The Seasons - Prisma

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L'année s'en va mais tout en fuyant revient...

Cet aphorisme de Benedetto Pamphili, auteur du livret d'Il trionfo del tempo e del disinganno, oratorio mis en musique par Haendel, me semble bien traduire le sentiment éprouvé à l'audition de The Seasons par l'ensemble Prisma.

Prisma est un groupe de quatre musiciens basés en Allemagne : Elisabeth Champollion (flûte à bec), Franciska Anna Hajdu (violon baroque), Dàvid Budai (basse de viole) et Alon Sariel (luth). Le répertoire du groupe est dédié à la musique si expressive et colorée des compositeurs italiens de la première moitié du 17ème siècle. Les morceaux interprétés sont répartis dans quatre groupes. A chaque groupe correspond une des quatre saisons et chacune est identifiée à un vent. Le printemps est représenté par le vent d'ouest (Zéphyr), l'été par le vent du sud (Notos), l'automne par le vent d'est (Euros), l'hiver par le vent du nord (Boreas). L'attribution de chaque morceau à une saison est liée au caractère de la musique et à l'ambiance qu'elle diffuse. Toutes les saisons débutent par une improvisation de caractère emblématique, confiée chaque fois à un soliste différent. La place des saisons et des vents dans le monde baroque a été discutée par Jean-François Lattarico dans la notice (Les Saisons des affects, Histoires de vents) qu'il a rédigée pour cet enregistrement.

Zéphyr

Après une courte improvisation de la flûte à bec évoquant le vent léger venu de l'ouest, on entend une sonate en trio en ré mineur, E tanto tempo, hormai de Francesco Turini (1594-1656). L'appellation, sonata a tre ou sonate en trio est utilisée pour désigner un genre musical auxquels se rattachent plusieurs morceaux du présent recueil. Ce genre connaîtra une immense fortune à la fin du siècle et au début du 18ème siècle. La sonate en trio dans sa forme la plus courante est constituée de deux dessus et du continuo (Christopher Hogwood, The trio sonata, BBC Music Guides, p. 13-15). La sonate en trio de Turini consiste en une série de variations très inventives sur un thème exposé en canon par la flûte et le violon.

Maritati insieme la gallina, e'l cucco fanno un bel concerto de Marco Uccellini (1603-1680), donne l'occasion au musicien de marier les caquètements de la poule (le violon) avec le chant plus poétique du coucou (la flûte) pour donner un ravissant concert.

Avec l'exubérante chaconne qui termine Zéphyr, on est presqu'en été et aussi en terrain bien connu. Sur un ostinato joué par le luth déjà exploité par de nombreux baroques italiens et notamment Giovanni Bertali (1605-1669), des variations, d'abord calmes puis de plus en plus agitées, se succèdent. Les modulations hardies, les altérations inattendues donnent beaucoup de piquant à cette chaconne. Chaque instrument a droit à un solo ce qui permet de juger de la virtuosité de chacun et notamment de la superbe sonorité du luth d'Alon Sariel. Le printemps s'achève en beauté sur une magnifique cadence finale.

Notos

Le prélude pour violon solo aux sonorités étranges composé par Franciska Anna Hajdu nous introduit dans l'air immobile et pesant de l'été à peine remué par le vent brûlant du sud et donne la parole aux milliers d'insectes qui stridulent et font craquer leurs élytres. On pense à certaines musiques de Bela Bartók.

La luciminia contenta, sonate pour violon et continuo de Uccellini nous maintient dans cette ambiance hypnotique mais les diminutions accélèrent le mouvements et le violon entame une ronde effrénée bientôt ralentie par la chape de plomb qui s'abat sur les hommes et les bêtes.

De Giovanni Battista Fontana (1589-1630), nous entendons la Sonata settima, une sonate en trio qui déroule ses soli de violon et de flûte dans une belle polyphonie à trois voix. Ici encore le jeu des diminutions apporte la variété qui confère à ces courts épisodes vifs et lents alternés un caractère très séduisant.

Le chant du canari (Canario) de David Budai, une chaconne où flûte et violon rivalisent de virtuosité, apporte une conclusion chaleureuse, un adieu à l'été, un ami qui s'en va.

