Tůma - Scholl

Tůma - Scholl ©
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Motets pour la reine Elisabeth-Christine

« On connaît bien la musique tchèque du 19ème siècle, [...] pour le 18ème siècle, on est un peu dans le flou ! ». Cette citation extraite d’une émission de Radio France (à écouter ici) s’applique parfaitement à František Tůma. Moins connu du grand public que ses contemporains Joseph Haydn ou encore Wolfgang Amadeus Mozart, ces derniers se sont cependant inspirés de son œuvre.

De son nom complet František Ignac Antonin Tůma est l’aîné d'une famille de quatre enfants. Il naît le 2 octobre 1704 à Kostelec nad Orlici, dans la région de Hradec Kralove au nord-est de l'actuelle Tchéquie. Son père, maître de chant et organiste, lui prodigue ses premiers enseignements de musique. On connaît peu de chose sur le parcours de ce compositeur. Pour comprendre l'environnement dans lequel a vécu Tůma, nous devons prendre appui sur les observations, un peu plus tardives, du voyageur musicien britannique, Charles Burney. Dans le royaume de Bohême, cet amoureux de la musique note que dans chaque ville et village, l'apprentissage de la lecture et de l'écriture était associé à celui de la musique. On peut donc faire l'hypothèse que cet environnement a bénéficié à Tůma.

En 1720, il entre au service du comte Franz Ferdinand Kinsky, le plus important chancelier de Bohême. On trouve des traces de la présence de Tůma à Prague ainsi qu'à Vienne.Une période féconde pour lui, tant en termes de moyens que de conditions de vie, ou pour sa vie professionnelle. Il perfectionne son art et sa maîtrise du français et de l'italien. Avec le soutien du comte, il concourt, en 1734, au poste de maître de chapelle de la cathédrale Saint-Guy de Prague. Il n'obtiendra pas le poste, la lettre de recommandation était arrivée trop tard. Ce n'est qu'en 1741 qui occupera ce prestigieux poste dans la chapelle de l'impératrice Elisabeth-Christine (veuve de Charles VI) jusqu'à la mort de cette dernière en 1750. À partir de 1768, il se consacre à la composition de musique sacrée au monastère des Prémontrés de Geras. Il s’éteint le 30 janvier 1774.


Portrait de František Tůma

L’œuvre ici présentée se concentre sur les productions jouées à la chapelle de l'impératrice Elisabeth-Christine. Avec un ensemble composé, à l'époque de Tůma, de quinze instruments et cinq chanteurs, celui-ci pouvait composer et jouer des œuvres exigeantes. Au point culminant de sa carrière, Tůma compose de nombreux motets pour alto solo. Ses motets s'inspirent librement de l'Ancien Testament comme des Psaumes.

Dans son écrin bleu roi et or, le livret d'une petite trentaine de pages est traduit en anglais, tchèque et français par Viastimil Tichy. Ce court album de 48 minutes est composé de 19 pistes, reprenant cinq œuvres de Tůma. En son milieu une très belle sinfonia instrumentale prend place entre les parties chantées. À mon sens, cet album est une réussite pour trois raisons. Avant tout, il permet de découvrir la musique de Tůma. Un style qui s'inscrit dans le baroque tardif et qui ouvre sur un classicisme naissant. Cette production est également un récital dans lequel Andréas Scholl montre toute la beauté et l'étendue de sa tessiture. Il est de ces artistes qui se reconnaissent dès leurs premières notes ! Enfin il est aussi une chance, pour qui aime découvrir des horizons peu communs, de parcourir, le temps d'un album, une partie de l'histoire de la musique tchèque. Si cet album s'inscrit dans le champ de la musique sacrée, sa force réside aussi dans cette capacité à en dépasser les frontières. Cela n'est pas uniquement dû aux motets qui occupent la majeure partie de l'enregistrement. Le style du Czech Ensemble Baroque et la voix d'Andreas Scholl y sont pour beaucoup. Peu habitué à cette acception de la musique baroque, plusieurs pièces m'ont fait oublier que j'écoutais de la musique dite sacrée. Une magnifique occasion pour moi d'ouvrir encore un peu plus ma curiosité et mes connaissances dans ce domaine si riche !

L'album débute avec un Audite insulae magnifiquement amorcé par le chœur. Le clavier de positif et la vivacité des violons, durant toute l'ouverture, sont très entraînants. On pourrait regretter qu'il ne se prolonge pas davantage. La plasticité dont fait preuve A. Scholl dans son articulation des syllabes est des plus agréable à l'oreille. On l'entend particulièrement dans le dernier mot du premier aria, Non fuit vasti spatium per orbis, lorsqu'il décompose en deux temps le terme aquis avec un long « a » sur lequel vient ricocher le « quis ». Cela donne encore plus de mouvement à cet air.

Album de musique sacrée, cet enregistrement a l'avantage de s'écouter facilement. L'attention peut aisément se porter sur les instruments à la ligne claire, ainsi que sur les voix. Celle d'A. Scholl, dans le second aria, apporte une douceur bienvenue à l'ensemble. Sa voix de contre-ténor est apaisante. Elle est tel un nuage confortable dans lequel on prend place. Son timbre, accompagné par les instruments à cordes, est aussi tendre que cet air. Il en va de même pour l'aria le plus long, Quam magnificata. Les instruments, de même que la voix d' A. Scholl, à l'intonation juste, nous embarquent dans cette aventure musicale. Le tout résonne merveilleusement bien, magnifié par les réverbérations de la Kostel scatého Michala où eut lieu l'enregistrement.

La dernière partie de l'album, le Dixit Dominus, offre une place généreuse aux trompettes. Elles ouvrent et accompagnent le duo des solistes Ondrej Holub (ténor) et Jiri Miroslav Prochazka (basse). Ouvert par le clavier de positif accompagné du chœur et de légères attaques des violons, Romana Kruzikova (soprano) nous offre une magnifique profondeur de note. Il aurait été agréable de l'entendre davantage. La production se termine sur un puissant Gloria, introduit par le chœur, et qui s’achève sur de sonores notes de trompettes. Cet album, à l'image de la pochette, est rayonnant et fait honneur à Tůma et à ses œuvres.



Publié le 01 févr. 2024 par Dimitri Morel