Complete Partitas, BWV 825-830 - Johann Sebastian Bach

Complete Partitas, BWV 825-830 - Johann Sebastian Bach ©Marco Borggreve
Afficher les détails

Chef d’orchestre et claveciniste anglais, Richard Egarr a déjà de nombreux enregistrements d’œuvres pour clavecin seul à son actif, chez Harmonia Mundi, dont les Variations Goldberg (2006), le Clavier bien tempéré (2007) et les Suites anglaises (2013) et françaises (2016) de J.S. Bach. Dans sa lancée, il lui manquait assurément les Partitas. La liste est désormais complétée avec ce coffret de deux CD sorti en février 2017.


C’est alors que Jean Sébastien Bach (1685-1750) est encore à la Cour du prince Leopold d’Anhalt-Coethen, qu’il commence à écrire spécifiquement pour clavier. Après le célèbre Clavier bien tempéré (1er volume en 1722), les Suites françaises (1722) et les Suites anglaises (1724-1725), il se met à l’ouvrage pour composer un troisième recueil : les Suites allemandes, dites Partitas (1726-1731). Celles-ci furent publiées, d’abord séparément puis en un recueil en 1731. Etant la première édition publique d’une œuvre de J.S. Bach, ce recueil est considéré comme son Opus 1. Au nombre de six, comme toutes les séries d’œuvres du compositeur allemand, ces suites sont destinées « à la récréation de l’esprit des amateurs » : ce sont donc d’abord des exercices pour clavier.

Très fréquentes dans l’ère du Baroque (XVIIe s. et première moitié du XVIIIe s.), la suite est une suite de danses, dont l’ordonnance est plus ou moins normalisée : une Allemande, danse « grave et pleine de mesure » (Dictionnaire de Furetière) ; une Courante, danse à trois temps au tempo vif et précédée d’une levée ; une Sarabande, à trois temps, lente, « forte douce et noble » ; un Menuet, à trois temps, modéré, gracieux et noble ; une Gigue rapide. Cette structure n’étant qu’un cadre, il est toutefois possible d’incorporer d’autres danses ou d’en remplacer certaines par d’autres. Par exemple, il est très fréquent de débuter la suite par une pièce libre, telle une Toccata, un Prélude ou une Ouverture.

Les Partitas reflètent du génie de Bach, Richar Egarr n’hésitant pas, dans sa préface, à partager qu’il considère le talent du Cantor comme « super-humains », laissant entrevoir « le vrai potentiel du cerveau humain, le plus complexe et le plus mystérieux de nos organes ». En effet, il est certain que Bach sait manier la science de la musique et l’art des mathématiques comme peu en sont capables. Dans ces six suites, aucune danse ni aucune note n’est le fruit du hasard : tout est pensé, calculé. Les chiffres y sont omniprésents. D’abord, les tonalités se suivent dans un ordre bien précis : sib majeur, do mineur (+ 2nde), la mineur (-3ce), ré majeur (+4te), sol majeur (-5te) et enfin mi mineur (+6te). Chaque suite est constituée de sept danses, or la Partita n°2 n’en a que six, afin que le nombre total de danses du recueil soit de 41 (selon la position des lettres dans l’alphabet : JSBACH = 9+18+2+1+3+8 = 41). Partout, les chiffres 2, 1, 3, 8 et 14 apparaissent (BACH = 2+1+3+8 = 14) dans l’agencement de mesures, de notes… Dieu, symbolisé par le chiffre 3, et la Perfection, le 7, ne sont évidemment pas absents de ce calcul géant. Par le grand génie de Bach, ces chiffres se font musique. Loin d’être purement intellectuelle, la musique est ressentie, expressive, galante parfois ou amusante. Désolé de ne pouvoir enregistrer toutes les Partitas sur un seul CD, Richard Egarr a joué aussi au musicien-mathématicien en inversant les Partitas 3 et 4 ; ainsi la numérologie est respectée : (1+2+4) + (3+5+6) = 7+14 = 21 (3x7).

Ces Partitas, Richard Egarr les a donc étudiées avec sérieux et passion. Il ne les considère aucunement comme de simples exercices destinés aux amateurs – dans le sens péjoratif du terme – mais comme de véritables chefs-d’œuvre. Et cela s’entend, cela se ressent.

