Sonates et partitas pour flûte - Bach

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L’art du traverso au temps de Bach

La flûte baroque a connu son apogée à l’époque de Johann Sebastian Bach qui élabora et composa les sonates pour cet instrument de 1717 à 1747. Au début du XVIIIe siècle, la flûte française fit naître de grands maîtres tels que Jacques-Martin Hotteterre et Michel de La Barre ; la flûte allemande, autrement dit la flûte traversière, vit s’épanouir Georg Philipp Telemann, Johann Mattheson et bien d’autres musiciens. Bach connut différents types de flûtes et rencontra lui-même des flûtistes comme Johann Joachim Quantz et Frédéric le Grand pour les plus connus. Lorsque Bach composa des pièces pour cet instrument, ce fut de manière ponctuelle, sans qu’il procédât selon l’usage, à savoir les livrer par groupe de six ou de douze.

Dans cet enregistrement, nous entendons deux œuvres écrites spécifiquement pour flûte (Sonate pour traverso et basse continue en mi mineur BWV 1034, et Sonate en trio pour flûte et clavecin obligé en sol mineur BWV 1030b), une pièce dont on ne connaît pas exactement l’intention initiale (Partita solo en la mineur BWV 1013 qui a pu être écrite pour clavecin, luth ou instrument à cordes) et deux transcriptions (Sonate pour traverso et clavecin obligé en sol majeur BWV 1027 et Allemande de la Suite française n° 6 BWV 817). Parmi elles, la BWV 1027 est un bon exemple de remaniement qui était fort courant à l’époque : la Sonate en trio pour deux flûtes et basse continue en sol majeur BWV 1039 existait dans une version pour deux violons et basse continue, mais Bach travailla vraisemblablement encore pour en faire une version pour viole de gambe et clavecin obligé (BWV 1027), proposée ici avec flûte et clavecin. Wim Brabants et le flûtiste Frank Theuns, auteurs du livret, notent que « cette pièce était certainement dédiée à un virtuose comme Carl Friedrich Abel et destinée à être jouée à l’un des concerts du Café Zimmermann quelque part entre 1729 et 1739 » (livret du CD, page 10 – concernant le Café Zimmermann on pourra également se reporter à la chronique de notre collègue).

Maintenant, il faudra arrêter le choix de l’instrument, compte tenu d’un nombre important de flûtes en différentes factures qui existaient à l’époque, ce qui entraînerait des rendus tout aussi différents dans l’interprétation, ainsi que des flûtistes que Bach aurait rencontré. Après avoir passé à l’examen de plusieurs types de flûtes du début du XVIIIe siècle, Frank Theuns a choisi la copie d’un instrument de Pierre-Gabriel Buffardin (Theuns dirige également un ensemble qui porte le nom de ce grand musicien français). Bach aurait rencontré ce « flûtiste inégalé et compositeur accompli, également un facteur […] renommé »(Ibid., page 9) à Dresde en 1717, l’année où il commença à écrire des partitions pour flûte. L’original, qui peut être daté de 1725 environ — et que l’on voit en photo dans le livret — est conservé dans une collection privée en Allemagne.

Ce choix de l’instrument nous semble déterminant dans l’interprétation enregistrée. La brillance est là, bien sûr, mais elle n’est jamais l’objet premier de l’interprète, si bien qu’on peut tout à fait ne pas apercevoir à quel point ces sonates et partitas sont exigeantes de virtuosité. La sonorité douce, que l’on peut même qualifier de sobre par rapport à l’instrument métallique moderne, serait en partie due à son diapason, fixé à 398 Hz. La clarté du phrasé, le son merveilleusement porté dans un long souffle, la justesse de notes en parfait diapason avec le clavecin (ce qui n’est pas toujours le cas dans de nombreux concerts et enregistrements !), la juste dose de légèreté dans les ornements… Tout cela participe au charme de ce CD réalisé avec beaucoup de soin. Quand il joue en solo pour la Partita BWV1013 et pour l’Allemande de la Suite française, on peut même visionner tout un art de son souffle et de ses doigtés uniquement à travers le son. Au clavecin à une sonorité plus luisante (Bruce Kennedy, Château d’Oex 1985 d’après Michael Mietke 1702/1704 de la collection François Ryelandt), Bertrand Cuiller se montre ni trop discret ni trop présent, mais en partenaire idéal de Theuns. Ainsi, ils instaure ensemble un véritable dialogue heureux et complice.

On peut plonger encore et encore dans ce disque qui nous apaise l’esprit, comme nous en avons terriblement besoin en ces temps incertains.



Publié le 09 avr. 2021 par Victoria Okada