortirent) triomphantes du sein de la terre pour protéger désormais notre patrie », entonne le journaliste du Moniteur universel. Elles sont recueillies dans de grandes boîtes scellées aux armes de France, puis conservées dans une chambre ardente « jusqu’au moment qui sera fixé par le roi pour leur placement dans des cercueils de plomb et le transfert desdits cercueils à l’église royale de Saint-Denis », poursuit-il. Décision prise par le roi le vendredi 20 janvier pour des funérailles d’Etat à la nécropole royale dès le lendemain. Alors, « Dieu finit d’un seul coup cette révolution épouvantable, et les Rois de France reprennent à la fois possession de leur trône et de leurs tombeaux », analyse le journaliste.

Dans cette chronologie officielle, moins de quatre jours séparent le début des fouilles de la cérémonie funéraire. Les différents corps de métier mobilisés pour la circonstance se voient donc confrontés à un défi de taille.

Une gageure pour les équipes (charpentiers, menuisiers, tapissiers, serruriers… et maçons pour restaurer la crypte alors déserte) menées par l’architecte François-Joseph Bélanger (1744-1818) et son beau-frère, le décorateur Jean-Démosthène Dugourc (1749-1825) chargées de parer le lieu la basilique d’un décor grandiose. Pour nous en donner une idée, contemplons le résultat tel que le rapporte le Journal des Débats politiques et littéraires daté du 23 janvier 1815 : « Pour la cérémonie d’hier, on avait tendu de noir tout le pourtour de la nef principale, des nefs de la croisée et du chœur, jusqu’à la hauteur des premiers entablements. Cette tenture, sur laquelle s’étendaient 2 litres (= bandes d’étoffe noire) chargées des armes et des chiffres du Roi et de la Reine, étaient surmontées d’un rang de cierges très rapprochés les uns des autres. Trois lampadaires, à plusieurs lumières, étaient suspendus sous le grand arc gothique qui séparait l’estrade du catafalque… L’étendue du chœur avait aussi, au moyen de tentures, été réduite dans de fort bonnes proportions». La veille, La Quotidienne avait relevé que l’effet des décors «s’est montré surtout dans toute sa vérité lorsque, la nuit étant arrivée, les voûtes sacrées du temple n’ont plus été éclairées que par les lumières des bougies et des pompes funèbres ». Quant à la façade extérieure, elle a été tendue de draps noirs afin de dissimuler les outrages révolutionnaires. Voilà pour la scène que doit sublimer la musique de cérémonie.


Jean-Démosthène Dugourc (1749 – 1825) : Célébration de la mémoire de Louis XVI et Marie-Antoinette – 1816 © : Photo RMN-Grand Palais - F. Raux

Les ecclésiastiques et les musiciens sont également contraints par les délais. Ainsi, Etienne-Antoine de Boulogne (1747-1825), évêque de Troyes, doit composer son oraison funèbre en six jours seulement. Averti le 12 janvier, il la récite devant le roi le 19, avant de la prononcer le 21. Le nouveau maître de la Chapelle du roi, Johann Paul Aegidius Martini (1741 – 1816) dit Schwarzendorf, n’a rien à lui envier. Aussi se résout-il à prélever dans ses cartons une Messe des morts à grand orchestre dédiée aux mânes des compositeurs les plus célèbres qu’il avait composée sous l’Empire, comme le confirment Les Tablettes de Polymnie (août 1811). Peut-être y a-t-il apporté quelques retouches et ajouté, selon les indications du livret accompagnant le CD, « trois Motets aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France à l’état de manuscrits (De profundis, Adagio, A custodia) ».

Si les préparatifs s’organisent apparemment dans l’urgence, nous pensons que la date du 21 janvier avait été réservée de longue date. Car les funérailles royales sont également des cérémonies politiques. Pour le nouveau régime, il est capital de restaurer, dans l’esprit des Français, la souveraineté monarchique de la Maison des Bourbons dont la continuité dynastique a été tranchée par le couteau de la guillotine, le 21 janvier 1793. Emmanuel Fureix (Du culte des morts au combat politique, Frontières, 19, 2006) décode l’événement : « l’expérience tragique du régicide… est retournée en célébration expiatoire ». Par ce type de manifestation, les nouvelles autorités veulent réaffirmer la sacralité politique de la monarchie en convertissant leur « Roi martyr » en nouvel « Agneau de Dieu » qui « se serait offert pour le salut de l’humanité » (cela, malgré l’échec, en 1820, de la demande en béatification de Louis XVI). En parallèle, afin de réparer le tissu social, elles entendent rassembler une communauté nationale apaisée autour du culte de ses morts.

