Messe en si mineur - JS. Bach

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Des habits neufs pour une messe mythique

« Qu’est-ce qu’un festival ? » s’interrogeait Christian Merlin en ouverture de sa chronique hebdomadaire (France-Musique - Musique matin - 1er septembre 2017). Sa réponse tient en peu de mots : « L’essence même d’un festival, c’est l’ennemi de la routine, c’est l’exceptionnel ». Sans le savoir, il définissait l’expérience que nous avons vécue en l’église d’Arques-la-Bataille, le soir du 26 août 2017.



Mais que peut bien avoir d’exceptionnel l’écoute d’une œuvre régulièrement inscrite au programme des concerts ? En effet, après l’Opéra Bastille sous la direction de Philippe Jordan (février 2017), la fameuse Messe en si mineur n’a-t-elle pas auréolé le Festival de Sablé, le 24 août 2017, sous la direction d’Itay Jedlin ? Et le 11 avril 2018, cette « page majeure par son intensité musicale » résonnera, une fois encore, sous les ors du Théâtre des Champs Elysées, dans une interprétation « menée dans l’esprit d’Harnoncourt », tient à prévenir Hans-Christoph Radenau. A cela s’ajoute une discographie luxuriante, comme si cette Hohe Messe (grand-messe) constituait un point de passage obligé, un incontournable auquel ne peut échapper aucun des chefs prétendant explorer l’univers du baroque. Après Herbert von Karajan, en 1953, et bien d’autres ensuite, Gustav Leonhardt, dont le souvenir est toujours présent au sein du Comité d’honneur de l’Académie Bach, n’avait-il pas lui-même été subjugué par cette œuvre mystérieuse ? Mystérieuse au point que Philippe Herreweghe en aura gravé trois versions différentes en un petit quart de siècle.

L’interprétation de Vox Luminis nous a conquis et nous lui affectons, indiscutablement, un coefficient de singularité puissance trois.

D’abord, le sentiment de participer à un moment rare et de bénéficier d’un privilège considérable car ce programme n’était destiné qu’à deux seuls concerts : le 26 août à Arques-la-Bataille (Normandie) et le 27 août à Utrecht (Pays-Bas). Lionel Meunier l’a fort justement rappelé en fin de représentation : «Cette interprétation est le fruit d’une coproduction, celle du Festival de Musique Ancienne d’Arques-la-Bataille, du Festival de Musique Ancienne d’Utrecht et de l’ensemble Vox Luminis. Sans cette coopération, rien n’aurait été possible ».

Ensuite, sa puissance d’attraction tient à la singularité de son contenu. Chaque étape de la messe proprement dite est précédée d’un prélude ou d’une forme de Choralvorspiel (prélude de choral) magnifiquement interprété à l’orgue par Bart Jacobs. Une manière intelligente de renseigner l’auditoire sur la place du « roi des instruments » (selon Guillaume de Machaut) dans la liturgie luthérienne ayant cours en Allemagne du Nord. En effet, l’orgue s’y voyait assigné deux rôles : accompagner le chant de l’assemblée et susciter l’atmosphère du culte par des préludes et interludes. Cette alternance de musique d’orgue et de de séquences vocales et instrumentales constitue donc un retour aux sources tellement inhabituel qu’il en devient mémorable.

Enfin, le continuo n’est pas assuré sur le petit orgue positif traditionnel. C’est au grand orgue de l’église d’Arques-la-Bataille que revient ce privilège. Nous l’espérions de longue date (voir notre chronique  consacrée aux Cantates de la Réforme). Voilà nos vœux exaucés, au-delà de nos espérances et pour un résultat inoubliable. Car le grand orgue modifie les équilibres et fait éclore une gamme de coloris rarement entendus. Il donne de la profondeur, de la rondeur et de la majesté à la basse continue qui soutient d’autant plus solidement cet édifice sonore monumental. C’est d’ailleurs sur le ton de l’orgue que les instruments se sont régulièrement accordés durant le concert, précisément comme à l’époque de Bach.

