E Il Violoncello Suonò - Salzenstein

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Une belle démonstration en musique

C’est en Italie au XVIe siècle que le violoncelle fait ses premières apparitions, son histoire remontant à la création de la famille des violons. Tout au long des XVIe et XVIIe siècles, on retrouve pas moins d’une vingtaine d'appellations différentes pour dénommer cet instrument doté de trois à six cordes: basso da brazzo, violoncino, basso da viola, violetta, violone et enfin violonzello, avec un z. L'appellation « violoncelle » n'apparaîtra qu’autour de 1660. C’est le luthier de Crémone Andrea Amati qui construisit le premier violoncelle de l’histoire aux environs de 1552 et en fixa sa forme actuelle qui deviendra définitive dans l’atelier de son petit fils Niccolo Amati. Musicalement parlant, c’est essentiellement à Naples et à Venise au début du XVIIIe siècle que le violoncelle trouvera les meilleures conditions pour se développer et remplacer progressivement la viole de gambe dont il est en quelque sorte cousin. Les deux familles d'instruments cohabiteront cependant durant toute la période baroque. A titre d’exemple, l’orchestre de l’Orfeo de Claudio Monteverdi en 1607 comptait quinze violes et deux violons ; les Vingt-quatre Violons du Roi comptaient vingt quatre violons de cinq tailles différentes, allant du violon que l’on connaît à la basse de violon accordée un ton plus bas que le violoncelle actuel. Et progressivement, l’instrument sortira de son rôle d’accompagnateur et sera reconnu au XVIIIe siècle comme instrument soliste à part entière : Antonio Vivaldi, qui n’était pas violoncelliste, dédira au violoncelle pas moins de vingt sept concertos et onze sonates, et un peu plus tard, Luigi Boccherini, violoncelliste virtuose, écrira de son côté douze concertos pour cet instrument.

Le nom d’Hanna Salzenstein n’est pas inconnus des amateurs de musique baroque. Élève de Christophe Coin, elle collabore en effet régulièrement avec plusieurs ensembles baroques réputés. Elle a par ailleurs participé à des projets discographiques remarqués par la critique, consacrés à Dandrieu et Corelli avec Le Consort, ensemble dont elle est membre. C’est donc tout naturellement aux côtés de ses complices de longue date du Consort que sont Justin Taylor, claveciniste, et Théotime Langlois de Swarte, violoniste, qu’Hanna Salzenstein décide de sortir de l’ombre et de son rôle d’accompagnatrice émérite afin de présenter premier enregistrement personnel en tant que soliste. Se joignent également à elle pour l’occasion le luthiste Thibaut Roussel, le violoncelliste Alberic Boullenois et la percussionniste attitrée des Arts Florissants, Marie-Ange Petit.

E Il Violoncello Suonò (Et le violoncelle sonna), tel est le titre de ce projet original mûri de longue date visant à illustrer en musique l’émergence du violoncelle en tant qu’instrument soliste, depuis le milieu du XVIIe jusqu’aux aux premières décennies du XVIIIe siècle alors que l’instrument était jusqu’ici cantonné au continuo. Le programme est constitué de pièces soigneusement choisies parmi celles qui lui tiennent particulièrement à cœur. Il est entièrement dédié à la musique italienne, ce qui s’entend parfaitement compte tenu de l’histoire de l’instrument, et réunit des compositeurs de renom tels Antonio Vivaldi ou Giuseppe Maria Dall ‘Abaco et des auteurs aux noms beaucoup plus confidentiels voire inconnus du grand public tels Giulio Taglietti ,Giulio de Ruvo ou Gasparo Garavaglia.

