Suites Françaises - Bach

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Elégant cours d’interprétation par deux clavecinistes, l’un d’hier et l’autre d’aujourd’hui

Composées à des fins pédagogiques en 1720, particulièrement pour son fils Wilhem Friedrich, les Suites Françaises de Johann Sebastian Bach sont d’élégantes œuvres respectant rigoureusement une même structure de danse. Elles offrent aux jeunes étudiants une opportunité de grande qualité à s’exercer dans le pur style français, notamment à la manière de François Couperin (celui dit le Grand). On les connaît surtout grâce au travail du musicologue Alfred Dürr, qui a dirigé la réédition des partitions par la très sérieuse et prestigieuse Neue Bach-Ausbage, Bärenreiter. Depuis, pourtant, les recherches et la passion de quelques-uns permettent un nouveau regard sur ces petits chef-d’œuvres. Le claveciniste Pierre Gallon est l’un d’eux. C’est ainsi qu’il se plonge dans les manuscrits et les copies de ces suites pour retrouver les partitions les plus proches de celles originales. Outre un retravail de la notation des ornements et des caractères de certaines danses, Pierre Gallon a à cœur de réhabiliter les deux dernières suites, écartées dans l’édition Bärenreiter, et retrouvant ainsi l’équilibre des huit suites, telles les Suites Anglaises.

Pour mettre justement en lumière le brillant et raffiné style français, tout en proposant une riche palette de timbres, le musicien a choisi un instrument inspiré par un superbe clavecin flamand de la fin du XVIIe siècle, œuvre de l’anversois Joseph Joannes Couchet, aujourd’hui conservée au Smithsonian Institution de Washington. Cette reconstitution de Julien Bailly ne se veut pas imitation mais fantasmée : outre les jeux de principal, d’unisson, d’octave, et de luth en cuir, le facteur y ajoute un jeu de nasal. C’est ainsi que l’auditeur est très vite frappé par la diversité des couleurs que l’on lui offre. Celle légèrement et agréablement nasillarde du Prélude de François Couperin à la Suite n°1 en Ré mineur BWV 812 introduit avec efficience l’Allemande, qui s’illumine naturellement par la sonorité transparente de l’instrument. Par la résonance de l’église Saint-Agnès du béguinage de Saint-Trond subtilement équilibrée par la prise de son d’Aline Blondiau, la sécheresse du registre aigu est agréablement adoucie. Le timbre proche d’une guitare utilisé pour la Sarabande de la Suite n°2 en Do mineur BWV 813 peut surprendre autant qu’elle parvient à être touchante par son aspect intimiste. Le caractère de l’Air qui suit immédiatement contraste notamment par son changement de timbre, ajoutant au mouvement allègre une élégance tout française. Le son du clavecin se fait même fine dentelle, fragile et délicate, dans la Sarabande de la Suite n°3 BWV 814. Autre timbre retenant tout particulièrement l’attention de l’auditeur, celui légèrement étouffé, comme en retrait, de la Sarabande de la Suite n°6 en Mi mineur BWV 817, et tout à fait charmant.

Bien évidemment, si l’instrument – aussi beau soit-il en lui-même – peut sonner ainsi, c’est parce que son musicien possède l’écoute et le touché qui permettent de lui laisser dévoiler ses richesses, comme pour les œuvres de J.S. Bach. On y retrouve la finesse et la sensibilité délicate, d’abord dans les phrasés, éloquents et fluides. Le discours musical est constamment transparent, d’apparence simple. Si la régularité parfaite des rythmes rappelle le côté pédagogique, voire studieux, de ces suites, elle n’empêche en rien d’apprécier la musicalité du compositeur et celle de l’interprète, toutes deux absolument vivantes. Pierre Gallon n’hésite pas, à la suite de ses recherches et son travail d’interprétation, à proposer des caractères un peu différents de ceux que l’on peut avoir d’habitude, privilégiant l’intimité à l’extravagance, l’intention à la démonstration. Entre autres, la Sarabande de la Suite n°5 en Sol majeur BWV 816 est plus Adagio que Allegretto qu’indique l’édition Bärenreiter, lui apportant un aspect proche du méditatif. Mais au-delà de sa capacité à faire entendre un touché tantôt noble, presque dramatique dans l’Ouverture de François Dieupart à la Suite n°3, ou sautillant à la limite de l’espiègle dans la Polonaise de la Suite n°6 en Mi majeur BWV 817, c’est dans l’art de l’ornementation que le claveciniste français sait encore mieux séduire. Sachant la proposer à propos, pour ne jamais prendre le dessus sur les mélodies et l’instrument même, son ornementation est résolument personnelle, spontanée tout en restant parfaitement justifiée par l’expressivité, quelques soient les indications proposées auparavant par A. Dürr. Agile, elle apporte densité et mouvement au discours, sans qu’il ne perde en clarté.

Pierre Gallon tenait à réhabiliter les deux dernières suites, écartées dans les éditions qui font références. Si la Gigue de W.F. Bach complète agréablement et avec entrain la Suite n°8 en Mib majeur BWV 819 inachevée ou simplement lacunaire, nous pourrions toutefois comprendre le jugement du musicologue et expert de l’œuvre de J.S. Bach, Gilles Cantagrel – bien que Pierre Gallon le pense un peu hâtif : le discours a beau garder en finesse, ces deux suites n’ont sans doute pas la richesse d’inventivité que les précédentes, ni même la certaine ferveur que l’on peut y déceler. Les découvrir sous les doigts du musicien ne manque néanmoins pas d’un intérêt certain, complétant ainsi un travail d’une grande rigueur comme de richesses musicales, instructives autant que véritablement charmantes.



Publié le 12 nov. 2022 par Emmanuel Deroeux