Cette image officielle, lisse et consensuelle, paraît cependant plus contrastée dans la réalité. Arrêtons-nous sur quatre exemples. Le cortège funéraire, d’abord. La presse d’obédience royaliste décrit une foule recueillie : « sur tous les lieux de son passage, (le cortège) a marché entre une double haie de spectateurs nombreux dans une attitude grave et silencieuse, dans le recueillement profond que recommandait l’objet d’une telle cérémonie » raconte Le Moniteur universel du 22 janvier 1815. François Roget (1797-1858), au contraire, rapporte qu’un observateur a été « frappé de l’absence de tout sentiment sérieux chez les spectateurs, qui ne sont là que pour voir et être vus » (Pensées genevoises, 1859). La cérémonie à Saint-Denis, ensuite. Selon l’organe ultra, La Quotidienne, daté du 22 janvier, « la douleur éprouvée par toutes les âmes, se peignait sur tous les visages » de l’assemblée rassemblée sous les voûtes de la nécropole. Témoin oculaire, Pierre Maine de Biran (1766-1824) affiche, en revanche, sa déconvenue dans un manuscrit non publié: « Excepté quelques êtres pensants et sensibles, tout le monde voyait le cortège comme un spectacle ordinaire fait pour la curiosité publique… Dans l’église même..., j’ai vu l’élite de la société froide et sans aucun signe du sentiment qui devrait remplir en ce jour l’âme des Français » (Ernest Laville, Maine de Biran : sa vie et ses pensées, 1857). La disparité des opinions s’exprime également à propos de l’oraison funèbre. « Tout ce discours, qui a duré environ trois quarts d’heure, a été entendu avec un pieux recueillement », juge le Journal des débats daté du 22 janvier. A l’inverse, le maréchal Boniface de Castellane (1788-1862) consigne dans son Journal : « l’oraison funèbre de Louis XVI… n’a eu aucun succès ». Enfin, l’esprit de concorde est le maître-mot martelé par les officiels du régime : « Tout ce qui accuse en sera banni ; on ne verra que ce qui console » déclare Chateaubriand à la tribune de la Chambre, le 19 janvier (La France en deuil ou Le vingt-un janvier). Par contre, les anciens régicides se cachent par peur des représailles, parfois encouragées du haut des chaires par un clergé revanchard. Ils finiront par contre-attaquer. Jusqu’à nier que les restes vénérés sont ceux de Louis XVI : « il est extrêmement probable que c’est Robespierre lui-même, avec ses breloques, qui aura été pris pour les augustes victimes : ainsi ce n’est pas un autre que Robespierre que vous avez inhumé à Saint-Denis » assène Paul Barras (1755-1829) dans ses Mémoires (Tome 4, 1896).

Maximilien Robespierre (1758-1794) à Saint-Denis ! Cela vaut bien une Marseillaise ! Justement. Le CD se conclut sur une Marseillaise explosive d’après Hector Berlioz (1803-1869). A la première écoute, cette séquence séduit et déroute à la fois. Autant que l’affirmation de Barras. En effet, selon quelle logique l’hymne républicain par excellence couronnerait-il une célébration destinée à consolider le pouvoir monarchique ? Simple remplissage ? Si tel était le cas, nous aurions préféré découvrir les trois motets assoupis dans les cartons de la Bibliothèque nationale de France. Clin d’œil malicieux ? Il est vrai qu’Hervé Niquet en est friand, pour notre plus grand bonheur. Mais le motif est sans doute à rechercher dans la captation du concert donné le 29 juin 2019 en la Chapelle royale de Versailles. Au programme : la Messe solennelle de Berlioz et le Requiem à la mémoire de Louis XVI de Martini. Avec, en rappel, notre Marseillaise. Bien que merveilleusement interprété, ce finale nous laisse perplexe.

Revenons à la cérémonie du 21 janvier et tentons d’en capter l’ambiance sonore. Or, pratiquement aucun journal n’évoque l’accompagnement musical de la célébration. Trois palmes seulement sont distribuées par la presse. A la fanfare de « la 1ère légion de la garde nationale parisienne rangée en bataille » qui salue le cortège passant devant la Madeleine : « les morceaux que sa musique exécuta parfaitement, tous analogues à cette auguste cérémonie, rendirent plus solennels encore les derniers honneurs rendus par cette légion aux restes précieux confiés depuis longtemps à sa garde » (Journal des débats, 23 janvier). Aux salves d’artillerie qui se sont « renouvelées pendant le service à Saint-Denis et au moment de l’inhumation » (Moniteur universel, 23 janvier). A la symphonie qui résonnât sous les voûtes de Saint-Denis : « une musique religieuse et solennelle, dirigée par MM. Martini et Persuis, s’est fait entendre jusqu’à l’évangile » (La Quotidienne, 22 janvier). D’ailleurs, dans la description pourtant détaillée de l’occupation de l’espace, aucun organe de presse n’évoque la moindre place réservée aux musiciens de la Chapelle.

Cette dernière information soulève trois questions que nous adressons aux spécialistes.