Une belle entrée en matière
La toute première pièce de l’enregistrement constitue une fort belle entrée en matière et donne le ton de ce qui va suivre. Une Aria da suonare XIX col violoncello et spinetta o violone composée par Giulio Taglietti (à écouter ici) est ici proposée en première mondiale. D’emblée, le son ample du violoncelle d’Hanna Salzenstein, d’une grande suavité, dévoile une pièce des plus expressive, presque mélancolique, dont la ligne mélodique est soutenue avec délicatesse et subtilité par l’archiluth de Thibaut Roussel. On peut légitimement s’étonner qu’une pièce d’une telle splendeur qui exploite à merveille les capacités expressives du violoncelle n’ait jamais été enregistrée auparavant. L’écoute de cette Aria constitue une vraie révélation et le temps est comme suspendu durant les deux minutes et demie que dure cette authentique merveille. De son auteur, on sait très peu de choses. Issu de l’aristocratie, violoniste de formation, il est né vers 1660 à Brescia en Lombardie et enseigna le violon au collège des Jésuites de sa ville natale. Entre 1695 et 1715, il publie treize recueils d’airs, de sonates et de concertos, dont une partie a été perdue. Parmi ceux-ci, un recueil de trente Arie da suonare écrite pour violoncelle et la basse continue dont est tirée l’Aria choisie pour ce programme. Giulio Taglietti est l’un des précurseurs a avoir confié un rôle de soliste au violoncelle avant le grand Antonio Vivaldi. Pour l’anecdote, Giulio Taglietti a laissé son nom dans l’histoire de la musique pour avoir introduit, dans le domaine de la musique instrumentale, la forme du da capo, qui n’était auparavant en usage à l'origine que dans les œuvres pour voix.

Vient à la suite une Chaconne dans laquelle Marie-Ange Petit instille un jeu de percussion des plus raffiné. Dans les premières mesures, l’archiluth est rejoint par un délicat pizzicato du violoncelle, puis l’on distingue ensuite en retrait le clavecin de Justin Taylor. Cette chaconne offre de beaux développements, et un bref et surprenant passage en mode mineur particulièrement réussi d’un point de vue de son écriture. On dispose de très peu d’éléments sur la vie de Giulio de Ruvo si ce n’est qu’il est probablement originaire des Pouilles, son patronyme désignant un village proche de Bari. Il a laissé des œuvres pour violoncelle sans doute écrites aux alentours de 1700, qui comptent parmi les premières dédiées au violoncelle solo. A travers les dédicaces de ses œuvres, on peut juste en déduire qu’il exerça à Naples. Ses manuscrits sont conservées à la bibliothèque du Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan.

Il Prete Rosso
Mais le principal artisan de l’émancipation du violoncelle en tant que soliste n’est autre que le vénitien Antonio Vivaldi. Prêtre de l’église catholique, incomparable virtuose du violon selon ses contemporains, compositeur génial et prolifique, le Prete Rosso (surnom dû à sa chevelure rousse) demeure l’un des musiciens les plus importants de l’époque baroque. Sa renommée était immense à travers toute l’Europe, Jean-Sébastien Bach l’admirait et a transcrit pour l’orgue pas moins de six concertos du compositeur vénitien. Peu de temps après son ordination, Vivaldi est engagé en tant que professeur de violon à l’Ospedale della Pietà, une institution de charité chargé d’éduquer les enfants trouvés, les enfants illégitimes et les orphelins qui entretenait parallèlement un grand orchestre et un chœur dont la renommée dépassait l’Italie. Cet ensemble ne comprenait que des pensionnaires féminines, ce qui alimentait quelque peu à l’époque certaines rumeurs. Vivaldi était chargé de leur enseigner la musique et de leur fournir régulièrement de nouvelles compositions. Et si son nom reste avant tout attaché à la musique écrite pour le violon, son instrument de prédilection, Vivaldi reste l'un des tous premiers compositeurs à promouvoir le violoncelle en tant qu’instrument soliste en lui confiant un rôle de premier plan, grâce notamment aux musiciens (et surtout aux musiciennes) virtuoses à sa disposition à l’Ospedale della Pietà.


