L'Eclipse totale - Dalayrac

L'Eclipse totale - Dalayrac ©
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Une Eclipse qui méritait de revenir à la lumière

Nicolas Dalayrac (1753-1809) est un compositeur de la seconde moitié du XVIIIème siècle, peu à peu tombé dans l’oubli, comme la quasi-totalité de ses œuvres. Né le 8 juin 1753 à Muret, à côté de Toulouse, d’un père conseiller du Roi, le jeune Dalayrac prend des cours de chant et de violon après ses études au collège à Toulouse. Mais son père lui impose des études de droit, qui le mènent en 1774 à la licence. Une courte et infructueuse tentative d’exercer le métier d’avocat achève de convaincre son père qu’il n’est pas fait pour le droit, et le libère de cette voie. Il embrasse alors la carrière militaire, devenant sous-lieutenant dans la garde du comte d’Artois (futur Charles X), stationnée à Versailles. A Paris il fréquente des musiciens et des compositeurs, notamment le chevalier de Saint-Georges, et Grétry, qui lui donne des conseils. Il prend également des cours de composition auprès d’Honoré Langlé. Ses premières compositions sont des pièces pour violon, publiées sous un pseudonyme. Le vif succès rencontré par ses quatuors l’incite toutefois à abandonner l’anonymat. Il fréquente alors les loges maçonniques (celles-ci attiraient à cette époque, rappelons-le, de nombreux compositeurs, le plus célèbre étant Rameau), pour lesquelles il compose également des musiques de circonstance (intronisations,...).

En 1781, il produit, à la demande de Bésenval, deux courtes pièces en musique destinées à des concerts privés : Le petit souper et Le chevalier à la mode. Leur succès lui vaut d’être remarqué par Marie-Antoinette, qui lui apporte son soutien pour qu’il compose son premier opéra comique : L’Eclipse totale, pour le Théâtre des Italiens (1782). Plusieurs pièces suivent, toujours accueillies avec faveur par le public, notamment Nina ou la Folle par amour (1786), Azemia ou Les Sauvages (1786) et Les deux petits Savoyards (1789) – cette dernière pièce ayant même attiré l’attention de Beethoven, qui en possédait une partition. Certains voient alors en lui le successeur possible de Grétry (1741 – 1813) dans le genre, qu’il alimente par de nombreuses productions jusqu’à sa mort en 1809. Signe de l’estime dans laquelle il était tenu, son buste est placé en 1811 dans le foyer de l’Opéra Comique.

L’Eclipse totale est réputée inspirée d’une fable de La Fontaine, L’astrologue qui se laisse tomber dans un puits. La lecture de cette fable, plutôt austère et tout entière bâtie autour de la réfutation du caractère sérieux de l’astrologie, montre l’écart qui la sépare du livret écrit par Auguste Etienne Xavier Poisson de La Chabeaussière (1752 – 1820). Celui-ci, homme de lettres et compagnon de Dalayrac à la garde du comte d’Artois, bâtit en effet de toutes pièces une double intrigue amoureuse autour de l’infortuné astrologue, qui culmine au cours de l’observation d’une éclipse solaire. Qu’on en juge :

L’astrologue Solsticius veut faire partager sa science à sa pupille Isabelle, qu’il voudrait épouser. Mais celle-ci est éprise du beau Léandre. La servante Rosette, amoureuse de Crespin, est prête à favoriser les desseins de sa maîtresse. Mais celle-ci est tenue recluse. Par un souterrain creusé dans un puits de l’habitation, Léandre remet à Rosette un billet pour Isabelle. On annonce la visite du bailli du village, qui arrive accompagné de Léandre, qu’il présente comme un grand astrologue, et de Crispin. Les deux couples d’amoureux échangent alors des propos à double sens et tentent de se rapprocher, sans pouvoir échapper au regard soupçonneux de Solsticius. Tous se regroupent pour observer l’éclipse totale, pendant laquelle les protagonistes, profitant de l’obscurité, se dérobent via le passage pratiqué dans le puits. Avant de s’enfuir à son tour, Crispin parvient à dérober le trousseau de clés de l’astrologue : il l’enferme dans sa propre maison ! Lorsque l’astrologue s’aperçoit de leur fuite, il tente de les poursuivre, et tombe dans le puits ! Les protagonistes reviennent alors pour le libérer, en soulignant malicieusement qu’il n’avait pas prévu la fin de son aventure. Beau joueur, l’astrologue en convient, et consent à l’union des jeunes gens.