Euros

Un prélude pour luth solo ouvre l'automne. La mélancolie domine dans cette improvisation ainsi que dans le morceau suivant La Cattarina de Tarquinio Merula (1595-1665), dialogue délicieux entre la flûte soprano et le violon, basé sur le procédé de l'écho, avec des changements de rythme se poursuivant au gré des variations.

Morceau de résistance du programme, la Sonata duodecima ou Sonata concertate in stilo moderno (1621) de Dario Castello (1590-1658) possède plusieurs mouvements rapides et lents alternés, et se distingue par l'usage d'un contrepoint assez serré, basé sur des imitations entre flûte, violon, viole de gambe et même luth, on y trouve aussi de belles improvisation, notamment par la viole de gambe scandées par les cordes graves du luth.

Suit une passacaille d'Andrea Falconieri (1585-1656) pour deux dessus et continuo. Sur un ostinato de quatre mesures jouées par le luth, les trois autres instruments brodent des variations ménageant une intense progression dramatique.

On est ensuite tout étonné d'entendre une improvisation du luth sur Les feuilles mortes. La basse de viole a des airs de contrebasse et le luthiste, en bon guitariste de jazz, s'amuse à formuler des riffs. On se prend au jeu mais tout s'arrête, trop vite peut-être !

La fameuse Tarentella napoletana d'Athanasius Kircher (1602-1680), père jésuite et encyclopédiste de l'époque baroque, termine l'automne en Italie du sud. Après cette danse d'abord calme, puis de plus en plus agitée et finalement convulsive, la nature peut entrer en hibernation.

Boreas

La basse de viole de David Budai s'inspire de La retirata de Biagio Marini (1594-1663) dans une improvisation où toutes les possibilités de l'instrument sont exploitées.

La suave melodia d'Andrea Falconieri est confiée à la basse de viole qui, simplement accompagnée par le luth, déroule un thrène, triste mélopée à l'image des frimas qui poudrent les arbres.

Dans la magnifique Sonata a due canti de Francesco Turini, flûte, violon et viole se partagent des phrases endeuillées puis des diminutions qui évoquent des guirlandes funèbres.

Des variations d'après Uccellini et Marini sur le thème bien connu de La Mantovana suggèrent enfin que le vent du nord est peut-être en train de s'épuiser et que la relève est proche.

Le cycle s'achève, l'année s'en va mais tout en fuyant revient, l'homme disparaît mais ne revient jamais..., un autre cycle va commencer.

Les quatre instrumentistes nous livrent une prestation de grande qualité. Au luth, la contribution d'Alon Sariel est essentielle, c'est lui qui assure une bonne partie du continuo avec une intonation, une précision, une lisibilité parfaites. Son rôle est surtout harmonique et rythmique mais il nous régale aussi de mélodies finement et élégamment articulées. Dàvid Budai, à la basse de viole, remplit aussi sa part du continuo mais son rôle mélodique est également important dans certaines variations, dans La suava melodia et dans la Sonata duodecima dans son ensemble ; il peut alors faire valoir la sonorité chaleureuse et expressive de son merveilleux instrument. Elisabeth Champollion est une virtuose de la flûte à bec qu'elle manipule avec une vivacité et une agilité extraordinaires, elle excelle dans les ornements les plus subtils, son art s'exprime par les sonorités les plus suaves, les ambiances les plus bucoliques. Le jeu de Franciska Anna Hajdu me fascine par la beauté du timbre de son violon, l'élégance de son coup d'archet, la nervosité de ses attaques et le sentiment qu'elle imprime à la musique qu'elle interprète. Elle partage avec Elisabeth Champollion une science de l'ornementation merveilleusement appropriée à cette musique prébaroque. Dans les cadences, ses glissandos, ses mordants, ses quart de tons, notamment dans La luciminia contenta, sont très savoureux.

La force de ce groupe ne réside non seulement dans la qualité des individualités mais encore dans l'homogénéité, la plénitude et la couleur du son d'ensemble. Les instrumentistes survolant leur sujet, la musique peut s'écouler avec le naturel et la fraîcheur qui l'ont vu naître, donnant l'impression d'être conçue au moment de son exécution.

Je les écoute en boucle depuis quelques jours, et chaque audition me comble d'un bonheur teinté de mélancolie.



Publié le 24 nov. 2018 par Pierre Benvéniste