32 Foot - The Organ of Bach - Bl!ndman

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Une redécouverte sonore de l'oeuvre pour orgue de Bach

Pour son 25ème anniversaire, le quatuor de saxophones Bl!ndman et son directeur artistique Eric Sleichim s’offrent un enregistrement très soigné d’œuvres pour orgue du génial Jean-Sébastien Bach.

Depuis sa création en 1988, l’ensemble flamand Bl!ndman s’engage dans la recherche de nouvelles sonorités du saxophone, instrument moderne du XIXe siècle, afin de donner une nouvelle lumière sur la musique ancienne. L’œuvre de Jean-Sébastien Bach (1685-1750) semble un champ de recherche idéal, particulièrement ses œuvres pour orgue : la problématique des timbres y est omniprésente par l’utilisation des différents jeux et leur savant mélange. Le Cantor ne prescrit que très rarement l’utilisation de registres spécifiques ; il mentionne toutefois le registre pédalier de 32 pieds – plus grave de quatre octaves – dans sa transcription pour orgue du Concerto en ré mineur d’Antonio Vivaldi (1678-1741). Pour jouer ces notes extrêmes, Eric Sleichim se joint au quatuor avec son tubax – un tout nouvel instrument comparable au saxophone contrebasse.

C’est le Pedal-exercitium in G minor BWV 598 qui ouvre l’enregistrement. Ce solo de pédalier, destiné d’abord à son exercice, est ici interprété par l’ensemble qui mélange leurs différents timbres pour créer un son homogène et continu, malgré la tessiture limitée de leurs instruments. Il est certain que ceux qui ont dans l’oreille les sonorités du « Roi des instruments » seront d’abord surpris par le timbre des saxophones. Cependant, les respirations – obligatoires pour ces instruments à vents – mettent en évidence une certaine musicalité, un sens du phrasé assurément réfléchi car loin d’être évident sur la partition où les doubles défilent sans presque discontinuer. On remarque tout de suite le soin des attaques et le respect de l’exigence technique que requiert cet exercice du pédalier, sans en perdre l’aspect musical.

La Passacaglia in C minor BWV 582 est un véritable sommet de l’art de la variation : la simple mélodie de basse exposée en tout début sert ensuite de fondation pour tout le reste de l’œuvre. L’interprétation de Bl!ndman montre encore une attention extrêmement soignée au discours, qui est toujours très clair, aux rythmes, d’une extrême précision, et au son, d’une propreté parfaite. Les timbres légèrement différents de chaque saxophone permettent d’entendre distinctement chaque voix, sans que cela ne porte préjudice à l’homogénéité de l’ensemble. En gagnant ainsi en clarté, on perd sans doute, en contrepartie, l’éventuel plaisir de se perdre dans ce magnifique contrepoint. Cette distinction des voix est toutefois très appréciable dans les beaux dialogues entre deux voix et particulièrement la partie fuguée. On entend dans cette interprétation le fruit d’un travail sérieux et intelligent. Pourtant, les timbres des instruments ne changeant évidemment pas au cours de l’œuvre ne produisent pas les mêmes sensations d’écoute d’une interprétation à l’orgue. Néanmoins, jamais l’oreille ne se lasse.

Après un agréable Trio in D minor BWV 583 où dialoguent un duo sur une basse continue bien chantante, place à la Toccata in C Major BWV 564. La première partie de la toccata fait entendre une mélodie virtuose à une seule voix, les saxophones se la partageant avec finesse selon la tessiture de leur instrument. Le timbre change alors un peu en cours de la mélodie mais le très bon travail d’ensemble permet de l’apprécier justement. La voix du pédalier, interprétée par le saxophone baryton, est doublée à l’octave inférieure par le tubax qui, par le mariage parfait des registres, lui donne une bonne assise. L’entrée du tutti est très lumineuse et, par l’élan très baroque de leur phrasé, on croirait presque entendre un ensemble d’instruments à anches d’époque. L’écriture quasi orchestrale de cette première partie semble bien correspondre à l’effectif de ce quintette de saxophones, qui fait alors entendre de jolies lignes mélodiques. L’Adagio offre au saxophone soprano un beau solo. Bien qu’excellent musicien, Koen Maas semble très (trop) vigilant au fait d’être avec l’accompagnement, plus que l’inverse ; une prise de risque, en osant donner davantage un aspect d’improvisation, aurait été assurément très appréciable. L’accompagnement des autres instrumentistes, d’une certaine gravité, fait entendre de belles intentions de nuance, notamment dans le piano. L’interprétation de la fugue est toujours précise, tant dans l’attaque que dans la fin des notes – qualité très importante dans le touché de l’orgue. Malgré la réverbération du lieu de l’enregistrement, jamais le discours ne sonne brouillon.

Dans le Prelude & Fugue in G minor BWV 535, on apprécie les changements d’instruments grâce à la qualité de la prise de son qui produit alors un voyage spatiale de certaines phrases mélodiques ; une sensation d’écoute originale. Il est toutefois un peu dommage de ne pas apprécier les effets d’échos de l’Adagio, fruits du changement de claviers à l’orgue, techniquement impossible (ou très difficile) avec l’ensemble de saxophones. Le thème à l’aspect espiègle de la fugue sonne bien au saxophone ; l’interprétation lui donnant même un air candide. Le Prelude in C minor BWV 546 montre une très belle et intelligente maîtrise du souffle, mais souffre un peu de la monochromie des timbres.

Cet arrangement du Concerto in D minor d’après Vivaldi est sans aucun doute l’interprétation la plus réussie du CD, où toutes les qualités citées précédemment se retrouvent et prennent un réel sens : précision des attaques et de l’arrêt des notes, attention des dialogues, exigence rythmique… Que ce soit dans l’Allegro ou dans le Largo e spiccato, le discours musical ne souffre d’aucune traîne, qui est pourtant un risque facile. Le solo du saxophone soprano est très beau dans le Largo, bien qu’on apprécierait très certainement, encore une fois, une plus grande audace dans les contrastes de nuances. On souhaiterait aussi plus de libertés dans le Finale virtuose, où l’on sent pourtant le plaisir des musiciens, plaisir qu’ils pourraient sans doute communiquer davantage.

Après une i>Fugue in G minor BWV 578, où le sujet est toujours bien distinct, Bl!ndman nous quitte avec le court choral pour orgue Ach wie nichtig BWV 644, dont les paroles chantent l’éphémère existence humaine. Avec cette fin toute en douceur, où se mêlent délicatement les voix sur lesquelles plane le chant du choral, les musiciens semblent nous quitter comme à regret, ayant sans doute tant d’autres magnifiques œuvres de Bach à nous faire redécouvrir.

Dans cet album, l’audace est certes déjà dans l’arrangement pour ensemble d’instruments modernes ; elle ne réside toutefois pas dans l’interprétation, qui est extrêmement soignée, toujours très propre et précise. Cet enregistrement est sans aucun doute une très belle occasion de redécouvrir ces œuvres pour orgue de J.S. Bach, bousculant notre oreille dans ces habitudes sonores. Encore une preuve que l’interprétation de l’œuvre de Bach est une source d’inspiration multiple, tant elle est géniale.



Publié le 24 déc. 2017 par Emmanuel Deroeux