Caricature de Vivaldi

On retrouvera Vivaldi trois fois dans ce programme savamment concocté par Hanna Salzenstein. Un splendide Largo méditatif, d’une grande intensité dramatique, extrait de la Sonate RV 46 qui n’a pas pu être présentée dans son intégralité pour des raisons techniques de durée totale de l’enregistrement, et deux autres sonates au complet. La première, répertoriée RV 40 au catalogue des œuvres de Vivaldi, compte parmi les meilleures compositions pour violoncelle de cette période. En tonalité de mi mineur, elle se compose de quatre mouvements: un Largo introductif dont les respirations sont restituées avec talent par le violoncelle d’Hanna Salzenstein dont on appréciera une fois de plus les capacités expressives et le son plein de suavité et de douceur. A l’Allegro très enlevé, au style concertant, succède un second Largo des plus élégants. La sonate s’achève sur un court Allegro final à la fois vif et brillant.

Mais c’est sans aucun doute la Sonate RV 820 qui revêt le plus grand intérêt de par son instrumentation inhabituelle. Il s’agit en effet d’une sonate en trio dans laquelle le second violon habituel a laissé place au violoncelle. Les deux instruments font jeu égal et dialoguent avec bonheur, soutenus par une basse continue composée d’un second violoncelle, de l’archiluth et cette fois d’un orgue positif. Cette sonate, qui témoigne d’une grande maturité d’écriture, est un authentique chef-d’œuvre mis en valeur avec talent par le duo Théotime Langlois de Swarte et Hanna Salzenstein. Le jeu des deux musiciens à la fois empreint de virtuosité et de sensualité révèle à l’évidence une recherche des plus réussies sur le beau son. On notera en particulier un second mouvement Adagio d’une grande intensité contemplative, dans lequel violon et violoncelle font montre de leur complémentarité, soutenus avec élégance par l’archiluth de Thibaut Roussel. Nul doute que cette sonate se devait de figurer en bonne place dans cet enregistrement car elle constitue l’exemple par excellence de la pertinence de la démarche de Vivaldi. Dans sa composition, il a en effet permis ici au violoncelle de faire jeu égal avec le violon, les qualités propres à chacun des instruments étant savamment exploitées par un Vivaldi au faîte de son inspiration. Il convient d’ajouter que sa manière d’écrire pour le violoncelle se révèle très différente de l’écriture pour violon. En effet, il privilégie dans les mouvements lents les registres aigu et médium qui mettent en valeur le timbre violoncelle, et dans les mouvements rapides, la virtuosité n’est en rien comparable à celle atteinte dans les pages écrites pour le violon.

Une écriture audacieuse
Difficile d’évoquer le violoncelle en tant qu’instrument soliste sans présenter au minimum une pièce de Giuseppe Dall’Abaco, un auteur essentiellement connu pour ses fameux Caprices. Fils du compositeur Evariste D'All Abaco, Joseph (Giuseppe) Marie Clément Ferdinand Dall'Abaco naît en 1710 à Bruxelles. Issu d’une famille italienne originaire de Vérone, il avait, du fait du droit du sol, la nationalité des anciens Pays-Bas. Il apprend le violoncelle auprès de son père et entre à l’âge de dix neuf ans dans l’orchestre du Prince Électeur de Bonn avant d’en obtenir la direction en 1738. En 1740, il s’installe à Londres, qu’il quittera en 1753 après de graves démêlés avec la police anglaise pour des raisons qui demeurent obscures. Il s'installe alors en 1753 dans le berceau de sa famille à Vérone, où ses talents de virtuose lui valent en 1757 d'être admis au Teatro Filarmonico. L’œuvre qu’il laisse à la postérité est peu conséquente, une bonne partie ayant très probablement été perdue. D’une grande qualité d’écriture, elle est exclusivement dédiée au violoncelle. Une seule et unique copie manuscrite de ces onze Caprices, réalisée bien plus tard au XIXe siècle, subsiste et a permis à ces pièces magnifiques de parvenir jusqu’à nos jours. Quelques erreurs ont été corrigées après analyse, et il est plus que vraisemblable qu’un douzième Caprice ait été définitivement perdu. Ces onze Caprices occupent une position de premier plan dans la musique écrite pour le violoncelle solo, au même titre que les six suites de Jean-Sébastien Bach, mais ils peuvent par certains aspects s’apparenter par leur audace d’écriture aux Fantaisies pour viole de gambe de Georg Philip Telemann.(voir la chronique).