D’abord, comment ont été choisis les deux chefs ? Car une autre personnalité dominait alors le monde musical. Jean-François Le Sueur (1760-1837), directeur de la Musique impériale, s’était imposé comme l’homme de la situation en mettant à la disposition du nouveau souverain « une machine solide et parfaitement opérationnelle » (Youri Carbonnier, La Restauration de la musique de la Chapelle royale… (1814-1815), Annales historiques de la Révolution Française, janvier-mars 2015). Ainsi, en raison de son ralliement, la Musique impériale devient instantanément Musique royale. Mais c’était sans compter sur les « fantômes de l’Ancien Régime » qui ne tardent pas à se manifester. Parmi eux, le bavarois Martini. Sous l’Ancien Régime, son célébrissime Plaisir d’amour avait forgé sa réputation. Louis XVI le nomme, le 28 février 1788, surintendant de sa Musique, en charge de la musique religieuse. Balayé par la Révolution, il ne retrouve une fonction officielle qu’en 1797, comme inspecteur puis professeur de composition au sein du Conservatoire de Musique de Paris. Avant d’être démis de ses fonctions en 1802 par « un jury composé d’instrumentistes », dénonce Le Sueur (Projet d’un plan général de l’instruction musicale en France, 1801). Le Sueur, également renvoyé, tente maintenant de discréditer Martini. Il plaide, dans un mémoire adressé au roi, que le vieux musicien n’aurait « point l’intention, vu son grand âge, de faire les services actifs, ni de composer les musiques nécessaires à la chapelle, ce qui est un travail considérable ». Il reste que les talents de composition de Martini étaient toujours en faveur auprès des connaisseurs. Ainsi, Les Tablettes de Polymnie (août 1811): « Parmi le très-petit nombre de compositeurs qui ont su conserver la bonne tradition des anciens grands maîtres, on doit surtout distinguer Mr. Martini ». Par conséquent, dans l’ordonnance du 1er janvier 1815 organisant sa Musique, Louis XVIII tente de concilier le passé et présent. Il confirme Le Sueur dans ses fonctions mais lui adjoint Martini. Est-ce dans ce même esprit de compromis que Martini devra, ce 21 janvier, partager la battue avec un ancien élève de Le Sueur : Louis-Luc Loiseau de Persuis (1769-1819) qui, au demeurant, sera nommé directeur de l’Opéra de Paris en 1817 ?

Ensuite, comment expliquer la présence simultanée de deux chefs ? Oubliée la pratique ancienne en vertu de laquelle le sous-maître de la Musique de la Chapelle devait « céder le battoir » au surintendant de la Musique de la Chambre chargé des Motets lors des obsèques à Saint-Denis, comme l’explique Thomas Leconte dans le catalogue de l’ exposition Le Roi est mort (Versailles, 27 octobre 2015 - 21 février 2016) ? Suggère-t-elle alors la répartition des chanteurs en deux chœurs ? D’ailleurs, n’est-ce pas sur ce mode polychoral que, ce même 21 janvier 1815, est interprété le Requiem à la mémoire de Louis XVI en la Stephansdom (cathédrale Saint-Etienne) de Vienne ? Les plus de 300 chanteurs autrichiens y sont répartis en deux ensembles, l’un dirigé par son compositeur, Sigismond von Neukomm (1778-1858), l’autre par son ami, Antonio Salieri (1750-1825). A moins que, en raison de la brièveté du temps de préparation des musiciens et de l’âge avancé du compositeur (74 ans), les deux chefs ne se soient répartis la charge des répétitions, puis l’honneur d’une direction partagée ?

Enfin, pourquoi le grand orchestre aurait-il été réduit au silence après l’Evangile ? Sous l’Ancien Régime, la musique était pourtant « un auxiliaire indispensable de la liturgie (et) participait aussi au lustre et à l’apparat grandiose qui accompagnait les corps des princes jusqu’à la nécropole royale de Saint-Denis », note Thomas Leconte. Traditionnellement, trois types de musiques s’y agençaient durant la cérémonie des funérailles: le plain-chant interprété par quatre chapiers (chantres revêtus d’une chape) placés près du catafalque, la messe polyphonique exécutée par la Musique de la Chapelle et les motets interprétés par la Musique de la Chambre. Curieusement, ce 21 janvier 1815, la musique de Martini aurait résonné durant les rites d’ouverture de l’office religieux, au moment d’accueillir solennellement les dépouilles par les chants du Requiem et du Dies irae. Puis, elle se serait retirée, laissant le champ libre à un plain-chant a cappella (car les orgues de la basilique avaient été démontés en 1800 pour n’être reconstruits et inaugurés qu’en 1841). L’orchestre se serait ensuite retiré jusqu’à l’absoute et l’inhumation, rites funéraires au cours desquels elle aurait exécuté nos trois Motets inspirés du De profundis. Cette intervention bornée serait-elle le révélateur de l’impréparation des 88 musiciens de la toute nouvelle Musique de la Chapelle ? Souvenons-nous qu’elle venait d’être officialisée vingt jours à peine avant notre service solennel. Ou bien, son absence résulte-t-elle d’options prises en matière d’animation de la cérémonie, corrigeant le caractère grandiose des décors par la sobriété de l’appareil musical ? Car, en l’occurrence, nous assistons moins à une messe de funérailles proprement dite (les corps exhumés étaient enterrés depuis près de vingt-deux ans) qu’à une messe votive accompagnée de la translation des cendres dans la nécropole royale.

