Sonatas for two violins - Guillemain, Leclair, Guignon, Mangean

Sonatas for two violins - Guillemain, Leclair, Guignon, Mangean ©
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La parfaite harmonie des violons égaux

Il y a presque trente ans déjà, John Holloway et Chiara Banchini se confrontaient avec bonheur aux deux recueils de Sonates à deux violons sans basse (opus 3 et 12) de Jean-Marie Leclair (1697-1764), ouvrant une porte lumineuse sur un répertoire trop négligé malgré ses qualités intrinsèques indéniables : maîtrise d’une écriture idiomatique et souvent savante, charme mélodique, variété des affects. Écrites pour des aristocrates habiles mais sans doute plus encore pour des professionnels, étant donné leur niveau d’exigence, ces pièces constituent un ambitieux corpus, la notice passionnante de présent enregistrement (Johannes Pramsohler est aussi chercheur) révèle l’existence d’au moins vingt recueils conservés à la Bibliothèque Nationale, à Paris. Puisant à cette source, il a su extraire un programme splendide où se côtoient les plus grandes signatures du temps pour le violon.

Louis-Gabriel Guillemain (1705-1770) commence enfin à sortir de l’ombre et c’est tant mieux, tant son envergure musicale est grande. L’ensemble Nevermind (lire la chronique Conversations) avait révélé deux de ses sonates en quatuor (Livres I et II) quand quelques années auparavant l’ensemble Aliquando lui consacrait tout un album somptueux animé par les talents réunis de Stéphanie Paulet, Maude Gratton, Lucile Boulanger, François Lazarevitch, Claire Gratton et Bérengère Maillard. La sonate introductive ici séduit d’emblée : chaleur et lumière italienne s’y offrent avec une générosité de chaque instant, que ce soit dans l’Allegro initial aux accents vivaldiens, au chant du Largo qui suit ou dans l’entêtant mouvement final au rondeau si prenant. L’aurez-vous entendu une fois, il ne vous quittera pas, charmant par sa joie teintée de mélancolie. Pouvait-on rêver meilleure entrée en matière ?

Leclair fait son entrée avec sa Sixième sonate de l’Opus 12, en si bémol majeur. Il y fait montre ses qualités éblouissantes de contrapuntiste (notamment dans le deuxième mouvement). L’Andante déploie ses volutes avec ses gammes fusées qui se déroulent comme des rubans (peut-être un lointain souvenir de sa jeunesse dans une famille de passementiers). Le dernier volet s’avère, quant à lui, dansant : l’univers chorégraphique étant lui aussi familier au compositeur qui débuta sa carrière comme danseur. La comparaison avec les illustres devanciers cités plus haut ne se fait pas à l’avantage de ces derniers. Selon moi, leur approche restait assez objective. Johannes Pramsohler et Roldán Bernabé s’engagent davantage, insufflant une bien plus grande sensualité à ces pages et nous plongeant véritablement dans le XVIIIe siècle tel que nous pouvons nous l’imaginer.

La personnalité excentrique de Jean-Pierre Guignon, né Giovanni Pietro Ghignone (1702-1770) fait un peu penser à son contemporain Francesco-Maria Veracini (1690-1768), dont il partage l’ego surdimensionné. Auteur d’une production originale de par son caractère, Guignon livre des pièces et des airs « amplifiés » et « doublés » de différents auteurs, sachant autant subjuguer que toucher. Le Tendrement (une gavotte en sol majeur) émeut par sa grâce naïve et ses effets pastoraux de musette. La Furstemberg ou les Folies d’Espagne parviennent à encore nous surprendre par l’ingéniosité des variations auxquelles elles donnent naissance. Mais ce sont assurément Les Sauvages qui constituent le sommet de cette veine amplificatrice. Réécrite tout en sachant rester fidèle à son esprit, la pièce éponyme de Rameau (1683-1764) engendre ici une virtuosité se révélant de la manière la plus éblouissante qui soit. L’osmose entre nos deux violonistes est si parfaite et si intense qu’il est impossible de savoir qui joue quoi, tant le degré de précision atteint est total. Julien Chauvin avait enregistré en re-recording ces Sauvages dans le bel album À Madame (lire notre compte-rendu), ce qui constituait une gageure, d’ailleurs très réussie. Mais force est de constater qu’ici, le résultat est encore plus extraordinaire.

C’est sur une touche plus intimiste et pudique que s’achève cet album absolument magnifique. Parole est donnée à Étienne Mangean (c 1710- c 1756), énigmatique personnage dont on ne sait presque rien si ce n’est sa participation au Concert Spirituel relatée par le Mercure de France. Techniquement, ses œuvres requièrent la même habileté que celles de son confrère Leclair. Toutefois, il sait « cacher l’art par l’art ». En effet, sa Sonate en sol mineur tirée de l’Opus 3 fait preuve d’une extrême délicatesse. Les gazouillis de son mouvement initial où les deux instrumentistes s’emparent des mêmes fragments mélodiques cèdent ensuite la place à un adagio affectuoso plein de gravité où les formules de notes répétées figurent un accompagnement d’orchestre miniaturisé sur lequel s’épanouit un chant d’une émotion tendre et retenue. La Chiacona finale mêle goûts français et italiens. Malgré quelques passages en doubles cordes et quelques traits, celle-ci conserve une gravité que son passage en majeur éclaire quelques instants avant que le mineur ne vienne conclure l’ensemble avec sérénité.

Johannes Pramsohler et Roldán Bernabé signent ici un album à connaître absolument, renouvelant complètement notre perception de ce répertoire à deux violons sans basse. La beauté des œuvres et la splendeur du son dont nos deux violonistes savent les parer sauront vous envoûter tout comme elles ont ensoleillé quasi quotidiennement mon été.



Publié le 02 sept. 2019 par Stefan Wandriesse