Les Troqueurs - La Double Coquette - Antoine Dauvergne

Les Troqueurs - La Double Coquette - Antoine Dauvergne ©Motion emotion d'Annette Messager. Photo Marc Domage
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Ah ! Amour quand tu nous tiens…

L’Ensemble Amarillis livre ici une fort belle exploration dans le monde sinueux de l’Amour vu par Antoine Dauvergne (1713 - 1797),compositeur et maître de musique de la Chambre du Roi, directeur du Concert spirituel jusqu’en 1773, directeur de l’Académie royale et enfin surintendant de la Musique à Versailles. Redécouvert par le public lors des «Grandes Journées Dauvergne» organisées par le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV), Dauvergne endosse la cape de passeur entre le style ramélien et gluckien.

Il crée donc à l’Opéra-comique en 1753, un opéra-bouffe Les Troqueurs, sur un sujet de Jean de la Fontaine et un livret de Vadé. Avec ces récitatifs chantés, cet opéra comique semble s’inspirer de La Serva Padrona de Pergolèse, opera bouffa par excellence.
Le vrai sujet des Troqueurs est l’échange par les fiancés de leurs promises respectives. Lubin engagé envers Margot préfère Fanchon, qui est elle-même promise à Lucas. Aussi quand ce dernier se plaint de Fanchon, Lubin propose l’échange qui convient à son compère. Cette histoire simple, aux allures bouffonnes, se colore d’une certaine portée sociale. Il pourrait y avoir méprise sur le rôle attribué aux femmes, pouvant apparaître comme étant une marchandise. Non Mesdames, rassurez-vous ! Le ton se veut simplement rustique aux accents populaires.

Les Troqueurs sonnent le glas de la pratique du pasticcio, de la comédie parlée mêlée de vaudevilles.
Dauvergne, fortement inspiré par l’Ecole de Mannheim, dote sa partition d’originalités telles l’écriture en trémolos, des syncopes, de subtils bariolages, des effets doubles-cordes, de jeux d’écho.


Héloïse Gaillard et Violaine Cochard, à la tête de leur ensemble, apportent un soin tout particulier aux couleurs instrumentales (vents et cordes) placé au service de cette écriture vivement contrastée. Même si la Critique peut penser le contraire, les affects sont bien marqués. L’ouverture, à l’instrumentarium «amaréllien», en est la parfaite démonstration. La ponctuation offerte par les cors donne le rythme. Lors de l’andante, les violons bénéficient de cet élan déroulant avec entrain la partition. La mélodie est expressive. Les colorations typiques de sixtes augmentées, les appogiatures et marches chromatiques apportent une fraîcheur à ce collectif instrumental.


Que dire de la distribution vocale ? Le souffle lyrique se fait sentir. Le sens du théâtre, même s’il s’agit d’un enregistrement, est palpable.Isabelle Poulenard attribue à Fanchon l’air espiègle, qui se retrouvera dans son personnage de Florise dans La Double Coquette. Nous ne pouvons qu’admettre son talent scénique et vocal ! Elle ravit, charme l’auditeur. Sa consœur, la soprano Jaël Azzaretti, campe ici une pétillante Margot. Son timbre frais apporte légèreté au personnage notamment dans son ariette (plage 14). Elle développe un joli bouquet vocal de trilles. Les deux compères, Lubin et Lucas interprétés respectivement par Alain Buet et Benoît Arnould, confirment la « solidité » vocale de la distribution. Ces deux barytons possèdent une projection sans faille.


Tout au long de ce premier enregistrement, les airs sont marqués par l’entrain et la légèreté. L’accompagnement au clavecin et au violoncelle, et bien évidemment de tout l’Ensemble, apporte un brin de fraîcheur bien utile lorsque l’image est absente ! Chacun dispose de sa propre personnalité, qualité bien nécessaire à la réussite d’un tel projet.


Le second enregistrement présent dans ce coffret-album porte sur un autre opéra La Double Coquette, inspirée de La Coquette trompée du compositeur français Antoine Dauvergne et d’un des plus grands librettistes et dramaturges du XVIIIe siècle, Charles Simon Favart. La Coquette trompée, créée à Fontainebleau le 13 novembre 1753, se trouve être en l’occurrence une parodie des Sybarites de Jean-Philippe Rameau. Dauvergne propose une partition plus savante au raffinement musical assuré, beaucoup plus que celle des Troqueurs signée quelques mois auparavant de ses propres mains. Après l’avoir donnée en octobre 2011 à l’Opéra Royal de Versailles, l’Ensemble Amarillis s’est saisi de cet artifice, de cette mascarade. En collaboration avec le compositeur Gérard Pesson et le poète Pierre Alferi, nos contemporains, La Double Coquette voit le jour.


Ayant fait l’objet d’une représentation en janvier dernier à l’Arsenal, et, dont vous trouverez le compte-rendu sur ce site, nous ne reviendrons pas sur l’analyse en profondeur de cette parodie. La virtuosité et l’élégance des jeux instrumentaux, vocaux et scéniques demeurent. L’introspectif mais tout autant délicieux trouble ressenti lors de la représentation est tout aussi présent lors de l’écoute du disque.
Aucune différence ne se fait sentir. Tout le talent réside là ! L’Ensemble Amarillis a sa place dans la cour des Grands. Cela est sans conteste possible. Adressons-leur un grand merci ! L’Amour nous guette à chaque moment.
Ah, Amour quand tu nous tiens…



Publié le 20 févr. 2016 par Jean-Stéphane SOURD DURAND