Abandonnons maintenant le terrain des conjectures pour nous glisser au cœur de ce « spectacle baroque des funérailles » (Michel Vovelle).


Le char funéraire © BnF Gallica

Le char funèbre quitte le cimetière de la Madeleine vers huit heures du matin. « Au moment où les vénérables reliques sont sorties du cimetière, tous les spectateurs sont tombés spontanément à genoux », relate le Journal des débats du 22 janvier. Dès midi, de nombreuses personnalités se pressent devant la basilique Saint-Denis pour accueillir le char funèbre ralenti par « l’ordre auquel a dû être assujetti le cortège de la pompe, et le mauvais état des chemins », ironise La Quotidienne du 22 janvier. Aussi, le service solennel ne peut-il débuter qu’à 13 heures 15. Il durera cinq bonnes heures, dans une basilique non chauffée, par une froide journée de janvier.

Généralement, le rituel des funérailles débute par un Introït (Requiem aeternam) suivi d’un Kyrie. Dans la partition de Martini, le Requiem et le Kyrie forment un seul bloc. Jusqu’à la lecture de l’Epître, deux modalités de célébration semblent donc suivre un chemin parallèle : la Missa lecta (messe lue) durant laquelle le célébrant récite le texte de l’office à voix basse tandis que la Missa cantata (messe chantée) est dévolue au grand orchestre.

Dans la liturgie catholique, ce premier chant pour les morts baigne habituellement dans la douceur propice au sommeil. D’ailleurs, les mots-clés qui fixent la trame du texte diffusent un parfum d’espérance lorsqu’ils évoquent le repos (requiem) et la lumière (lux), pour l’éternité. Or, les premières mesures de l’introduction orchestrale du Requiem de Martini expriment, au contraire, une discordance singulière que nous retrouvons également dans la Grande messe des morts (1760) de François Joseph Gossec (1734-1829). Pour l’assemblée réunie à Saint-Denis, l’ouverture instrumentale de Martini pourrait donc se lire comme le récit cathartique du drame vécu par les deux défunts. En scandant ces premières notes par des accords lourds en forme de coups de tonnerre. L’impressionnant grondement du tam-tam (instrument de percussion qui ressemble à un gong) réveille le souvenir amer de la terreur révolutionnaire responsable de leur « martyre ». D’autant que cet instrument aurait été utilisé pour la première fois en Europe, en 1791, pendant la Marche funèbre que Gossec dédie à Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau (1749-1791). De même, par un phrasé en notes détachées, il égrène les longues années qui se sont écoulées avant de leur permettre de rejoindre une sépulture digne de leur lignée et de leur rang. Mortification et sanctification ont ici partie liée.

Au terme de ce court exorde expiatoire, les esprits appellent Dieu à les accueillir. Dans cette première prière, Martini articule son discours autour de trois types de représentations. L’invocation, d’abord, est construite en forme de répons. Sur le ton d’une prière d’intercession, exprimant une profonde émotion mêlée de compassion, Adriana Gonzalez requiert le repos éternel pour les deux défunts tandis que le chœur, à l’unisson, dépose la demande aux pieds de Dieu (dona eis, Domine/ Donnes-leur, Seigneur). Cette modalité de chant alterné matérialise, en quelque sorte, l’idée de la complémentarité de l’individuel soutenu par le collectif pour solliciter la miséricorde divine. Ensuite, par le traitement musical auquel il soumet le second et le dernier verset, Martini détache deux images. La première, particulièrement développée, laisse filtrer la lumière éternelle (lux perpetua). Dans un contrepoint dense, les lignes vocales se combinent pour former une aurore sonore resplendissante. La seconde évoque le destin de toute chair (omnis caro). Une nouvelle fois, le compositeur emploie la technique du chant alterné. Conduites par la soprano, les lignes mélodiques gravissent quelques demi-tons pour proclamer un acte de foi : la résurrection de la chair. Enfin, les versets intermédiaires font allégeance à Dieu. D’abord confiés à un double chœur alternant les aigus et les graves pour marquer le caractère universel des chants de louanges, les lignes vocales se rejoignent face à l’autel des sacrifices. Et c’est avec insistance que sont martelés, par l’orchestre, les mots appelant Dieu à exaucer leur prière (exaudi orationem meam).