Une composition d’apparence homogène mais qui hésite pourtant entre la profession de foi éclatante, à l’image des premières mesures du Credo, et l’expression d’une angoisse suscitée par le doute spirituel dont le sombre Crucifixus de ce même Credo pourrait être un marqueur. Car, au moment où Bach réalise l’assemblage des différentes séquences de sa messe, « la tourmente l’a frappé de plein fouet », explique Gilles Cantagrel, autre membre d’honneur de l’Académie Bach. « Les attaques personnelles, les virulentes critiques contre son identité de compositeur l’on touché cruellement, et plus encore la mort, autour de lui, celle de son fils adulte (Johann Gottfried Bernhard) en particulier. Il y eut aussi, vraisemblablement, la maladie, peut-être la dépression, et les premières atteintes sensibles de l’âge » (Le moulin et la rivière – Fayard, 1998).

C’est dans le contexte incertain des années 1740 qu’il réunit en quatre fascicules autographes diverses partitions composées tout au long de sa carrière pour produire un opus en forme de florilège. Dans un dialogue assidu avec son œuvre, il les retravaille, les ajuste, les complète et les façonne, puis tisse méticuleusement une messe annoncée par son premier éditeur, Hans Georg Nägeli (1773-1836), comme « le chef-d’œuvre musical le plus extraordinaire de tous les temps et de tous les peuples » (1818). Un chef d’œuvre élaboré selon le procédé de la parodie, pratique banale à cette époque. Elle consiste à arranger des partitions antérieures, simplement pour les polir ou dans le but d’élaborer une œuvre nouvelle. Ainsi, précise Jean-Luc Macia dans le Tout Bach confectionné sous la direction de Bertrand Dermoncourt, « la Messe en si mineur BWV 232 peut être considérée comme une grande reconstruction, où le compositeur réalise une manière d’anthologie de ses styles d’écriture en réutilisant un grand nombre de morceaux préexistants » (Robert Laffont, 2009). Que contiennent ces quatre fascicules retrouvés dans ses papiers et conservés par son fils, Carl Philipp Emanuel  ?

Bach intitule le premier fascicule « Missa », au même titre que ses autres messes dites « brèves » ou « luthériennes » (BWV 233, 234, 235 et 236). Il contient un Kyrie et un Gloria probablement destinés à la cérémonie au cours de laquelle, le 21 avril 1733, la municipalité de Leipzig a prêté serment de fidélité au nouveau Prince Electeur, Frédéric Auguste II de Saxe (1696-1736). Cette composition de grande ampleur (d’une durée de l’ordre d’une heure) constituait un ensemble autonome. Bach avait d’ailleurs porté la mention « Fine soli Dei Gloria/ Pour la seule gloire de Dieu) sous la dernière portée du Gloria. Lors du concert du 26 août dernier, cette Missa a constitué la première partie du programme.

Le second cahier est titré Symbolum Nicenum, le Symbole de Nicée des protestants correspondant au Credo des catholiques. Ce catalogue des articles de la foi chrétienne dressé par le premier concile de l’histoire (en 325) transforme Bach en prédicateur introspectif. Il pourrait avoir été composé pour la cérémonie de réouverture de la Thomasschule de Leipzig, le 5 juin 1732. Toutefois, il est établi que le Et incarnatus est n’a été ajouté qu’en 1741. Le choix du latin, compatible avec la liturgie luthérienne lors des offices solennels, s’explique d’autant plus que l’Ecole Saint-Thomas était une Latein-Schule.

Le Sanctus s’approprie le troisième fascicule. Il s’agirait de la reprise d’une pièce plus ancienne encore que la Missa puisqu’elle aurait été composée pour la nuit de Noël de l’an 1724, un an après son installation à Leipzig.

Le dernier recueil rassemble quatre courtes pièces employant, à l’exception probable du Benedictus, du matériau ancien. Ainsi, l’Osanna pour chœur à huit voix est une émanation du premier chœur de la cantate profane Preise dein Glücke, gesegnetes Sachsen/ Apprécie ton bonheur, Saxe bénie (1734). L’Agnus Dei résulte d’une adaptation de l’aria d’alto de l’Oratorio de l’Ascension BWV 11 (Lobet Gott in seinen Reichen/ Louez Dieu dans ses royaumes (1735) alors que le Dona nobis pacem réutilise un chœur de la cantate Wir danken dir, Gott, wir danken dir/ Nous te rendons grâce, ô Dieu, nous te rendons grâce BWV 29 (1731).