Le ressort comique, déjà largement exploité à l’époque, du vieux barbon qui veut épouser une jeunette – de préférence sa nièce ou sa pupille – et qui se fait rouler dans la farine, fonctionne toujours avec efficacité. Le nom latin de l’astrologue suggère une forme de pédanterie, en liaison avec les phénomènes célestes qu’il est censé interpréter. Pour nous faire revivre ce court opéra comique (un peu plus d’une heure de spectacle), la mise en scène de Vincent Tavernier s’appuie sur quelques éléments simples de décor : un long mur de fond de scène percé d’une porte à chaque extrémité, et ouvert sur une grille centrale. Un puits, positionné au centre de la scène, se signale d’emblée comme un élément primordial de l’intrigue. Les costumes d’Erick Piaza-Cochet évoquent, sans trop d’insistance, plutôt le sobre début du XIXème que les précieux atours du XVIIIème : qu’importe, l’intrigue est plutôt intemporelle. Soulignons aussi les lumières de Carlos Perez, qui collent de près à l’action et à ses rebondissements (en particulier lors de la phase-clé de l’observation de l’éclipse).

La restitution de ce répertoire fait autant appel aux qualités théâtrales que vocales des interprètes. Ceux-ci alignent des voix centrées autour d’un médium charnu, à la projection assurée, et à la diction assurée. Nous avons particulièrement été charmés par le timbre cristallin, émaillé d’une pointe de rouerie, d’Hadhoum Tunc, qui nous a rendu si attachant le personnage de Rosette, essentiel dans le déroulé de l’intrigue. Autre soprano de la distribution, Jeanne Zaepffel campe une Isabelle ingénue et malicieuse face aux avances de l’astrologue et à ses explications appuyées sur l’art de la divination d’après les astres.

Le baryton Lucas Bacro, ancien élève du CMBV, s’acquitte sans complexe du rôle Solsticius, personnage bouffe imbu de sa science, amoureux maniaque et soupçonneux, coiffé d’une sorte de fez et enveloppé dans un long peignoir orné de planètes. Sa dimension comique éclate lorsque Crispin parvient à lui dérober son trousseau de clés soigneusement attaché à sa ceinture, puis lors de son observation insistante de l’éclipse (pour laquelle il distribue au préalable des verres fumés aux participants…) qui l’empêche de voir la fuite des autres protagonistes.

Benjamin Athanase incarne un Léandre au timbre séducteur de ténor face à Isabelle. En faux astrologue de renom il donne avec conviction le change à Solsticius, disposant avec aplomb l’ensemble des protagonistes dans la position des astres (en réalité pour favoriser les contacts éphémères entres les jeunes amoureux, au nez et à la barbe de ce dernier !). Autre ténor de la distribution, Charles Mesrine est un Crispin efficace et discret, qui surgit soudain du puits pour transmettre à sa Rosette bien-aimée le billet de son maître destiné à Isabelle. Avec son chapeau et son large manteau, le baryton Nicolas Bercet campe un Bailli empreint d’une digne autorité, qu’il met sans hésiter au service de l’entreprise des jeunes tourtereaux. C’est encore lui qui tire la morale de l’histoire, en rappelant à Solsticius qu’il n’avait pas prévu ce qui allait lui arriver… et proclame la double union des amoureux qui conclut l’opéra dans la liesse générale.

La musique de Dalayrac constitue assurément une belle découverte. Son originalité est perceptible dès l’ouverture, avec la place accordée au cor (ici, celui de Gérard Tremlet, mais il semble que la partition originale comportait également une seconde partie de cor) et au hautbois. De nombreux passages solos de ce dernier instrument émaillent les airs, l’un d’entre eux sera même exécuté sur scène avec brio par Florian Abdesselam. Au plan vocal on se repaît des ensembles, particulièrement dynamiques, avec plusieurs duos et trios, et surtout l’audacieux sextuor lors de la scène de l’éclipse. Emmenée par Pauline Warnier et Hélène Clerc-Murgier, toute l’équipe de la Compagnie des Monts du Reuil fait pétiller la partition, telle une coupe de champagne dans la cité rémoise, pour le plus grand plaisir de nos oreilles et de nos yeux. La représentation sera applaudie par un public enthousiaste.

Profitons-en pour saluer à nouveau la démarche originale de cette Compagnie, s’attachant à faire revivre pour un large public des œuvres du XVIIIème siècle, qu’ Hélène Clerc-Murgier nous avait exposée au cours d’un récent entretien dans ces colonnes. Car comme les autres compositions de Dalayrac, L’Eclipse totale était tombée dans l’oubli au cours du XIXème siècle. N’en subsistait qu’un manuscrit incomplet, conservé à la Bibliothèque Nationale de France. La partition complète a pu être reconstituée grâce au travail opiniâtre du jeune musicologue Riadh Mtirawi, conseiller musicologique de la Compagnie : des recherches approfondies, en collaboration avec l’IReMus, lui ont permis de localiser d’autres sources, conservées à Avignon, Rouen et Lille, puis au final de restituer l’intégralité de la partition. Pour notre plus grand bonheur...



Publié le 01 déc. 2021 par Bruno Maury