Il Xerse - Cavalli

Il Xerse - Cavalli ©
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Un savoureux mélange de romanesque et de comique

Il Xerse de Francesco Cavalli (1602-1676), dramma per musica en un prologue et trois actes, a été représenté pour la première fois à Venise au Teatro Santi Giovanni e Paolo en 1655. Le livret est de Francesco Minato (c.1627-1698). Cette œuvre a été retenue comme divertissement lors des festivités qui ont accompagné le mariage de Louis XIV en 1660 avec l’infante d’Espagne, Marie Thérèse. C’est ainsi qu’une version en cinq actes, agrémentée par des ballets de Jean-Baptiste Lully, a été donnée dans la colonnade du Louvre (voir la chronique). Le livret de Minato sera utilisé par la suite par de nombreux compositeurs parmi lesquels Giovanni Bononcini (1670-1747) en 1694 et Georg Friedrich Haendel (1685-1759) en 1738.

Dans la cité d’Abydos, Xerse, le grand roi Perse, est sujet à deux passions : d’abord son platane adoré et ensuite son projet de construire un pont gigantesque sur le détroit de l’Hellespont qui permettrait à son armée d’envahir la Grèce. C’est alors qu’il tombe amoureux de la princesse Romilda, fille d’Ariodate, un général de son armée, dédaignant par la même occasion son ex-amante, Amastre, fille du roi de Suse. Cette dernière ne se décourage pas et se déguise en soldat afin de surveiller incognito les faits et gestes de son ex-amant. Romilda a déclaré sa flamme à Arsamene, amour payé de retour mais Adelanta, soeur de Romilda est secrètement amoureuse d’Arsamene et va perturber encore plus le cours des choses. Malentendus, quiproquos, fausses lettres vont alimenter l’intrigue sentimentale. Par exemple Adelanta va intercepter avec la complicité involontaire du page Elviro, déguisé en fleuriste, une lettre d’amour d’Arsamene adressée à Romilda et déclarer à la compagnie que cette lettre lui était destinée. Les machinations d’Adelanta sont déjouées, les efforts de Xerse se heurtent à la constance de Romilda et Arsamene. A la fin une maladresse de Xerse permet à Ariodate de marier sa fille Romilda avec Arsamene et mettre le roi devant le fait accompli. Xerse ne peut que reconnaître sa défaite et Amastre, en embuscade, en profite pour récupérer son bien.

Cette intrigue sera reprise sans grand changement par Haendel pour son Serse mais le Saxon va dégraisser sensiblement le livret de Minato en supprimant le prologue et deux personnages et ainsi le rendre nettement plus incisif. Tandis que le Xerse de Cavalli connaîtra un très grand succès dans la péninsule et ailleurs en Europe, le Serse de Haendel sera boudé par le public londonien et chutera après quatre représentations. Ce qui nous plaît tellement dans le Xerse de Cavalli et le Serse de Haendel, ce mélange de romanesque et de comique, ce côté très italien de commedia del arte, n’était plus du tout à la mode à Londres où parvenaient des échos des dernières nouveautés métastasiennes de Rome ou de Naples comme les créations du rival Nicola Porpora (1686-1768) et celles d’un autre Saxon, Johann Adolph Hasse (1700-1785).

Dans son Xerse, Cavalli atteint un bel équilibre entre le recitar cantando riche et fleuri et des airs très expressifs. Ces derniers sont intégrés dans le récitatif ou bien apparaissent sous forme de monologues ou de soliloques en début de scène. Leur durée peut dépasser les quatre minutes. A la fin du siècle, le recitar cantando va s’amaigrir et donner naissance au recitativo secco tandis que les airs vont former des entités de plus en plus indépendantes et structurées afin de donner aux castrats la possibilité de briller.

L’équipe artistique du Festival della Valle d’Itria, a déclaré avoir procédé à des coupures : le prologue ainsi que quelques scènes ont été supprimés. Voici les passages les plus palpitants.

Acte I. Le prologue ayant été coupé, l’opéra débute avec l’aria Ombra mai fu, précédée par une belle sinfonia où s’affichent les violons et les cornets accompagnés par une basse très active. Le contre-ténor (ici Carlo Vistoli) relie la cantilène lente et contemplative à un passage rapide qui anticipe l’enchaînement cavatine-cabalette qui fleurira au 18ème et une partie du 19ème siècle. On remarque la ressemblance entre la cavatine de Cavalli avec celle que Haendel écrira plus tard et qui, sous différentes adaptations, connaîtra une renommée exceptionnelle depuis sa création jusqu’à nos jours. L’aria de Romilda (Carolina Lippo) avec l’orchestre, O voi, che penate, (I.4) est remarquable par des vocalises virtuoses anticipant étrangement un passage du Turandot de Giacomo Puccini (1858-1924) à la fin de l’acte III. L’air d’Amastre avec orchestre au complet, Regie stelle, che fatali, (I.16) est très expressif et dure près de trois minutes.