L’assemblage des quatre cahiers donne naissance à une missa solemnis (messe conçue pour une occasion solennelle), une composition ample par sa durée (près de deux heures) et le nombre d’exécutants qu’elle mobilise, trompettes et timbales comprises. Elle comprend maintenant toutes les parties de l’Ordinarium Missae, l’ordinaire de la grand-messe en latin, avec ses cinq parties fixes de la liturgie : Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus Dei. S’agit-il pour autant d’une messe d’obédience catholique ? Pas forcément, observent les spécialistes. En effet, si elle ne répond pas strictement aux prescriptions luthériennes (le quatrième volet, de l’Osanna au Dona nobis pacem n’ayant pas de place dans un service religieux luthérien), elle ne correspond pas davantage à l’exacte orthodoxie catholique (le Benedictus y est associé au Sanctus alors que le Dona nobis pacem conclut normalement l’Agnus Dei). Manifestement, Bach a composé une messe qui transcende les clivages confessionnels, élaborant une œuvre œcuménique dotée d’une signification universelle et intemporelle. « Au seuil de sa mort, la foi du musicien se dresse au-dessus de toute nuance confessionnelle », conclut Gilles Cantagrel.



C’est avec la ferveur d’un disciple de Bach que l’ensemble Vox Luminis a déployé une interprétation magistrale de cette œuvre grandiose. Egrenons-en les différentes étapes, mais sans entrer dans le détail de la construction (pour cela, voir la remarquable dissection opérée par Gilles Cantagrel dans son J.S. Bach, Passions, Messes et Motets – Fayard, 2015). En revanche, et en toute subjectivité, nous souhaitons partager l’émotion suscitée par les interprètes lors de ce cheminement captivant dans cette œuvre majeure du patrimoine mondial.

Comme à l’époque de Bach, le grand orgue annonce le début de l’office. Bart Jacobs libère l’esprit tourmenté enfermé dans le Prélude en si mineur (BWV 544). Bien qu’elles partagent cette même tonalité traditionnellement dédiée à la sublimation de la douleur, Gilles Cantagrel estime qu’il n’y a pas lieu de penser que cette pièce puisse être associée à la Messe en si mineur. En revanche, elle pourrait être liée à la « cérémonie funèbre donnée à Leipzig en l’église Saint-Paul, le 17 octobre 1727, à la mémoire de la princesse Christiane Eberhardine », et où fut exécutée l’Ode funèbre  Lass Fürstin, lass doch einen Strahl/ Laisse, Princesse, laisse donc un rayon (BWV 198). Si, historiquement, le lien avec notre messe apparaît improbable, ce soir du 26 août, l’orgue a saisi l’auditoire par sa sonorité brillante portée par le grave saisissant du pédalier, le flot des chromatismes et la majestueuse résolution finale de la fugue. On ne pouvait mieux faire comprendre la fonction dévolue à l’orgue, celle de détacher l’esprit des fidèles de leurs préoccupations quotidiennes pour le rendre disponibles à la prédication.

Le chœur entonne le premier Kyrie sur la poignante tonalité de si mineur. Le pupitre des sopranos lance les supplications avec éclat tandis que les basses, amples et profondes, l’entourent d’une atmosphère sombre. Les bois donnent de la chair à l’accompagnement instrumental et se substituent aux voix dans le Largo suivant les premières supplications pour exprimer, à leur façon, les souffrances tenaillant le pécheur repentant. Le Christe est interprété par un duo parfaitement ajusté. La puissance du timbre de Zsuzsi Toth et la délicatesse de celle de Victoria Cassano emportent, dans de magnifiques modulations, la supplication vers le Christ pour, dans un même temps, l’interpeller et l’attendrir. Dans la dernière invocation, l’entrée fuguée des voix achève paisiblement cette séquence pénitentielle. Chaque pupitre y tient sa juste place. Dans un équilibre parfait, les voix modèlent une matière sonore avec art et tendresse.

L’orgue retrouve maintenant sa fonction didactique, celle qui consiste à donner le ton de la partie suivante. Le Prélude de choral Allein Gott in der Höh sei Ehr/ A Dieu seul, gloire aux lieux très hauts (BWV 676) était conçu pour remplacer le Gloria de la messe romaine. Il est extrait du troisième recueil des Klavier-übungen contenant vingt-et-un préludes de choral destinés à introduire les différentes parties de la messe luthérienne. L’allure est joyeuse, l’atmosphère éblouissante, l’esprit à l’allégresse. Les deux parties manuelles s‘enflamment dans des flots de double croches tandis que la basse gambade gaillardement.