Sans transition, la triple invocation du Kyrie adopte un style plus caractéristique de la musique sacrée de l’époque baroque. Jusqu’à un certain point, cependant. Certes, un fugato façonne la première invocation. A la manière mozartienne, le sujet est exposé par les basses, puis s’amplifie au fur et à mesure de l’entrée des autres pupitres. Dans un crescendo couronné en majesté, l’imploration glisse sur une ligne mélodique ascendante, finissant par emporter indistinctement le Christe et le second Kyrie. Ces fusions successives (le Kyrie comme composante du Requiem et la concentration des trois invocations) nous paraissent révéler l’état d’esprit d’un compositeur davantage attaché à la beauté symphonique qu’à la stricte observance de la discipline liturgique.

Dans la continuité, le Graduel renouvelle le chant du Requiem, toujours sur le mode responsorial pour le premier verset. Cette fois, l’aurore sonore se mue en crépuscule traversé par une succession de fulgurations vocales et instrumentales. En martelant les mots perpetua (éternel) et eis (eux) et en les entraînant dans des mouvements ascendants dramatiques, le chœur semble désigner à Dieu les deux défunts auxquels il doit maintenant ouvrir les portes célestes.

Alors que le célébrant récite le Trait pour demander l’absolution pour tous les défunts, l’orchestre se prépare à interpréter la Séquence. Ce terme désigne un poème chanté intégré à la liturgie des funérailles. En l’occurrence, il s’agit du Dies irae (Jour de colère). Car c’est bien la colère divine qui enflamme ce texte peignant les angoisses de l’homme au jour tant redouté du Jugement dernier. Sous l’Ancien Régime, cette Prose des morts était confiée au plain-chant ou exécutée de façon isolée, sous la forme d’un Grand motet, par exemple. Gossec serait le premier compositeur à l’avoir abondamment développée et fixée dans le programme d’une messe de Requiem. Il est suivi, dans le cas présent, par Martini.

Une sinfonia en forme de bourrasque se lève sous les voûtes de la nécropole dynastique. Deux sommations foudroyantes, hachées par un silence effrayant, annoncent l’imminence du Jugement. Ce jour-là (dies illa) sera un jour marqué par colère (dies irae). Car, dans un fougueux élan polychoral, les oracles de David et de la Sybille rappellent que le monde sera alors réduit en cendres (solvet saeclum in favilla). Une écriture homorythmique cadence maintenant l’allure martiale à laquelle se rapproche la terreur qui nous saisira le jour venu (tremor est futurus). Déjà, les trompettes convoquent les morts pour leur comparution prochaine. Dans un mouvement ascendant et crescendo, les premiers d’entre eux se lèvent et s’apprêtent à faire face à leur Juge (cum resurget creatura judicanti responsura). Parvenu au terme de ce premier récit aux accents apocalyptiques, Martini le recompose sans suivre désormais l’ordre des quatre paragraphes. Comme s’il voulait construire un récit parallèle mieux ajusté aux destins des « mânes des compositeurs célèbres » auxquels il dédie sa partition de 1811. Dans ce nouvel agencement des paragraphes, deux d’entre eux réapparaissent plus fréquemment. Le premier évoque la terreur ; le second annonce le jugement divin. En développant plus particulièrement ces deux extraits, Martini entendait-il rendre hommage à des musiciens d’Ancien Régime (n’oublions pas son statut de surintendant de la Musique de Louis XVI), victimes des passions révolutionnaires, auxquels il promet ici une réhabilitation posthume ?

Un arioso introspectif succède à cette première déflagration. Par la voix ardente et lumineuse d’Andreas Wolf, l’âme appréhende l’ouverture du « livre de vie » in quo totum continetur (où tous nos actes sont inscrits). Ce mouvement adopte, en quelque sorte, le schéma d’un double concerto de poche conduit par le cor et la voix de basse. Une combinaison clairement figurative si l’on se réfère à la symbolique des instruments et des voix. Car le cor est généralement associé à l’annonce d’événements liés au péché (« le livre de vie ») tandis que la basse prête sa voix à Jésus (la vox Christi) dans de nombreuses compositions baroques. La sonorité feutrée du cor adoucit le timbre affûté du chanteur comme pour signifier, sur le mode subliminal, que l’âme apeurée (quem patronum rogaturus/ quel protecteur pourrai-je implorer ?) pourra compter sur la médiation du Christ lorsqu’elle comparaîtra.