A l’écoute de ces onze pièces, tout laisse à penser qu’il pouvait s’agir d’improvisations couchées ensuite sur le papier. « Envie subite et passagère, fondée sur la fantaisie et l'humeur », telle est la définition du mot « caprice » dans le dictionnaire Robert, définition qui pourrait assurément corroborer l’hypothèse qu’il s’agirait bien à l’origine de musique improvisée selon l’humeur du moment… Difficile de faire un choix, ne serait ce que pour respecter les contraintes de temps liées au support CD. Hanna Salzenstein n’a pas hésité à porter son choix sur le Caprice n°1 en do mineur qui est sans conteste le plus beau de tous. Hanna Salzenstein a choisi une manière de l’interpréter radicalement différente de celle de Kristin von der Goltz (qui a de son côté enregistré l’intégralité de ces Caprices), à la fois méditative et empreinte de sensualité. Cette vision très personnelle de cette pièce somptueuse permet accessoirement de tirer le meilleur des possibilités sonores offertes par son instrument, notamment dans les graves profonds. L'Aria des plus épurée du Caprice n°4 en ré mineur évoque irrésistiblement Bach, un compositeur que Dall’Abaco admirait. Hanna Salzenstein en traduit à merveille les nuances les plus subtiles avec un grand souci du détail que l’on perçoit aisément après plusieurs écoutes. Avec le Caprice n°6 en mi mineur s’installe une ambiance très différente, quelque peu hypnotique, teinté de couleurs sonores très variées mais très calculées également, dans laquelle l’auditeur peut aisément mesurer les qualités d’interprète et la sensibilité d’Hanna Salzenstein. Il est bien dommage que l’on n’en sache pas plus sur ces onze pièces que l’on pourrait dater, sans la moindre certitude, des années 1730, auquel cas, elles seraient postérieures de quelques années aux Suites pour violoncelle seul de Bach écrites entre 1717 et 1723. Quoiqu’il en soit, ces Caprices sont assurément du même niveau d’inspiration que les suites écrites par le Cantor. La lecture d’une grande intensité de ces trois Caprices proposée par Hanna Salzenstein suscite fortement l’espoir d’un enregistrement intégral par cette artiste qui a incontestablement saisi les subtilités de ces pièces magnifiques.

Un personnage de roman
La Sonate n° IV pour violoncelle et basse continue de Giorgio Antoniotto (parfois orthographié Antoniotti) présente un intérêt tout particulier, du fait de la personnalité de son auteur ! Issu de la famille de patriciens génois des Adorno qui donna plusieurs doges à la ville de Gênes, il naît à Milan en 1681. Ayant pris fait et cause pour Philippe V (petit fils de Louis XIV) dans la Guerre de Succession d’Espagne, l’intégralité de ses biens en Italie est saisie. Il choisit alors de rejoindre le camp espagnol pour combattre à ses côtés durant toute la guerre, sans jamais être blessé une seule fois. La paix d’Utrecht ayant mis un terme à cette guerre, Giorgio Antoniotto reprend alors une carrière de musicien à travers toute l’Europe, de Vienne à Paris, de Madrid à Lisbonne. Violoniste de formation, il se voit obligé de délaisser le violon au profit du violoncelle suite à une blessure à la main au cours d’un duel à Paris. Durant son existence pour le moins aventureuse, il est conduit à négocier pour le compte de la reine Isabelle d’Espagne l’engagement d’un certain Carlo Maria Broschi, qui n’est autre que le célèbre castrat Farinelli. Au milieu des années 1730, il publie à Amsterdam un recueil de douze Sonates opus 1, dont est tirée la Sonate n° IV. Un recueil manuscrit de douze autres Sonates pour violoncelle ou viole de gambe et basse continue est conservé au Civico Istituto Musicale Gaetano Donizetti de Bergame. On peut aussi retrouver quelques œuvres autographes dans les archives de la cathédrale de Durham en Grande-Bretagne. Giorgio Antoniotto est également connu pour être l’auteur d'un traité musical intitulé L'arte armonica, rédigé en italien, mais traduit et publié en anglais. Voyageant fréquemment entre l’Angleterre et l’Espagne, il trouve en 1776 la mort à Calais à quatre vingt quinze ans passés.