Dans un majestueux mouvement noté Vivace, le Gloria s’annonce à coups de trompettes et de timbales. Ce soir-là, ce sont d’authentiques instruments naturels (dépourvus de pistons) qui enflamment la sinfonia d’ouverture. Leur sonorité allie velouté et puissance. Victoria Cassano est saisissante dans un Laudamus te truffé de nuances subtiles au cours duquel elle dialogue avec les cordes. Fameuse dans les vocalises, elle porte le texte avec un engagement total. Quant au grand orgue, il assure un continuo charnu, lissant les arias et amplifiant les chœurs. Ses longues tenues de note habillent les finales de solennité, au point de susciter des applaudissements intempestifs à l’issue d’un somptueux Gratias agimus tibi. Deux airs d’une profonde sensibilité sont portés par des solistes fascinants. Victoria Cassano et Daniel Elgersma habitent un Dominus Deus construit en forme de dialogue avec les flûtes. Leurs timbres s’emboîtent à la perfection et leur interprétation réveille l’émotion. Le timbre grave et profond de Sebastian Myrus sublime le Quoniam tu solus sanctus quand le cor, son partenaire, paraît bien mal assuré dans ce qui est pourtant l’un des passages les plus poignants de cette célébration de la Trinité. Dans le dernier mouvement (Cum sancto spiritu), le chœur, l’orchestre et le grand orgue brillent de tous leurs éclats. L’entracte devient nécessaire pour reprendre ses esprits.

La seconde partie est ouverte, une fois encore, du haut de la tribune de l’orgue. Le Prélude de choral Wir glauben all’ an einen Gott/ Nous croyons tous en un Dieu unique (BWV 680) resplendit, généreusement servi par les jeux de l’instrument taillé pour interpréter les œuvres de Bach. Le texte paraphrase le Credo écrit par Luther en 1524 sur une mélodie datant du XVème siècle. Bach ne suit pas la totalité du cantique mais propose une paraphrase de grande envergure de deux versets seulement : le premier et le dernier. Il développe une « grande fugue à trois voix, en contrepoint de laquelle la basse, au pédalier, fera entendre à six reprises un motif obstiné » (Gilles Cantagrel – Guide de la musique d’orgue Fayard, 2012). Ce choral rayonnant annonce parfaitement la profession de foi qui va suivre.

Le Symbolum Nicenum s’ouvre d’une manière dynamique et révérencieuse à la fois. Le chœur est rythmé par la contrebasse et l’orgue, merveilleux auxiliaires des voix. A la première déclaration aux allures grégoriennes succède une seconde qui émane de la cantate Gott, wie dein Name, so ist auch dein Ruhm/ Dieu, ta renommée comme ton nom (BWV 171) composée pour le jour du nouvel an 1729 ou 1730. Cette succession rapprochée de styles crée un effet de contraste ingénieux. Mais, en termes de parodie, c’est le Crucufixus qui relie les deux extrémités de la carrière musicale de Bach. En effet, elle s’inspire de la cantate Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen/ Les pleurs et les lamentations, les tourments et le découragement (BWV 12) composée en 1714 par un compositeur de moins de trente ans alors qu’il était âgé de près de soixante-cinq ans lorsqu’il retravaille la partition. Les musiciens interprètent cette page d’une grande densité émotionnelle avec un savoir-faire de tout premier plan. Les plaintes du chœur peignent le tableau de la crucifixion alors que l’accompagnement instrumental entrecoupé de silences exprime les doutes du compositeur sur sa capacité à surmonter les épreuves qui l’assaillent. Le sepultus est s’éteint comme un dernier souffle. Moment exprimant une extrême douleur dans lequel Vox Luminis a trouvé le chemin du cœur de l’auditeur. Sans transition ni préparation, l’explosion du Et resurrexit balaye les doutes et plonge l’assemblée dans un feu d’artifice sonore. Son mouvement mélodique ascendant l’arrache à la douleur de la mise au tombeau. Après ce moment flamboyant, Thomas Kral entonne un Et in Spiritum Sanctum d’une beauté apaisée. Son timbre clair et son grave puissant tranchent avec la sonorité feutrée des bois qui l’accompagnent dans la célébration de la Trinité et de l’Eglise universelle. Cette profession de foi s’achève sur un Amen rutilant. A sa façon, Vox Luminis a donné de la chair à cet « exemple éternel de la façon de réussir à réveiller ce qu’il y a de plus instinctif dans la force de la foi, grâce à la force miraculeuse de l’art » (selon le prospectus d’appel de fond pour la publication de l’autographe, en 1818).