Voici déjà qu’apparaît le Juge. Ce mouvement tourbillonnant est chargé d’effets dramatiques. Trois personnages se font face : Rex tremendae majestatis (le Roi d’une majesté redoutable), Pie Jesu (bon Jésus) et l’âme assignée. Dans une impressionnante mise en scène sonore, l’âme, terrifiée à la vue du Juge, se tourne vers Jésus pour lui demander assistance. La tension narrative de cette scène est amplifiée par l’écriture musicale. D’abord, en adoptant le stile concitato (style agité) conçu par les Pères fondateurs de l’écriture musicale baroque, le compositeur fait tressaillir les cordes pour représenter le climat d’anxiété dans lequel baigne cet épisode. Ensuite, dans une charge vocale vertigineuse qui ne laisse aucun répit au chœur, l’âme confesse sa détresse. Enfin, les cuivres surlignent les deux points clés de son argumentaire. Le premier espère que les souffrances de la Passion n’auront pas été vaines (tantus labor non sit cassus) et qu’elles suffiront à la sauver. Le second rayonne dans le finale, après un long silence, dans un élan de foi ou d’auto-persuasion : Juste Judex (tu seras juste).

Dans l’attente de son jugement, l’âme soupirante (ingemisco) implore le pardon. Pour mettre en musique les cinq paragraphes suivants, Martini semble s’inspirer du schéma traditionnel d’une cantate religieuse telle que Johann Sebastian Bach (1685-1750) la pratiquait. Ainsi, les deux premiers airs sont attribués à des solistes, les deux suivants sont chantés en duo tandis qu’un chœur se saisit de la strophe finale. Il apporte cependant à ce moule initial des aménagements tels que la sensibilité romantique puisse s’épancher plus librement. Finalement, ce mouvement adopte les lignes d’un schéma à quatre dimensions. Pour commencer, Adriana Gonzalez chante en soliste la première strophe et Julien Behr la seconde. La reprise en duo de la seconde est construite sur le mode du dialogue tandis que les lignes mélodiques se rejoignent pour réinterpréter la première avant de se consumer dans un pressant supplicanti parce Deus (Seigneur, pardonne à qui t’implore). La construction du deuxième plan est plus complexe. Réglées par un contrepoint exigeant, les lignes mélodiques se superposent, se poursuivent, se rallient pour diverger à nouveau. Comme pour signifier le trouble de l’âme dans l’attente du verdict. Certes, dans une adjuration qui se conclut par un déchirant appel à la miséricorde, le chœur tente de préserver l’âme du flammis acribus (feu rongeur). Mais c’est au duo qu’il revient d’adresser l’ultime supplique. Il recompose une sixième strophe en agrégeant l’invocation du chœur à un verset antérieur. Pour que ne perenni cremer igni (j’évite le feu sans fin), voca me cum benedictis (appelle-moi parmi les bénis).

Dans une veine amalgamant le théâtre et le sacré, la courte sinfonia ouvre le dernier mouvement en en exposant d’emblée les principaux ressorts dramatiques. De lourds gémissements entrecoupés de sanglots aigus s’exhalent du pupitre des cordes avant que les vents n’esquissent une lueur d’espoir. Car c’est précisément l’espérance que Martini entend promouvoir en dépit du caractère souvent sombre du texte. Par la répétition, la variation des pulsations ou la diversité des textures vocales et instrumentales, il appelle délibérément l’attention sur certains versets. Toutes portent les couleurs de la confiance. Si le premier paragraphe décrit une âpre atmosphère de contrition, c’est vers l’espoir de bénéficier de clémence que se dirige la lumière sonore (gere curam mei finis/ prends soin de mes derniers moments). Plus éclatant encore, le traitement musical qu’applique le compositeur à l’évocation de la résurrection des pécheurs appelés à être jugés (judicandus homo reus) alors même que se prolonge lacrimosa dies illa (le jour de larmes). Déchaîné par la trompette et les vents, le chœur gravit une marche harmonique imposante par laquelle le pécheur échappe à la poussière pour pouvoir manifester son exaltation à l’approche de son jugement. Enfin, avec quelle tendresse l’écriture polychorale salue-t-elle Pie Jesu (bon Jésus) pour ensuite l’implorer dans un cri (Domine/ Seigneur) gonflé par l’assurance de sa protection ! Car c’est dans la lumière éclatante des cuivres et de l’Amen (Ainsi soit-il) brûlant qu’il accède à l’éternité.

« Après le Dies irae, qui a profondément impressionné cette imposante assemblée, Mgr de Boulogne, évêque de Troyes, est monté en chaire », écrira l’abbé Savornin un demi-siècle après la célébration (Notice historique sur les faits et particularités qui se rattachent à la Chapelle Expiatoire de Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette, 1865). Pour impressionnante qu’elle fût, cette Prose des morts aurait constitué de point d’orgue de l’intervention de la Musique de la Chapelle. Sur la suite de l’office, le Journal des débats du 22 janvier reste laconique : « Aussitôt que M. l’évêque de Troyes a été descendu de la chaire évangélique, le célébrant a continué et achevé le Saint sacrifice ». Quelle qu’ait pu être cette suite, suivons la messe de requiem comme Martini l’avait envisagée.