Frontispice du recueil des sonates d’Antoniotto

Assez conventionnelle dans son écriture au premier abord, cette sonate de bonne facture mérite pleinement sa place dans cet enregistrement. On retiendra en premier lieu un Adagio à la fois chantant et expressif, admirablement bien servi par la richesse du son du violoncelle, un Allegro bouillonnant à travers lequel on retrouve des traits violonistiques rappelant que le compositeur était à l’origine violoniste de formation. Le splendide Largo en forme d’élégie (à écouter ici), d’une intense douceur, accompagné avec finesse par l’archiluth de Thibaut Roussel et le violoncelle d’Alberic Boulenois, compte assurément parmi les plus belles pages de cet enregistrement. Un court final Vivace à la fois tourbillonnant et plein de panache, conclue en beauté cette sonate écrite par un auteur dont la vie trépidante est digne d’un personnage de roman !


Partition de la sonate n°IV d’Antoniotto

Des œuvres méconnues
Gasparo Garavaglia est un compositeur du XVIIIe siècle dont on ne dispose quasiment d’aucun éléments biographiques. Aucune date de naissance ou de décès n’est connue, tout juste peut on dater ses œuvres dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. On retrouve juste sa trace en tant que maître de chapelle à la cathédrale Santa Croce de Forli en Emilie-Romagne ou il participa aux cérémonies religieuses de béatification d’un certain Marcolino da Forli en 1752. Il ne laisse à la postérité qu’une Sonate pour violoncelle seul ainsi qu’une Sonate en sol mineur en quatre mouvements pour violoncelle et basse continue découverte par hasard au cours de ses recherches par Hanna Salzenstein qui en propose un premier enregistrement mondial. Cette œuvre séduisante débute par un Adagio assez conventionnel mais de bonne facture, dans lequel le violoncelle est délicatement soutenu par le clavecin, suivi d’un Allegro plein de vivacité, de légèreté et de virtuosité aussi, fort bien rendu par de belles attaques d’archet. Vient ensuite un Grave d’une grande sérénité, laissant la conclusion à une Gigue virevoltante. On peut supposer que cette sonate a été écrite à une époque charnière durant laquelle le violoncelle devient un instrument prépondérant qui tend à supplanter définitivement la viole de gambe, le fameux traité d’Hubert Blanc Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle ayant été publié en 1740. On se doit de saluer le choix original de cette pièce totalement inédite qui valorise efficacement les capacités sonores et le registre du violoncelle à jouer un rôle de premier plan.

De la Sonate n°3 pour violoncelle et basse continue en la mineur du compositeur vénitien Benedetto Marcello, Hanna Salzenstein a choisi de ne présenter que le Largo. Une très courte pièce de toute beauté, au ton très méditatif, dans laquelle le violoncelle fait corps avec le luth. Mais contrainte de temps oblige, la sonate n’a hélas pas pu figurer en entier dans le programme, ce qui est quelque peu frustrant… Né dans une famille de l’aristocratie vénitienne en 1686 à Venise, Benedetto Marcello était un personnage hors du commun qui fut à la fois compositeur, écrivain, violoniste élève entre autres du très renommé Giuseppe Tartini, professeur de musique, avocat, magistrat et membre du Grand Conseil de Venise. Il se définit lui même comme nobile Veneto dilettante di contrapunto. Son œuvre musicale très variée se compose de musique liturgique, de cantates, sonates, concertos et symphonies. Il meurt à Brescia en 1739 , victime de la tuberculose.