Tout d’abord, on est marqué par le son de l’instrument et la qualité de la prise de son. Le clavecin est un instrument moderne, fabriqué par l’amsterdamois Joel Katzman en 1991, d’après un Ruckers de 1638. Loin du son métallique que l’on entend trop souvent au clavecin, les aigus sont à la fois ronds et lumineux, les médiums agréables et clairs et, surtout, les graves suaves, sonnant merveilleusement bien. L’instrument est alors toujours brillant, malgré (ou grâce) le diapason à 399 Hz et selon le tempérament du XVIIIe s. de 6 commas par ton (au lieu de 9 aujourd’hui). La prise de son permet de capter toutes les qualités de l’instrument, tout en gardant un rien du son de la mécanique – ce qui fait le charme du clavecin, quand il reste à ce point discret. La précision est telle que l’on peut entendre, certes rarement, non pas la mécanique des touches mais les doigts mêmes sur les touches.

Il existe une multitude d’enregistrements des Partitas. Rien qu’au clavecin, les versions ne manquent pas. Richard Egarr veut alors proposer ici sa propre réaction face à cette musique qu’il aime et qu’il connaît, tout en partageant ainsi son travail de décodification du message fantastique de Bach.

Le claveciniste nous propose effectivement une version très personnelle, très libre dans ses choix tout en respectant toujours et très précisément la partition. Richard Egarr prouve ainsi sa grande maitrise de la musique baroque en exerçant sa propre liberté dans un cadre très défini. C’est ainsi, par exemple, que les rythmes au sein d’un temps ne sont pas toujours mathématiquement exacts, créant alors du mouvement dans un temps qui reste toujours très régulier. Certains rythmes brefs sonnent ainsi comme des ornements improvisées, leur intention expressive étant comprise et non imposée. Ce sont mêmes des intentions comparable au Jazz – style auquel on rapproche souvent Bach – que l’on entend par exemple dès le Prélude de la Partita n°1, avec une décomposition quasi ternaire.

Le choix des tempi est fait avec soin et intelligence, jamais dans l’excès, permettant alors d’avancer dans les Sarabandes tout en en gardant les phrasés chantants et les intentions paisibles. Dans celle de la Partita n°6, les harmonies profitent alors d’un temps comme suspendu pour résonner et répandre ces jeux de couleurs sans tomber dans un romantisme exagéré et anachronique. Dans le très plaisant Caprice qui clôt la Partita n°2, le tempo permet une virtuosité qui ne frôle aucunement la démonstration gratuite.

Dans cette danse justement, ce n’est pas un instrument seul qui joue mais un véritable trio de musique de chambre. Cette distinction de toutes les voix est patente tout le long de chaque Partitas, à un point tout simplement spectaculaire. Chacune des voix possède sa propre intention et son propre caractère, sans couvrir ou être couverte par une autre. Dans la Gigue de la Partita n°1, le supérius rebondissant s’amuse avec la basse legato. Dans la Courante de la Partita n°6, la basse sonne tel un violoncelliste accompagnant avec talent une main droite agile : à l’écoute de cette dernière, il sait l’attendre tout en assumant la régularité.

Comme remarqué plus tôt, Richard Egarr respecte toutes les indications de la partition en leur donnant un sens. Les reprises sont donc toutes respectées et enrichies par une ornementation subtile, personnelle et bienvenue, particulièrement dans la Partita n°5, malgré son symbolisme de la transformation de la joie de la venue du Christ sur terre à sa souffrance sur la croix.

Il faut enfin saluer la grande maitrise du touché de Richard Egarr, et ainsi de la résonnance de son instrument, car, contrairement au clavier du piano, la qualité du touché n’est pas dans l’enfoncement de la touche, mais dans son relevé. Ici, chaque note est pensée à partir d’où elle vient et, surtout, d’où elle va. Toute la difficulté du clavecin – et sa beauté – réside en cette subtilité, que le claveciniste britannique connaît parfaitement et que l’on peut apprécier grâce à la qualité de la prise de son. C’est aussi grâce à ce touché délicat que les cadences de plusieurs danses sont comme des révérences. Il est cependant dommage que le relevé soit trop souvent un peu brusque.

Richard Egarr signe une version de grande qualité de ces Partitas de J.S. Bach. Respectueux de l’œuvre, il en comprend les subtilités et se les approprie intelligemment pour en faire une interprétation unique, toute personnelle et très riche. L’historiographe Johann Forkel écrit dans sa biographie de J.S. Bach que le recueil des Partitas « fit en son temps beaucoup de bruit dans le monde musical : on n’avait encore jamais vu ni entendu d’aussi excellentes compositions pour clavier. » Osons-nous nous en inspirer et proposer une nouvelle version au sujet des Partitas par Richard Egarr : on n’en avait jamais vu ni entendu d’aussi excellentes interprétations pour clavier.



Publié le 05 août 2017 par Emmanuel Derœux