L’Offertoire représente, par excellence, le territoire de prédilection de l’organiste. La durée des actes liturgiques qui se succèdent entre le Credo et l’Elévation permet en effet à l’organiste de jouer plus longuement et faire montre de ses talents. Au grand scandale, d’ailleurs, de l’abbé Léonard Poisson (1695 ?-1753). Dans son Traité théorique et pratique du Plain-chant (1750), il observe que l’Offertoire « donne lieu à des fanfares dont le jeu, par les distractions qu’il occasionne, est si évidemment déplacé … Si on fait la faute de laisser l’Offertoire à l’orgue, du moins ne devrait-on pas l’entonner, comme si le chœur allait le continuer ». En effet, au contraire des Préludes de choral, le jeu doit se suffire à lui-même. C’est pourquoi Bart Jacobs interprète trois mouvements du Concerto en sol majeur BWV 592. Il s’agit d’une transcription pour orgue d’un concerto pour violon, cordes et continuo de Johann Ernst de Saxe-Weimar (1696-1715). Le profane se glisse subrepticement dans le sacré avec une virtuosité admirable.

En léger décalage avec le découpage par fascicule réalisé par Bach, le programme enchaîne le Sanctus, l’Osanna, le Benedictus et l’Agnus Dei. Une manière de reconstituer un Sanctus plus conforme au rite romain, ce qui n’était pas forcément dans les intentions de Bach. Une certaine unité se dégage pourtant de cette interprétation en chapelet. En outre, l’alignement de ces quatre pièces créé un effet de contraste saisissant, les deux premières mobilisant les effectifs les plus importants et les deux dernières se limitant à des parties solistes. Le Sanctus se révèle à la fois puissant, lumineux et sublime. Un chœur de solistes se constitue pour donner la réplique au grand chœur dans un Pleni sunt coeli énergisant. L’Osanna est taillé sur le même patron. Le double chœur y produit un magnifique effet d’écho. En revanche, le Benedictus sonne l’heure de la méditation. De même que l’Agnus Dei durant lequel Daniel Elgersma empoigne littéralement le public par son implication, l’enroule dans un chant finement tissé. Sa généreuse voix de contre-ténor, délicatement portée par des cordes rythmées par la contrebasse, produit une subtile alchimie des sons.

A l’issue de ce cycle, les fidèles s’avancent normalement pour la Communion. L’organiste les accompagne avec la Fugue en sol mineur BWV 533. Il s’agit probablement d’une œuvre de jeunesse de Bach. Elle pourrait même dater de son mandat d’organiste affecté à l’église Saint-Boniface d’Arnstadt (1703-1707). Cette fugue, studieusement construite, respire la mélancolie et invite à la méditation. Une manière de se préparer à un Dona nobis pacem explosif. A cet instant, le public nage dans une certaine euphorie, se laissant volontiers emporter par le flot bouillonnant des voix et des instruments.

Les applaudissements ont été à la mesure de cette interprétation qui s’est profondément inscrite dans les mémoires. Vox Luminis ne s’était pas ménagé pour offrir une missa solemnis fervente et chatoyante. Le public l’a payé en retour avec des piétinements fougueux et des rappels bouillonnants. A ce moment-là, nous étions déjà, depuis une demi-heure, le 27 août 2017. Ce même jour, Vox Luminis devait réitérer sa prestation à près de cinq cents kilomètres d’Arques-la-Bataille. Pour ménager son ensemble et parce que rien ne peut surpasser le merveilleux appel du Dona nobis pacem, Lionel Meunier convainc le public de renoncer au « bis » habituel et de garder dans son cœur le souvenir d’une soirée durant laquelle, une nouvelle fois, la magie de la musique a opéré.

PS : il est possible de souscrire au disque enregistré par Benjamin Alard pour célébrer les 20 ans de l'orgue d'Arques-la-Bataille, en contribuant à la campagne de financement participatif en cours. Le programme est entièrement dédié à J.S. Bach. Voici l’adresse permettant de soutenir le projet : https://www.commeon.com/fr/projet/benjamin-alard#ORFB



Publié le 17 sept. 2017 par Michel Boesch