De même, seul le Largo introductif de la Sonata terza violoncello e basso continuo n°9 en la majeur de Giovanni Benedetto Platti figure dans le programme de cet enregistrement (à écouter ici). Né en 1697 à Padoue, il est élève de Francesco Gasparini comme le furent également Domenico Scarlatti, Johann Joachim Quantz et Benedetto Marcello. Musicien très éclectique, il joue à la fois du violon, du violoncelle, du hautbois, du clavecin, du pianoforte (dont il est l’un des pionniers) et de la flûte traversière (traverso). Il passe l'essentiel de sa carrière en Allemagne où les musiciens italiens étaient en ces temps là très recherchés et décède en 1763 à Wurtzburg. Ce Largo d’une grande puissance émotionnelle, très inspiré, revêt un intérêt particulier car il met en scène deux violoncelles, soliste et basse continue accompagnée de l’archiluth. Mais de même, cet extrait suscite frustration et curiosité car il n’existe pratiquement aucun enregistrement de cette sonate, hormis une version proposée par Francesco Galligioni qui n’atteint pas les mêmes sommets.

Une Tarentelle flamboyante et jubilatoire signée Giulio de Ruvo (à écouter ici) tient lieu de conclusion à ce programme riche et varié dédié au violoncelle. Une incursion en forme de clin d’œil dans la musique populaire à travers une danse villageoise originaire du Royaume de Naples toujours couramment dansée de nos jours en Italie. Cette danse n’est pas sans rappeler les origines du violon (et des instruments de sa famille tel le violoncelle) qui était à l’origine destinés avant tout à faire danser, et montre s’il n’était besoin que la frontière entre musique populaire et musique dite savante est parfois mince... On notera les percussions judicieusement choisies par Marie-Ange Petit, le tambourin étant l’instrument par excellence de la tarentelle.

Dans cet enregistrement en tous points réussi, il convient de mentionner tout particulièrement le son de l’instrument exceptionnel signé Pieter Rombouts joué par Hanna Salzenstein. Construit à Amsterdam entre 1710 et 1715, donc totalement contemporain des œuvres présentées, ce violoncelle produit un son à la fois rond, chaud et profond dans les graves. Pieter Rombouts (1667-1728) est considéré comme le grand maître de la lutherie néerlandaise de son époque, aux côtés de son beau-père Hendrick Jacobs, lequel fut formé par Niccolo Amati à Crémone. Il est utile de souligner également la qualité de la prise, proche des musiciens pour un rendu toujours très naturel mettant en valeur le timbre des instruments.

Assurément, ce premier enregistrement d’Hanna Salzenstein constitue une bien belle découverte. Il réserve quelques excellentes surprises, permettant notamment de découvrir quelques pages méconnues de compositeurs italiens de l’ère baroque servies par un jeu à la fois précis et expressif. Hanna Salzenstein fait preuve à la fois d’aisance et d’une belle maîtrise de la nuance et de l’utilisation des couleurs sonores, sans démonstration de virtuosité excessive. Mais comme le disait avec justesse le grand violoncelliste Pablo Casals, « La technique parfaite est celle qu’on ne remarque pas ». Et si le titre de cet album évoque à demi mot une référence biblique tirée du Livre de la Genèse: « Et la lumière fut », ce n'est absolument pas dû au hasard. « La lumière, c'est le violoncelle. En tout cas, c'est mon instrument, donc c'est ma lumière à moi » confie la musicienne. On pourra aussi écouter ici avec intérêt son entretien donné à Radio France.



Publié le 22 mai 2024 par Eric Lambert