Acte II. Amastre ouvre l’acte II avec une magnifique cantilène au rythme de sicilienne, Speranza, fermate (II.1), accompagnée par les cornets et les violons. Elviro déguisé en jardinier vante la qualité et la beauté de ses fleurs, une scène comique que l’on retrouve presque sans changement mais avec un surcroît de bouffonnerie, au même endroit dans le Serse de Haendel. Romilda manifeste contre vents et marées son amour pour Arsamene, L’amero? Non fia vero, (II.5), une scène que l’on retrouve une fois de plus sans grands changements chez Haendel. Le sommet de l’acte est sans doute l’air de Romilda, Amante, non è, (II.15) dont les strophes sont chaque fois plus développées avec de belles vocalises et un superbe accompagnement orchestral. L’aria d’Adelanta qui le précède, Non mi dite che non l’ami (II.10) ne le cède en rien en beauté, il révèle que la princesse n’est pas la peste que son comportement pouvait laisser entrevoir mais une femme amoureuse qui finit par réaliser la vanité de ses rêves.

Acte III. Il débute avec un splendide terzetto Romilda/ Arsamene/ Adelanta, M’amerete ? (III.2). C’est un lamento très dramatique avec des changements de rythme surprenants. L’émotion monte encore d’un cran avec la plainte poignante de Romilda, Che barbara pieta, qui anticipe l’aria di disperazione des opéras seria du siècle suivant (III.8). On arrive alors au sommet de l’acte et de l’opéra, le lamento de Xerse, Lasciatemi morir, (III.19), une bouleversante chaconne sur une basse obstinée.

L’enregistrement a été effectué en direct lors d’une représentation au Festival della Valle d’Itria Martina Franca. Xerse était interprété par le contre-ténor Carlo Vistoli. Le rôle titre comporte un petit nombre d’airs au début et à la fin de l’opéra mais ces airs sont peut-être les plus intenses de l’œuvre. A la fin quand le plus puissant roi du monde clame sa douleur, Lasciatemi morir, (III.19), Carlo Vistoli, grâce à la beauté de son chant et la qualité de sa diction, confère au personnage une singulière humanité. Carolina Lippo (soprano) qui incarnait Romilda, chante le plus grand nombre d’airs. Ses interventions faites avec une voix pure, agile et claire, étaient constamment émouvantes. C’est Ekaterina Protsenko (soprano) qui chantait le rôle d’Amastre et était pourvue d’un grand nombre d’airs très expressifs. Le timbre de voix est riche et doté de belles couleurs. Dioklea Hoxha, soprano, incarnait avec beaucoup de talent le personnage d’Adelanta. Cette dernière n’est pas encore la coquette dépourvue de scrupules que Haendel a magistralement brossée dans son opéra (presque) homonyme; elle chante avec émotion un air, Dammi, amor, la liberta (III.4), très poétique. A Gaia Petrone, contralto, était attribué le rôle travesti d’Arsamene, c’est elle qui conclut la scène 17 de l’acte I de sa voix chaleureuse aux graves somptueux avec une belle chaconne, Innamorato cor, aux accents dramatiques. Carlo Allemano chantait le rôle d’Ariodate d’une voix de ténor au timbre sombre très original notamment dans l’aria di vittoria très brillant, Gia la tromba, accompagné par les cornets et les timbales (I.11). Dans le rôle d’Aristone, Nicolo Donini chante une aria, La donna caduta, d’une belle voix bien timbrée de basse profonde ; dans ceux de Periarco et d’Elviro, Nicolo Balducci (contre-ténor) et Aco Biscevic (ténor) respectivement, ne chantaient pas d’airs mais avaient d’importantes parties en recitar cantando, rôles typiquement bouffes dont ils s’acquittaient avec beaucoup de talent.

Avec huit instrumentistes seulement, c’est un ensemble de musique de chambre qui accompagne les chanteurs. Une bonne prise de son compense le volume sonore un peu restreint. L’absence de doublures donne beaucoup de dynamisme et de pureté aux interventions instrumentales. Parmi les solistes, on retiendra tout particulièrement le magnifique cornettiste Doron Sherwin, les évolutions subtiles des deux violonistes et l’expressivité du jeu de la basse d’archet, des clavecinistes et du théorbiste. La réussite de cette exécution doit beaucoup à la direction musicale éclairée de Federico Maria Sardelli.

Il Xerse est un opéra passionnant qui représente un jalon important dans l’évolution de l’opéra au cours du 17ème siècle à Venise et qui permet de mieux comprendre la genèse du Serse de Haendel. Il mérite de figurer dans la discothèque d’un amateur d’opéra baroque.



Publié le 09 juil. 2024 par Pierre Benveniste