Sonates, vol. 6 - Scarlatti

Sonates, vol. 6 - Scarlatti ©Jean-Baptiste Millot
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Une interprétation inspirée

Quel enregistrement magnifique ! Le souffle de la pensée est là, le discours est limpide. Le projet de l’harmonie et du rythme est engagé, révélant la puissance technique de l’interprète. On y ressent la circulation intime entre l’œuvre de Domenico Scarlatti et le rendu de Pierre Hantaï, qui poursuit dans un sixième volume récemment paru son exploration du répertoire des sonates du compositeur napolitain.

Le mouvement que le sens crée est perceptible dès le début avec la sonate en ré majeur K119. Le discours vertical (harmonique), l’attaque franche, n’est ici que l’histoire du lien entre l’enfoncement de la touche (ou de plusieurs touches simultanément) avec la fonction harmonique qui régit la composition. Le rapport entre la partition et l’interprète est créateur de l‘espace, permettant le souffle. Pierre Hantaï est vif dans l’attaque, telle une gifle qui permet l’éclatement de l’amalgame parfois confus entre harmonie et rythme. A la seconde piste (sonate en sol mineur K179) la mélodie (polyphonie) apparaît, la musique s’horizontalise, le chant surgit d’une pulsation profonde qui touche à la structure.

L’œuvre retentit comme un chant. Dans ce sens elle offre des rapprochements possibles avec la musique contemporaine ; non pas celle qui donne à entendre une musique dont l’abstrait qui la compose est spéculatif, mais bien celle qui donne accès à la nouveauté d’un point de vue partageable. Le lien qu’entretiennent Scarlatti et Pierre Hantaï permet un accès nouveau à ces morceaux du début du XVIIIème siècle. Dans les sonates en do majeur K384 et K501 le dessin s’affirme. L’interprète donne à la perception le sens de la ligne, l’antécédent et le conséquent s’opposent et se complètent. Il est merveilleux de constater que le « thème et variation » est l’écueil auquel le compositeur veut échapper. Peut-être un indice qui justifie l’emploi de la forme sonate, par conséquent la répétition est une faiblesse pour en transmettre le sens. Le souffle inventif de Pierre Hantai nous permet d’échapper à tout manque de respiration. Dans la sonate en do majeur K170, le claveciniste fait le choix de la couleur et de la contemplation à travers la magnifique sonorité de son instrument.

Cette musique est un outil pour que Pierre Hantaï nous dise musicalement : «  il s’agit d’une traduction ». Alors même que la pratique les distingue, le sens et l’émotion sont ici fusionnés. La virtuosité dans les sonates K179 et K477 révèle la retenue et l’expérience de ce claveciniste : jamais en dehors du champ du sens.

Une sagesse se dégage et mène l’auditeur vers une liberté telle que l’écoute se prolonge dans un silence intérieur.

Ce disque mystérieux, au bon sens du terme, propose à l’auditeur des accroches multiples. Un polymorphe mélodique disparaît pour renaître en une couleur ; ininterrompu par le souffle, l’ensemble constitue une transformation, comme dans les sonates K179 et K18.

Prenons la distance nécessaire pour rappeler que la forme sonate et le timbre de l’instrument apparaissent comme les marqueurs d’une époque précise, raison pour laquelle échapper à la classification traditionnelle est un projet avorté. Une pointe d’esprit romantique fait effraction dans la sonate en fa majeur K6 : il est typique que l’esprit de cet époque reflète un rapport confus entre système et idée.

Il ne s’agit pas d’un procès esthétique mais de rappeler que le souffle de cette œuvre autorise les compositeurs de notre époque à inventer des formes nouvelles, qui ne s’affranchiraient pas des notions constitutives de la musique : Harmonie, Mélodie, Rythme.

Sans être un spécialiste de la facture de clavecin, il est évident que cet instrument est magnifiquement réglé. Le discours est capté par un enregistrement haut de gamme, la faible réverbération participe à la création du son, un vortex savoureux accueille cette pensée de « l’espace mouvement ».

Dans cet enregistrement Mirare se hisse à la hauteur de cette interprétation en accueillant Pierre Hantaï comme un Maître. Espérons prochainement entendre ce merveilleux claveciniste en concert.



Publié le 04 févr. 2020 par Thomas Malarbet