Son chant de l’Offertoire emprunte ses paroles à l’Offertorium grégorien. Mais sans en retenir l’intégralité du texte. Il efface notamment les références hagiographiques et bibliques (Saint Michel convoyant les âmes et la promesse d’Abraham). Plus curieusement, la répartition des rôles insinue une analogie avec les rituels antiques toujours en vogue durant la période post-révolutionnaire. En effet, il confère à la soprano la fonction sacrée d’interpeller la divinité (Domine Jesu Christe, rex gloriae) et de présider au don des prières et des offrandes (hostias et preces tibi, Domine, offerimus). Le chœur, en revanche, revêt les habits du pèlerin en quête de l’indulgence divine pour le défunt. Comparons cette distribution à celle qu’adopte Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) dans son célébrissime Requiem KV 626. Non seulement celui-ci développe magistralement le couplet louant l’Archange et Abraham. Mais encore, les fonctions dévolues par Martini à la soprano y sont remplies par le chœur. Il nous paraît donc crédible que ce mouvement n’ait pas été interprété, en l’état, sous les voûtes de la basilique Saint-Denis, a fortiori en présence d’un clergé foncièrement attaché au respect scrupuleux du texte du Missel. Sur le plan musical, Martini oppose deux affects. L’impétuosité et la fébrilité emportent la soliste (dans sa vigoureuse déclamation a cappella de l’Incipit) et l’ensemble instrumental (dans ses flots bouillonnants de triples croches) qui l’accompagne. Comme galvanisés par leur volonté de prémunir le défunt des poenis inferni (peines de l’enfer). En revanche, la vénération et la dévotion caractérisent les interventions du chœur. Sur l’admirable rythme binaire d’une lente procession qui s’avance legato, il amplifie la prière adressée à Dieu afin d’éviter à l’âme des défunts d’être projetés au fond de profundo lacu (du gouffre profond). Dans sa seconde intervention, c’est avec la même ferveur respectueuse qu’il supplie Dieu de les faire passer de la mort à la vie éternelle (de morte transire ad vitam). C’est donc, une nouvelle fois, sur une note positive célébrant la vie que s’achève le chant de l’Offertoire.

Sur le ton d’une berceuse, l’orchestre annonce le Sanctus. Tandis que le chœur caresse délicatement chacune des trois invocations, les cordes cisèlent des transitions sautillantes. L’âme du défunt se prépare à être accueillie dans cette atmosphère baignée de sons apaisants. L’hôte qui l’y attend est salué par quelques notes qui semblent échappées du Grand Dieu, sauve le Roi (1686) de Jean-Baptiste Lully (1632-1687). Avant qu’un chaleureux Hosanna n’exprime la consolation des âmes délivrées de pouvoir chanter sa gloire in excelsis (au plus haut des cieux). Une ligne mélodique chargée de sauts de notes emporte un Bénédictus virtuose et angélique dans lequel excelle Adriana Gonzalez. Jusqu’au Hosanna conclusif où les voix puis les instruments manifestent une allégresse que seule la nature de l’office parvient à contenir.

Le rituel de l’Elévation se déroule dans un climat plus tourmenté. Sillonnée par des dissonances et brisée par de accords lourds, l’entrée instrumentale commente un extrait du verset 3,4 du Livre de Baruch. Dans ce passage, le prophète se fait l’écho des souffrances des Israélites exilés à Babylone pour avoir péché contre leur Dieu. Effectivement chanté aux Laudes de l’Office des morts, le lien avec le mystère de l’Eucharistie paraît, en revanche, plus difficile à établir. Son inscription au programme de notre messe pourrait s’expliquer par un choix esthétique (recherche d’un contraste sonore avec le paisible Sanctus) mais sans fondement spirituel flagrant. Andreas Wolf y déploie toute la puissance et l’amplitude de son registre vocal. Dans cet air de soliste, l’écriture figurative de Martini retrouve des accents baroques : tension dramatique soutenue par l’orchestre, disparités rythmiques, richesse mélodique.

Le texte du mouvement suivant est également extrait du Livre de Baruch (3,5). A la même époque, ce verset faisait partie de la prose récitée le jour de la commémoration des trépassés, pendant la procession qui conduit les fidèles du cimetière à l’église pour y entendre la messe (Heures nouvelles selon la liturgie de Vienne, 1814). Nous peinons cependant à fixer la place de ce mouvement dans l’ordonnancement de la messe de Martini. Une alternative à l’Elévation précédente ? Un complément chanté lors de la présentation du calice ? En clôture du rituel de la double élévation du corps et du sang du Christ ? En tout état de cause, ce Noli meminisse (Daignez ne plus vous souvenir) caractérise musicalement les deux axes de lecture du texte biblique. D’abord, sur le mode d’un rondeau, le chœur renouvelle sa requête dans un refrain tandis que la soprano expose chacune des composantes de l’argument d’une voix posée et compatissante. De concert, ils appellent Dieu à détourner son regard de iniquitatum patrum nostrum (l’iniquité de nos pères). Ensuite, le chœur et la soliste se rejoignent pour le supplier de se souvenir plutôt de ce que manus tuae et nominis tuae (ta main et de ton Nom) ont fait en leur faveur. Ce mouvement, touchant de sobriété, brille comme un petit joyau d’une infinie délicatesse.

Empreint de contrition puis gonflé d’espérance, l’Agnus dei invoque la pitié du Christ, celui qui tollis peccata mundi (qui enlève les péchés du monde). Le chœur dirige ensuite la miséricorde divine vers les défunts pour lesquels il sollicite un requiem aeternam (repos éternel). Dans ce mouvement, il nous semble que Martini confie plus particulièrement à l’ensemble instrumental le soin d’exprimer les affects qui sous-tendent la prière du chœur. Avant même l’entrée des voix, le serpent sonne le rappel des âmes. Puis, par le truchement des archets, les âmes redoublent de plaintes lancinantes et acidulées tandis que le chœur sollicite leur pardon. A la seconde interpellation, l’orchestre éperonne le chœur par des scansions vigoureuses, comme pour le stimuler dans sa tentative de médiation. Enfin, par quelques stridences s’insinuant dans le chant du Requiem, le compositeur rappelle combien l’angoisse a partie liée avec la mort.

Parvenu au terme de sa messe des morts, c’est la vie que Martini entend célébrer. Et avec quel enthousiasme ! Dans son Amen solaire, il lui dédie une fugue grandiose. Celle-ci déploie la majesté du mouvement final de la Messe en si BWV 232 de Bach, la fougue et la passion en plus. Pupitre après pupitre, la machine symphonique rejoint le chœur pour s’achever en apothéose. Nous sommes littéralement saisis par l’exaltation des voix, éblouis par l’éclat des cuivres, frissonnants sous l’effet des coups de gong. Un finale de toute grandeur.

Au moment de conclure, nous nous rappelons l’appréciation que portaient les Tablettes de Polymnie sur l’écriture musicale de Martini : « ses chants semblent partir du cœur, et sont toujours en situation avec le caractère qu’indiquent les paroles ». De fait, héritier du baroque, il démontre ici sa capacité à traduire les textes en musique. Préfigurateur du romantisme, il parvient également à métamorphoser les émotions en sons. Homme de l’Ancien Régime, marqué par les expériences révolutionnaires et impériales, il appartient à cette génération de musiciens qui, dans le domaine de la musique sacrée, finissent par s’attacher à la recherche d’effets spectaculaires, sans doute au détriment de la profondeur spirituelle. En cela, ce Requiem nous semble davantage conçu pour la salle de concert. Même s’il fut repris, probablement dans son intégralité, lors de la messe anniversaire du 21 janvier 1816. Puis oublié, comme terrassé par le Requiem en do mineur de Luigi Cherubini (1760-1842) créé le 21 janvier 1817 en mémoire de Louis XVI.

Assurément, l’initiative d’Hervé Niquet, l’engagement total de son Concert Spirituel et le support du label Château de Versailles Spectacles méritent toute notre gratitude. Car ce partenariat nous invite à découvrir l’un de ces compositeurs de « l’entre-deux » : plus entièrement baroque mais pas encore absolument romantique. Une initiative encore singulière qui, dans le livret, aurait mérité un texte de présentation plus développé.

Finalement, en dépit de quelques effets de réverbération (au départ) et une diction quelquefois sacrifiée à la recherche d’effets dans des parties solistes, cette découverte nous a séduit pour trois raisons. D’abord, sur le plan historique, en associant une œuvre musicale à un événement, la musique devient un acteur social à part entière. De ce fait, nous inscrivons ce Requiem de Martini dans le prolongement des polémiques suscitées par Le Sueur, en 1786, lorsqu’il entendait imposer le grand orchestre et les chanteurs d’opéra dans les enceintes des églises, contre l’avis des autorités religieuses (Observations sur la musique à grand orchestre - voir notre compte-rendu du 25 avril 2020). Ensuite, nous sommes subjugués par les instrumentistes qui déploient ici une maîtrise parfaite des nuances et de la cohésion d’ensemble. Impressionnants dans les tutti, nous applaudissons l’élégance de leurs phrasés et la précision de leur jeu collectif. Enfin, la partie vocale est tenue avec maestria. Le chœur, particulièrement sollicité, se distingue autant par sa ferveur communicative que l’admirable fluidité de son chant. L’interprétation pénétrante des solistes mérite également d’être soulignée. Ils s’expriment avec habileté, sincérité et en parfaite connaissance du sens de leur texte. Autant de raisons pour que CD prenne désormais place sur nos rayonnages.



Publié le 18 janv. 2021 par Michel Boesch